Les séances de conseils d’administration à distance se sont imposées dans les organisations du Québec depuis quelques années. Tour d’horizon d’une pratique qui offre de nombreux avantages, à la condition d’être bien encadrée.

Que ce soit en permettant à des personnes de participer à distance à une réunion en présentiel, en organisant surtout des téléconférences, ou encore, en alternant les rencontres en personne et en virtuel, ce sont désormais 78% des conseils d’administration du Québec qui ont adopté d’une façon ou d’une autre les réunions à distance, selon l’enquête «Gouvernance au Québec : portrait et tendances 2023» du Collège des administrateurs de sociétés (CAS).

«Avant la pandémie, il n’y en avait à peu près pas. C’est vraiment une mesure d’urgence adoptée pendant la crise et qui persiste depuis», note Jean-François Henri, directeur du Centre universitaire d’expertise en gouvernance de sociétés à l’Université Laval et directeur pédagogique du CAS. Il s’attend d’ailleurs à ce que cette mixité des modes dure, ce que le CAS mesurera lors des prochaines éditions de cette enquête.

Des avantages considérables

L’ouverture des conseils d’administration aux modes hybrides et virtuels offre des avantages, notamment pour le recrutement d’administrateurs. «Si tu es un OBNL de Trois-Rivières, il peut être difficile de convaincre quelqu’un de Montréal de venir tous les mois en personne. Mais si le déplacement n’arrive que deux fois par année et que les autres rencontres ont lieu à distance, c’est plus facile», explique Jean-François Henri. Pour ce dernier, cette souplesse ouvre d’ailleurs la porte au recrutement de candidats spécialisés (en cybersécurité, par exemple) qui pourraient être plus difficiles à convaincre autrement.

D’ailleurs, les administrateurs locaux peuvent aussi profiter de cette économie de temps. La durée des rencontres virtuelles ne varie pas toujours par rapport aux rencontres en présentiel (59% des CA estiment que leur durée est demeurée relativement inchangée, alors que 36% la trouvent plus courte), mais le temps passé dans les déplacements et en groupe avant et après la réunion, lui, est raccourci. Considérant que le membre d’un CA s’implique en moyenne 112,9 heures par année, il s’agit d’un avantage de taille.

Dans certains cas, les réunions virtuelles représentent aussi une économie d’argent pour les CA, surtout lorsque les membres doivent se déplacer loin pour y assister en personne. Dans certains cas, les réunions virtuelles représentent aussi une économie d’argent pour les CA, surtout lorsque les membres doivent se déplacer loin pour y assister en personne.

«Un autre avantage, c’est la possibilité de lancer une réunion promptement. En situation de crise, on peut organiser une rencontre dans l’heure qui suit et bouger rapidement», note Jean-François Henri. Le concept n’est pas nouveau : bien avant l’arrivée d’applications comme Zoom ou Teams, les conférences téléphoniques permettaient déjà de prendre des décisions sans attendre, «mais on perdait alors tout le non-verbal des discussions», précise le directeur du Centre universitaire d’expertise en gouvernance de sociétés.

Les réunions à distance facilitent aussi la prise de notes, puisqu’il est possible d’enregistrer les rencontres et ainsi, de produire des procès-verbaux plus complets. Selon l’enquête du CAS, 27,2% des CA se donnent d’ailleurs cette possibilité, un taux qui augmente à 40,7% dans les organisations coopératives.

La prudence est de mise

Les séances de conseils d’administration à distance comportent aussi leur part de risques, notamment par rapport à la confidentialité des réunions. «Les enregistrements doivent être effacés dès que possible, ce qui n’est pas toujours fait», explique le directeur du CAS. Un enregistrement sauvegardé sur un ordinateur risque d’être volé en cas de piratage et peut aussi devenir une pièce à conviction en cas de litige.

Lors d’une séance à distance, il est aussi plus difficile de savoir qui écoute les propos échangés pendant la réunion. «On ignore combien de personnes sont derrière l’écran d’un administrateur, prennent des notes et lui font des signes», illustre Jean-François Henri. Les risques de piratage sont évidemment présents, quoique les plateformes de téléconférence sont généralement chiffrées et sécuritaires.

Autre danger important : la qualité des discussions. «Pour un CA, le nerf de la guerre, c’est de pouvoir bien échanger. Si la discussion et les échanges sont plus difficiles, le conseil risque de moins bien jouer son rôle», souligne Jean-François Henri.

Malheureusement, 53% des CA jugent que la qualité des échanges diminue lors de leurs réunions à distance, tandis que 43% sont d’avis qu’elle demeure inchangée, toujours selon l’enquête du CAS. Seulement 4% y voient une amélioration. Certaines mesures peuvent toutefois être mises en place pour assurer une bonne communication lors des réunions (voir encadré).

Un recours trop fréquent aux réunions à distance risque aussi d’affecter la cohésion et le sentiment d’appartenance des membres du conseil d’administration, ajoute Jean-François Henri. «Les dynamiques informelles subissent les contrecoups de ces réunions. Les CA ne sont pas que des regroupements d’administrateurs individuels : ils réunissent aussi des humains qui travaillent ensemble. Ce sont des équipes», explique-t-il. Les échanges informels avant et après les réunions doivent être préservés, même à distance.

Certaines fonctionnalités des outils de téléconférence représentent aussi des armes à double tranchant, comme le clavardage, qui peut entraîner des réunions en parallèle. Certaines discussions se règlent alors en sous-groupes et ne se rendent pas au collectif. «Une des premières qualités d’un administrateur, c’est d’avoir le courage d’être la voix discordante en posant les questions difficiles. Il ne faut pas qu’il y ait d’échappatoires possibles», croit le directeur du Centre universitaire d’expertise en gouvernance de sociétés.

Ce qui ne veut pas dire que les CA doivent interdire le clavardage ou imposer toujours les rencontres en présentiel. «Ce n’est pas parce qu’il y a des risques qu’on ne peut pas tenir de réunions à distance. Mais il faut en être conscient et gérer les rencontres en conséquence», conclut-il.

Cinq conseils pour un CA virtuel réussi

Plusieurs bonnes pratiques peuvent être adoptées pour améliorer la qualité des conseils d’administration tenus à distance. Certaines sont les mêmes qu’avec le télétravail en général, mais d’autres sont aussi propres aux CA.

1. Énoncer les règles

  • Les règles qui encadrent les CA à distance devraient être claires et répétées à l’occasion, surtout lorsqu’elles sont spécifiques aux téléconférences ou que des membres, lors d’une réunion hybride, se connectent à distance pour la première fois.
  • La personne qui dirige la réunion devrait rappeler la politique concernant l’usage de la caméra – qui devrait idéalement être allumée afin d’améliorer la qualité des échanges – et celle qui a trait au clavardage, que ce soit avec les outils intégrés au logiciel de téléconférence ou avec les autres moyens disponibles pour les membres du CA, comme les textos.
  • D’autres règles devraient aussi encadrer la prise de notes, en empêchant l’enregistrement des réunions ou en obligeant la personne qui rédige le procès-verbal à effacer l’enregistrement et ses copies de sauvegarde d’une façon sécuritaire par la suite (il existe des logiciels spécialisés à cet effet, comme Eraser sur PC).

2. Être réellement présent

  • Chaque membre du CA doit veiller à renforcer la qualité de sa présence, notamment en fermant les applications concurrentes afin de limiter les distractions et en s’installant dans un endroit calme et privé.
  • La personne qui dirige la réunion devrait, quant à elle, prévoir des pauses et inviter les membres à se lever à l’occasion, surtout lorsqu’une réunion s’étire.
  • Côté technique, les administrateurs doivent être équipés d’une bonne caméra, et surtout, d’un bon microphone, ce qui facilite la compréhension et la concentration des autres lors de longues interventions. Pour les CA qui acceptent les réunions hybrides, avec certains membres à la maison et d’autres en présentiel, un bon système de téléconférence pour la salle de réunion est aussi recommandé.

3. Adapter le contenu des réunions à distance

  • Il peut être plus difficile de rester attentif lors d’une réunion en ligne. Les CA qui alternent les rencontres en présentiel et à distance devraient donc planifier leur ordre du jour en conséquence. On devrait réserver les sujets plus difficiles pour les rencontres en personne et s’en tenir idéalement aux points courants et à la transmission d’informations lors des réunions à distance.
  • Pour une longue rencontre de CA, il importe également plus que jamais de fournir à l’avance les documents préparatoires, pour améliorer l’efficacité de la réunion.
  • On devrait aussi réserver du temps avant et après la réunion pour permettre aux membres de socialiser, afin de favoriser la cohésion et le sentiment d’appartenance au groupe, surtout lorsque les rencontres en présentiel sont rares.

4. Maximiser la qualité des échanges

  • Pour éviter une diminution de la qualité des échanges dans les conseils d’administration, la personne qui préside les réunions à distance peut adopter certaines bonnes pratiques, comme effectuer régulièrement des tours d’écran. Il est d’ailleurs important d’organiser un tel tour assez rapidement au début de la rencontre pour que tout le monde parle au moins une fois, ce qui facilite la prise de parole et améliore les échanges par la suite.
  • Les membres du conseil d’administration devraient aussi être invités à sélectionner le mode « galerie » de leur logiciel de téléconférence (le nom varie d’une marque à l’autre) ; tous les participants (et pas seulement celui qui a la parole) apparaissent alors en même temps à l’écran, ce qui permet de mieux voir les réactions des autres et, au besoin, d’ajuster ses interventions.

5. Prévoir les imprévus

  • Les pépins informatiques sont fréquents lors de réunions en ligne. Une personne devrait être responsable de la technique pendant la réunion (accepter les participants et veiller à ce que le partage d’écran fonctionne, par exemple), et le service des TI de l’entreprise devrait pouvoir être rejoint rapidement en cas de problème plus important.

Sources : entretien avec Jean-François Henri ; «Optimizing the virtual boardroom: A guide to planning and executing virtual board meetings» (document en ligne), Nasdaq, 2021; «Good practice for virtual board and committee meetings» (document en ligne), ICSA, 2020 ; Baron, C., «Savoir-être en conseil d’administration virtuel : défis et meilleures pratiques» (document en ligne), Centre d’expertise en gouvernance de sociétés, Université Laval, 2021.

Article publié dans l'édition Été 2023 de Gestion