Pour être des employeurs de choix, les gestionnaires doivent apprendre l’art de bien congédier une personne; une situation qui n’est jamais facile, certes, et que nombre d’entre eux bâclent. Or, il est possible de mettre fin à une collaboration avec bienveillance et de démontrer que l’organisation incarne ses valeurs dans toutes les étapes de l’expérience employée.

Dans un contexte de pénurie de main-d'œuvre et de guerre des talents, mais aussi en cohérence avec la révolution sociale actuelle, une marque employeur peut être trahie par des comportements de congédiement qui manquent d’humanité ou de considération et voir son attractivité diminuer à moyen terme.

«J’ai le droit!»

Combien de fois avons-nous entendu des directions ou des membres de conseils d’administration dire qu’ils ont «le droit» de congédier subitement une personne, en donnant un préavis ou une lettre, et puis voilà? «Nous avons consulté nos services juridiques»... Oui, bien sûr, mais «avoir le droit» et se dédouaner ainsi derrière un tel avis, c’est un bien bas minimum pour incarner les valeurs d’une organisation. Nous avons aussi «le droit» de viser de plus hauts standards! Prendre le temps de bien faire les choses et investir dans des fins de collaboration harmonieuses, c’est payant.

De nombreuses études démontrent que l’empathie est un élément essentiel, sinon le plus essentiel pour être un ou une leader de premier plan. Congédier une personne est un droit de gérance à utiliser avec parcimonie et attention pour des raisons justes et démontrables, et de manière structurée –, le ou la gestionnaire doit être sensible à l’intégrité de l’autre. C’est qu’un congédiement mal fait peut causer des ravages sur l’estime de soi et sur le sentiment de compétence, sans compter qu’il est susceptible d’engendrer de la détresse psychologique chez la personne qui le subit. Cette dernière a peut-être des personnes à charge; vivra potentiellement un grand stress; etc. Or, il est possible de l’accompagner afin qu’elle soit plus heureuse ailleurs et de déployer des efforts pour minimiser les conséquences d’une telle décision.

Le meilleur congédiement est celui qui n’a pas lieu

Si une personne n’est pas à sa place dans le poste qu’elle occupe, ses tâches risquent de retomber sur d’autres collègues. Recadrer et savoir se départir des personnes qui ne sont pas au bon endroit est parfois nécessaire pour garantir un fonctionnement sain et égalitaire dans une équipe : congédier quelqu’un est une décision parfois inévitable.

Cependant, en contexte de pénurie de main-d’œuvre, il n’est pas évident de remplacer une personne expérimentée qui connaît déjà bien l’organisation. Le roulement coûte cher et le temps nécessaire pour entamer un processus d’embauche, d’intégration et de formation s’avère précieux. Tout cela épuise aussi les équipes... Notre expérience montre que des décisions de congédiement auraient pu être évitées par d’autres solutions : une révision des tâches et responsabilités; de l’accompagnement lui étant destiné; etc. Parfois, des questions difficiles doivent être soulevées : la description du poste et la charge de travail sont-elles réalistes? Sommes-nous en train de mettre la personne en situation d’échec avec des attentes trop élevées?

Gérer avec empathie, c’est aussi prendre le temps de considérer que la personne vit peut-être un moment particulièrement difficile ayant des répercussions sur ses fonctions cognitives, son organisation au travail et sa disponibilité. Avoir de telles conversations peut nous permettre de réfléchir à des aménagements possibles. Entre autres exemples : y a-t-il lieu de retirer, diminuer ou reporter certaines tâches? L’horaire de travail peut-il être revu et adapté? Est-ce l’occasion de réviser le nombre d’heures demandé?

Si un congédiement doit absolument avoir lieu, c’est que, quelque part dans le processus – entre la conception du poste, l’embauche de la personne, sa formation, son encadrement, son évaluation et la gestion du changement –, il y a quelque chose qui n’a pas bien fonctionné. Avant de diriger ses reproches vers la personne visée, l’employeur doit faire son autoévaluation :

  • accompagner la personne en plusieurs rencontres;
  • nommer clairement les attentes et les objectifs liés au poste;
  • discuter de l’ampleur des tâches et voir si cela est réaliste;
  • se pencher sur les heures de travail;
  • miser sur sa capacité à changer et sa compréhension des problèmes en amenant la personne à faire un choix (plutôt qu’avoir une approche punitive);
  • offrir de l’accompagnement, du coaching, du mentorat, etc.

(Bien) congédier prend du courage

Comme nous l’avons mentionné précédemment, le congédiement est parfois légitime; tolérer trop longtemps la mauvaise personne dans le mauvais poste risque de faire retomber le fardeau sur le reste de l’équipe. Cependant, un trop grand nombre de gestionnaires fuient les conversations difficiles; étirent les délais d’intervention; accumulent de la frustration… et c’est souvent dans pareilles situations que les congédiements se font trop brusquement et finissent mal.

Soyons clairs : cela ne concerne pas ici des fautes graves qui autoriseraient un employeur à congédier une personne sur-le-champ. Il n’est pas non plus question de cas de harcèlement psychologique ou de climat de travail toxique, des situations qui demandent des interventions différentes.

Il s’agit plutôt d’accompagner les gestionnaires en leur suggérant de bonnes pratiques bienveillantes. Souvent, ils sont surpris et se disent : «Je n’ai jamais pensé à ça; c’est une bonne idée!» Le mot-clé, ici, est «empathie»; rappelons qu’il faut avant tout traiter les gens comme nous voudrions être nous-mêmes traités.

  • En offrant à la personne de contrôler elle-même l'échéancier et l’annonce de sa fin d’emploi.
  • En prévoyant dans le budget de l’organisation un fonds de cheminement de carrière qui permet d’offrir aux employés quelques semaines de salaire.
  • En nous dotant d’une politique de congédiement dans la dignité qui prévoit par exemple des mesures supplémentaires pour les employés ayant des personnes à charge ou appartenant à des groupes marginalisés sur le marché de l’emploi.
  • En étudiant la possibilité d’offrir un délai à un individu en situation de précarité économique avant la fin d’emploi ou de lui octroyer une prime supplémentaire.
  • En envisageant d’offrir à une personne psychologiquement fragile l’accès à un programme d’aide aux employés ou à une aide psychologique.
  • En offrant une lettre de recommandation dans laquelle les forces et les talents sont reconnus.
  • En proposant à la personne des services de transition de carrière ou d’orientation.
  • En révisant annuellement la politique de congédiement avec l’équipe et en établissant les mesures d’accompagnement souhaitées. Il suffit de poser la question «comment voudriez-vous être congédiés?» aux salariés pour constater que les réponses des gens sont pleines de bon sens.

Une telle démarche empreinte de dignité vise à incarner des valeurs humaines. Qui plus est, elle offre une expérience positive de fin d’emploi, et ce, tant pour la personne que pour ses collègues et l’organisation.

Mal congédier coûte cher

Or toutes ces mesures coûtent cher! Mais, en même temps, pas tellement, comparativement à ce qu’il en coûte de mal congédier un membre de votre équipe. Les répercussions sont alors considérables :

  • En plus de la détresse personnelle et familiale que la situation risque d’engendrer chez la personne en question, bon nombre de dossiers judiciarisés peuvent découler d’un congédiement mal fait. Les personnes entreprennent de telles démarches parce qu’elles vivent un sentiment d’injustice. Au-delà du respect pur et dur du droit du travail, éviter pareilles procédures coûteuses et énergivores – qui, de surcroît, amènent un risque pour ce qui est de la réputation de l’organisation – représente un bel investissement.
  • Les employés qui restent sont témoins du traitement auquel a droit leur ex-collègue. Si le congédiement est bien fait – c’est-à-dire que la personne a été accompagnée en plusieurs étapes avec empathie –, chacun se dira que le tout se déroulera bien au cas où une telle situation leur arrive. Les gens seront fiers de travailler pour un employeur qui prend soin de son monde! De la même façon, à supposer que le congédiement se passe mal, l’équipe risque de tomber dans ce qu’on appelle le syndrome du survivant, ce qui nuit à sa créativité, à son plaisir de travailler et à sa rétention.
  • Pensons-y : où se retrouvera la personne congédiée? Fort probablement chez un partenaire, ou alors dans le même écosystème. Quelle réputation fera-t-elle alors à son précédent employeur? Dira-t-elle à ses nouveaux collègues : «N’allez surtout pas travailler pour lui!»? C’est un petit monde; les gens se parlent… Pour attirer des talents, il est crucial de jouir d’une bonne réputation.

Les employés sont des ressources humaines, pas des ressources jetables!

Gestionnaires, ayez le courage d’entreprendre des discussions difficiles et développez la capacité de les engager avec bienveillance. En d’autres mots : ne les évitez pas, ne tolérez pas une situation trop longtemps et ne vous cachez pas derrière un processus rigide et froid. Après tout, «clarity is kindness» (la clarté, c’est la gentillesse), a dit Brené Brown, une travailleuse sociale et chercheuse américaine  spécialisée en sciences humaines et sociales.

Ce qu’il faut chercher, finalement, c’est incarner ses responsabilités sociales, autant pour la personne congédiée que pour le ou la gestionnaire ou le conseil d’administration. Il s’agit d’un travail de prise de conscience et de maturité qui permet d’insérer la sensibilité au bon moment dans le processus de congédiement sans nous détacher des faits, des besoins et des capacités (tant d’un point de vue organisationnel que sur le plan personnel).

Savoir congédier de la bonne façon est un art qui se peaufine, et il est possible d’y arriver. Des exemples observés au sein des organismes qui ont choisi de travailler concrètement à incarner leurs valeurs auprès de leurs équipes en sont la preuve.