Cette perte de repères qui afflige certains employés ou gestionnaires après une avancée de carrière est plus répandue quon le pense. Explications et stratégies pour éviter ce mal-être.

Annie Boilard se spécialise depuis près de 20 ans en leadership et en gestion d’équipe. La présidente du Réseau Annie RH observe «assez fréquemment» une perte de sens après une promotion.

«On lentend quand même souvent, dit-elle. Les gens vont nous dire tout ça pour ça?”. Ça vient notamment dune mécompréhension du nouveau rôle ou de lenvironnement de travail. Lidée quon sen faisait est confrontée à la réalité.»

Selon Annie Boilard, ce désenchantement touche tout particulièrement ceux qui deviennent gestionnaires pour une première fois. «On leur donne le leadership de l’équipe dans laquelle ils évoluaient. Ils saperçoivent alors que cest le même travail, sauf en plus gros : plus gros projets, plus grosse équipe et plus gros budgets. Mais, fondamentalement, ça reste la même chose. Ça crée une déception.»

Arrêter de courir après le succès

La poursuite sans fin du succès peut par ailleurs nuire à l’épanouissement professionnel, estime Sylvie St-Onge, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal.

«On part avec lidée quune promotion, cest toujours une bonne chose. Il faut néanmoins sassurer que notre définition du succès est vraiment celle qui va nous combler. Cette réussite doit nous rendre heureux, elle doit permettre de se développer», croit-elle.

Annie Boilard renchérit. «On peut déterminer le succès par largent, le prestige, un beau stationnement sur le bord de la porte ou un titre pompeux dans sa signature électronique. Ces facteurs extrinsèques ont toutefois un effet éphémère sur la mobilisation dune personne.» 

À linverse, faire grandir son équipe, aider ses collègues ou continuer dapprendre font partie des motivations qui passent l’épreuve du temps.

Connais-toi toi-même

Que peut-on faire pour éviter tous ces sentiments négatifs postpromotion? Sylvie St-Onge conseille de miser dabord sur lintrospection. Parfois, on se trompe sur ses motivations au travail, sur ce quon aime ou sur ses talents, avance-t-elle. 

«Si je suis professeure à luniversité et que jaime vraiment la recherche et lenseignement, un poste administratif peut memmener une perte de sens parce que je nai plus de temps pour faire ce que jaime. Il faut se demander si on utilise pleinement ses compétences dans ses nouvelles responsabilités, si on est encore sur son X ou si on s’éloigne de son identité professionnelle.»

Annie Boilard estime aussi quune réflexion simpose avant daccepter une avancée de carrière. «Pourquoi veut-on la promotion? De quoi avons-nous besoin pour être bien au travail? Quest-ce qui nous nourrit, nous motive? Et est-ce que ces conditions seront présentes dans le nouveau poste? Ces questions aident à vérifier si on devrait dire oui ou pas.» 

Mentorat et accompagnement 

Les entreprises ont également un rôle à jouer afin de réduire lennui des nouveaux gestionnaires. La présidente de Réseau Annie RH leur donne trois conseils essentiels : choisir un candidat qui veut ce poste pour les bonnes raisons (pas seulement pour le salaire), lui expliquer avec transparence les limites et les possibilités qui viennent avec la promotion, et laider à se reconnecter sur ce qui donne du sens à son travail.

Lors dun recrutement à lexterne, les responsables des ressources humaines doivent veiller à ce que leur définition de lemploi colle le plus possible à la réalité. 

«Il faut bien faire comprendre ce que le poste permet de faire, mais aussi trouver l’élément qui va allumer la personne, croit Annie Boilard. Ça peut être par exemple de la flexibilité, de lautonomie ou, au contraire, limpression de se sentir épaulé.»

Sylvie St-Onge suggère de son côté de jumeler lemployé promu avec quelquun dexpérience, qui pourra répondre à ses questions et le guider dans ses nouvelles fonctions. «On offre souvent du mentorat aux nouveaux employés ou aux gens qui viennent de lextérieur, mais cest également utile dans ce cas-là», souligne-t-elle.

Certaines entreprises réservent en outre du budget pour un coach de carrière. «Les six premiers mois sont garants du succès dans un poste supérieur. Il y a aussi un enjeu politique. On a un rapport différent avec ceux qui étaient nos collègues. Le coach peut nous montrer comment être accepté ou comment mobiliser nos gens.»

Face à une perte de sens, la professeure conseille surtout aux nouveaux gestionnaires de se donner du temps. «Un nouveau poste requiert une période dapprivoisement, encore plus si cest dans une autre entreprise. Il faut sadapter au rôle, à lenvironnement de travail et à la culture.»