Article publié dans l'édition hiver 2016 de Gestion

Agilité, ubérisation, expérience utilisateur, mégadonnées, holacratie... Ces sujets qui gravitent autour de la transformation numérique occupent (et préoccupent) autant les PME que les grands groupes. Devant cette modification inéluctable de notre univers économique, dirigeants et gestionnaires ont aujourd’hui la responsabilité de porter ces enjeux d’innovation et de transformation au sein de leur entreprise. Comment peuvent-ils réussir dans cet environnement de grands bouleversements ?

« 90 % des grandes entreprises connaîtront une crise financière majeure dans les quinze ans qui viennent et seulement 10 % y survivront. Enfin, seulement un tiers de nos entreprises existeront véritablement dans vingt-cinq ans. » Cette prédiction de John Chambers, président de Cisco, illustre bien que l’enjeu d’innovation est d’autant plus déterminant qu’il induit une notion de survie à moyen terme pour les entreprises. La dynamique d’un vieux monde est en train de disparaître au profit d’un nouveau monde, d’une nouvelle économie.


LIRE AUSSI: Administrateurs de sociétés: attachez vos tuques, ça va brasser!


Une vision stratégique

Pour se transformer, il faut développer sa capacité de réaction et son efficacité devant l’évolution rapide des modèles économiques, l’arrivée de technologies innovantes, l’émergence de nouveaux concurrents et la mutation des usages des consommateurs. Il faut garder à l’esprit que tout concurrent potentiel d’envergure risque de surgir d’un marché extérieur à son propre univers de concurrence direct. Il y a quelques années, le logiciel gratuit Skype n’a pas été considéré comme une menace directe par les groupes de télécommunications. De même, Twitch, plateforme de transmission en continu spécialisée dans le sport, ne figure pas dans la liste des concurrents des câblodistributeurs alors que, pour la première fois cet été, nous apprenions qu’ESPN perdait des abonnés.

Pour réussir dans cet environnement, il faut donc savoir s’extirper de sa zone de confort et créer cette dynamique de créativité. Mais avant de se lancer tête baissée dans le processus de changement, les instances dirigeantes doivent avant tout choisir le cap et présenter la vision stratégique de leur entreprise afin de ne pas tomber dans le piège de la transformation inutile. C’est cette vision même qui suscitera une dynamique de transformation efficace et non l’inverse. C’est également cette vision qui, par la suite, devra être porteuse de sens pour l’ensemble des collaborateurs, qui seront à leur tour acteurs de cette transformation en mettant à profit leur savoir et leur créativité. Il est donc important que cette vision soit incarnée. Sortir du cadre, faire preuve de créativité et d’anticipation, s’immerger dans l’univers numérique, courir des risques : les dirigeants et la haute direction ont un défi de taille à relever pour faire de ce contexte de discontinuité une occasion de développement pour leur entreprise.

Une culture d’agilité

Vient ensuite la question de la méthode et des moyens humains et financiers nécessaires pour mener à bien le processus de transformation. Beaucoup de théories circulent sur ce sujet et suscitent de nombreuses interrogations : faut-il aller vers une structure organisationnelle plus horizontale ? Faut-il créer une cellule consacrée à l’innovation ? Faut-il nommer un directeur de la stratégie numérique ? Comment intégrer l’innovation à tous les maillons de la chaîne de valeur ? L’innovation repose-t-elle principalement sur la technologie ? Le changement de méthodes doit-il être brusque ou progressif ? La transformation numérique entraîne-t-elle systématiquement des suppressions de postes ? Une transformation numérique doit-elle passer par une stratégie en matière de médias sociaux ? Enfin, le Graal en matière d’innovation : comment rendre mon entreprise plus agile ?

Il y a certainement autant de solutions que d’entreprises, chacune étant unique en vertu de son modèle, son âge, sa culture, sa taille, son marché, ses technologies, sa démarche marketing, son degré de maturité numérique ainsi que son portefeuille de services, de produits ou de marques. Le diagnostic est donc individuel et non global. Le mode de fonctionnement des jeunes entreprises est souvent cité en exemple quand on parle d’agilité, mais en réalité, ce procédé est largement facilité par la taille réduite des équipes, par l’allégement des fonctions de soutien et par l’accent mis sur un produit ou sur un modèle unique. Les grands groupes souvent plurimarques et parfois pluridisciplinaires qui rêvent d’une organisation similaire sont vite confrontés à l’inadaptation de ce modèle à leur structure : il est forcément plus difficile pour un gros navire de se mouvoir facilement et rapidement. C’est pourtant un enjeu vital.

La Presse : un exemple de réussite

Dans ce contexte où les entreprises point-coms sont les fers de lance de la réussite du modèle numérique, des acteurs de l’ancienne économie résistent en réinventant leur modèle. Une entreprise comme La Presse, issue « du papier », a su réinventer son modèle économique et organisationnel en moins de cinq ans pour devenir une entreprise principalement numérique. Elle a su se remettre en question et anticiper l’évolution des usages avec le lancement de son édition numérique gratuite : La Presse+.


LIRE AUSSI: Transformation numérique des entreprises: faites-en votre propriété!


Cet exemple montre qu’il est possible de trouver un relais de croissance fort en tirant profit des occasions offertes par la mutation de son marché. La clé est l’amélioration de son offre pour les consommateurs et les annonceurs. Prendre le virage numérique n’est toutefois pas sans conséquences ; les entreprises qui l’ont fait ont dû subir des restructurations et ont probablement essuyé des pertes de profits et de rentabilité à court terme, mais c’est sur leur survie à long terme qu’elles exerceront une influence en redéfinissant leur modèle.

Catalyseurs d’innovation

Il existe aujourd’hui des solutions sur le marché pour accompagner les équipes dirigeantes à mener à bien leur processus d’innovation. Sans aller dans un accompagnement total, des programmes dits catalyseurs d’innovation ont vu le jour. Le concept est simple et ambitieux : insuffler la culture de l’innovation à des collaborateurs en 90 jours. Au moyen de différentes phases et d’ateliers, une équipe pluridisciplinaire a pour objectif de définir un ou deux concepts innovants et de les mettre en œuvre. Ce programme vise à démontrer aux employés l’efficacité de nouvelles méthodes de travail, à abandonner le fonctionnement en silo et à rendre tangible l’innovation en mettant concrètement en œuvre des projets au moyen de livrables définis selon les impacts économiques mesurables. Une des clés de la réussite demeurera l’engagement et la créativité des salariés tout au long du processus de transformation numérique de l’entreprise.

Gardons bien à l’esprit que nous vivons dans une société de la connaissance et que toutes les entreprises ont accès au savoir. Le temps où les dirigeants savaient et où les employés obéissaient est désormais révolu. Aujourd’hui, les employés savent, et c’est aux dirigeants de créer la dynamique de la créativité.