Compétences relationnelles : incarner plutôt qu’implanter
2025-03-15

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2025-03-24
Compétences relationnelles : incarner plutôt qu’implanter
Ressources humaines , Communication

Développer des compétences relationnelles, c’est bien, mais les utiliser au quotidien, c’est encore mieux. Pourtant, certaines pratiques courantes compromettent souvent leur adoption durable. Quelles sont les erreurs fréquentes à éviter et les clés pour changer vraiment les comportements?
Un avis apparaît sur votre écran : votre gestionnaire vient de vous envoyer un courriel vous demandant sèchement de passer à son bureau dans 15 minutes. Un peu nerveux – comment ne pas l’être en pareilles circonstances? –, vous vous présentez à cette rencontre qui s’avère finalement de courte durée. Heureusement pour vous, il souhaitait vous féliciter pour votre récent travail sur un dossier crucial. Faisant preuve d’une précision inattendue, il souligne certains des comportements positifs que vous avez adoptés durant le mandat, en les reliant habilement aux valeurs de votre organisation.
Subjugué par ce qui vient de se passer mais surtout fier, vous racontez cet échange à un collègue à la cafétéria. Coup de théâtre : il déclare avoir vécu la même chose ce matin! Pas de doute, votre gestionnaire a suivi la formation «La reconnaissance au travail, c’est maintenant!» offerte par le service des ressources humaines la semaine dernière, et il semble déjà mettre en pratique les trucs et astuces présentés. Vous êtes à la fois perplexe et enchanté par ce premier signe de changement culturel. Votre collègue, en revanche, se montre plus cynique, convaincu que cette soudaine épiphanie du patron ne saura durer. Ces gestes témoignent-ils, selon vous, d’un véritable virage culturel ou d’une utilisation superficielle d’outils relationnels?
Les compétences relationnelles : de quoi s'agit-il exactement?Les compétences relationnelles, souvent appelées soft skills, regroupent un ensemble de capacités essentielles en milieu de travail. La littérature scientifique propose plusieurs définitions complémentaires1, mais toutes convergent vers une idée centrale : les compétences relationnelles désignent les aptitudes personnelles, interpersonnelles et intrapersonnelles qui permettent d’interagir de manière efficace, appropriée et empathique avec autrui, tout en s’adaptant aux contextes sociaux et émotionnels. Parmi ces compétences, notons l’intelligence émotionnelle, la communication, la créativité, la résolution de problèmes, le travail d’équipe et la gestion du stress. À l’opposé, les compétences techniques, ou hard skills, font référence à des aptitudes spécifiques, tangibles et mesurables, souvent associées à l’utilisation d’outils ou de technologies2. |
Les approches à éviter
Lorsqu’il s’agit de développer les compétences des membres d’une organisation, l’objectif est clair : transformer ces apprentissages en actions concrètes capables de générer un retour sur investissement tangible. Cependant, le passage de la théorie à la pratique demeure une préoccupation majeure, tant pour les compétences techniques que pour les compétences relationnelles.
Si appliquer des connaissances techniques, comme l’utilisation d’un nouveau logiciel, semble relativement simple et immédiat, l’acquisition de compétences relationnelles exige une approche plus nuancée. Par exemple, intégrer des notions d’empathie dans un contexte de gestion peut comporter des risques de dérapage si cette aptitude n’est pas bien maîtrisée. Cette distinction appelle à une vigilance accrue de la part des décideurs, soucieux d’assurer une mise en œuvre efficace et adaptée des apprentissages.
Par exemple, si une procédure qui prévoit des mesures précises peut s’avérer très utile sur le plan technique, elle peut aussi devenir contreproductive, voire nuisible, lorsqu’il s’agit de compétences relationnelles. Les gestes et les paroles d’un gestionnaire peuvent parfois sembler mécaniques ou insincères, ce qui peut susciter des doutes quant à leur authenticité. Cette perception négative peut alors affecter le climat de travail et compromettre les relations interpersonnelles au sein de l’équipe.
Bien qu’elles soient largement répandues, certaines approches traditionnelles en matière de gestion ont le potentiel de freiner le développement de compétences relationnelles (voir le tableau ci-dessous).
Les facteurs de succès à prioriser
Heureusement, dans le cadre d’un programme de développement ou de formation, certains facteurs peuvent contribuer à une intégration efficace des compétences relationnelles dont plusieurs sont liées à la personnalité ou au profil du candidat. Cependant, les traits personnels, comme la curiosité ou la capacité d’introspection, échappent souvent au contrôle de l’organisation. C’est pourquoi il est essentiel que ceux qui conçoivent et déploient des programmes de développement des compétences relationnelles accordent une attention particulière à la structure de ces initiatives, à leur contenu et à la manière dont elles sont mises en œuvre.
Dans une récente étude, des chercheurs ont ciblé différents facteurs de succès sur lesquels les organisations peuvent intervenir positivement3 (voir le tableau ci-dessous).
Pour développer des compétences relationnelles, les initiatives les plus efficaces sont celles où les participants forment une cohorte qui évolue sur une longue période. Ce type de cadre d’apprentissage offre le temps nécessaire pour assimiler et explorer de nouvelles connaissances, en plus de favoriser l’émergence d’une solidarité de groupe. Cette dynamique collective devient un levier essentiel pour encourager l’entraide et permettre des échanges authentiques.
Par ailleurs, le choix des lieux de rencontre mérite une attention particulière, car l’environnement physique joue un rôle clé dans l’atteinte des objectifs visés. Par exemple, peut-on réellement travailler l’empathie et développer sa vulnérabilité au sein d’une cohorte si les séances se déroulent dans une salle vitrée, au milieu d’un étage et à la vue des passants? La réponse semble évidente!
Pour des changements durables
En misant sur une approche réfléchie et sur les bons facteurs de succès pour développer ses compétences relationnelles, il est tout à fait légitime d’espérer que ces initiatives portent leurs fruits. Pour que ces changements de comportement s’inscrivent durablement dans l’organisation, ils doivent être pleinement intégrés et incarnés, au point de devenir non seulement des habitudes personnelles, mais aussi de nouvelles normes sociales au sein de l’entreprise4.
Dans un monde où tout s’accélère et où l’atteinte de résultats est prioritaire, ralentir pour développer ses compétences relationnelles pour ensuite les incarner peut sembler contre-intuitif, voire risqué, aux yeux de nombreux dirigeants. Cependant, pour convaincre les plus réfractaires et encourager la patience de ceux qui prennent ce virage, il est essentiel de souligner que le développement de compétences relationnelles et émotionnelles produit de véritables effets durables qui sont positifs pour l’organisation5. Ces compétences ne doivent pas être perçues comme un simple «coût» à court terme, mais comme un investissement stratégique dans la performance et la cohésion organisationnelle. En effet, elles permettent de bâtir des équipes résilientes, agiles et mieux préparées à faire face aux défis de demain.
Article publié dans l’édition Printemps 2025 de Gestion
Notes
1 - Voir, notamment, Lamri, J., et Lubart, T., «Reconciling hard skills and soft skills in a common framework: The generic skills component approach», Journal of Intelligence, vol. 11, n° 6, 2023, p. 1-19.
2 - Lyu, W., et Liu, J., «Soft skills, hard skills: What matters most? Evidence from job postings», Applied Energy, vol. 300, n° 1, 2021.
3 - Hamzah, H.A., et coll., «Making soft skills ‘stick’: A systematic scoping review and integrated training transfer framework grounded in behavioural science» (article en ligne), European Journal of Work and Organizational Psychology, juillet 2024.
4 - Ibidem.
5 - Mehler, M., et coll., «Training emotional competencies at the workplace: A systematic review and metaanalysis», BMC Psychology, vol. 12, 2024, p. 1-18.
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