Article publié dans l'édition printemps 2016 de Gestion

Plus que jamais, les chercheurs universitaires travaillent de pair avec les entreprises pour les aider à innover, à accroître leurs performances et à résoudre des problèmes complexes. Toutefois, au Québec, trop peu d’organisations semblent connaître l’existence de ces ressources, et encore moins y ont recours. Gestion se propose de remédier à cette situation en présentant différentes avenues de collaboration avec le milieu de la recherche.

Depuis 2012, la société suédoise Netclean commercialise une solution élaborée par Jean-Pierre David, un professeur de Polytechnique Montréal. Vendue aujourd’hui à l’échelle mondiale, cette technologie particulièrement novatrice sert à lutter contre l’exploitation sexuelle des enfants. À la fin de 2013, Medlink a reçu une licence d’exploitation de Tavierx, une plateforme d’accompagnement des personnes atteintes de maladies chroniques pour l’observance de leur traitement. Ce système d’infirmière virtuelle a été conçu par la chercheuse José Côté pour répondre au contexte actuel de réorganisation des services de santé et de rareté grandissante du personnel de soins.


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Le point commun entre Netclean et Medlink ? Toutes deux ont fait appel à des sociétés de valorisation. Créées par le gouvernement du Québec pour favoriser la commercialisation des innovations issues de la recherche menée dans les universités du Québec, elles donnent aux entreprises un accès non seulement à des technologies de pointe mais aussi à du financement afin de les adapter à leur contexte d’affaires. « Nous aidons les entreprises québécoises à s’approprier plus facilement le fruit de la recherche et à devenir ainsi plus compétitives », explique Thomas Martinuzzo, directeur principal, sciences et génie, opérations et développement des affaires, chez Unilavor.

Innover en misant sur l’inédit

Pour ce faire, Univalor propose deux avenues : la possibilité de dénicher de nouvelles idées à commercialiser parmi son portefeuille d’innovations ou encore faire appel aux 2 600 chercheurs que compte son réseau pour trouver la solution qui permettra de régler un problème précis ou qui comblera un besoin particulier. « Nous détenons actuellement 175 brevets, et 275 demandes sont en instance d’approbation, précise Thomas Martinuzzo. Par ailleurs, si nous ne détenons pas l’expertise nécessaire dans notre réseau, nous lançons une recherche à l’international pour la trouver. »

Dans quel contexte est-il plus bénéfique de traiter avec Univalor ? À la différence des centres collégiaux de transfert de technologie, auxquels on peut faire appel pour régler un problème technique ponctuel, Univalor travaille surtout sur des projets qui permettront aux entreprises de gagner des parts de marché. Il peut s’agir tant d’un nouveau produit à lancer que d’une nouvelle technologie à implanter. La plupart de ses clients cherchent à compléter leur portefeuille de produits ou à affirmer leur position dans un marché. Pour ce faire, ils ont besoin de nouvelles propriétés intellectuelles.

Résoudre des problèmes complexes

Les universités proposent quant à elles d’autres modèles de collaboration. Ainsi, à HEC Montréal, bon nombre de chercheurs aident les organisations à résoudre des problèmes de gestion complexes en mettant leur expertise à contribution, notamment grâce à leurs pôles. Une équipe de recherche est alors constituée pour étudier la situation et y apporter des solutions. Ces projets peuvent aussi rassembler plusieurs organisations qui connaissent des problèmes similaires et qui décident d’investir des ressources en commun pour les résoudre. Au final, tout le monde y gagne, car les chercheurs font avancer leurs connaissances.

« Contrairement aux entreprises, le milieu de la recherche a le temps de réfléchir autrement et de tester différentes hypothèses, explique Jacques Robert, directeur associé, recherche et transfert, et professeur titulaire à HEC Montréal. Côtoyer ce milieu contraint les dirigeants à s’extirper de leur quotidien pour développer une vision à plus long terme. C’est comme s’ils venaient à l’université pour participer à la création de nouvelles approches et ainsi apprendre différemment. »

Ces projets permettent également aux entreprises d’innover à des coûts abordables, pourvu qu’elles acceptent qu’une partie des connaissances acquises au cours du projet puissent être retransmises au domaine public sous forme de séminaires, d’études de cas, d’applications et éventuellement de formations menant à des diplômes et à l’acquisition de compétences reconnues.

« Mais attention, il ne faut surtout pas confondre contrats de consultation et projets de recherche, car les exigences en matière d’implication sont fort différentes, prévient Jacques Robert. À titre d’exemple, au Tech3Lab, notre laboratoire spécialisé en expérience utilisateur (UX), certains contrats de recherche peuvent s’échelonner sur plusieurs années. Toutefois, au final, non seulement l’organisation bénéficie de toute cette connaissance de pointe mais elle peut également recruter les étudiants à la maîtrise et au doctorat qui ont travaillé sur sa problématique. » C’est ce qu’a d’ailleurs fait La Presse+ lorsqu’elle a fait appel à ce laboratoire unique pour tester son interface avant le lancement de sa plateforme.

Le génie au service de l’industrie

Sur le plan de la productivité, les entreprises québécoises accusent un certain retard, et le Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ) est là pour les aider à devenir plus compétitives. « Avec les accords de libre-échange que le Canada s’apprête à signer avec le Pacifique et l’Europe, la concurrence sera encore plus féroce, constate Denis Hardy, président-directeur général de cette société d’État. D’où l’importance de se préparer en conséquence. Or, encore aujourd’hui, trop d’entreprises viennent nous rencontrer lorsque leur survie est menacée. La plupart sont aux prises avec de graves problèmes de production ou de respect des normes environnementales. Heureusement, certaines nous consultent aussi pour accroître leurs parts de marché, développer de nouveaux créneaux et mieux rivaliser. »

Travailler avec le CRIQ, c’est faire affaire avec la plus grande équipe de chercheurs multidisciplinaires au Québec dans les domaines de l’automatisation, de l’environnement, de l’information décisionnelle et de la normalisation. « Notre organisation compte 200 employés, dont la majorité sont des chercheurs en génie et en chimie, précise Denis Hardy. Notre objectif : concevoir une solution le plus rapidement possible au prix le plus bas possible. Et si nous ne détenons pas l’expertise, nous sommes très réseautés dans l’écosystème de la recherche. »

Le CRIQ compte de nombreuses innovations à son actif, notamment le développement de l’antirouille Métropolitain et la conception d’une ficeleuse à poulets qui a permis à l’entreprise québécoise Exceldor non seulement de moderniser ses installations mais surtout d’automatiser des tâches pour lesquels elle éprouvait d’importantes difficultés de recrutement.

En parallèle, le CRIQ réalise les essais nécessaires pour rendre les produits conformes aux exigences des marchés d’exportation. Ces essais permettent de réduire le temps de développement des produits, d’augmenter leur fiabilité et même parfois de cerner des problèmes avant qu’ils ne surviennent. Le monorail de Disneyland a notamment été testé par le CRIQ.

Dernière acquisition : une imprimante 3D. Cette technologie suscite actuellement un engouement sans précédent et s’implante rapidement sur la planète. Elle permet notamment de fabriquer des pièces autrement impossibles à usiner, de créer rapidement des prototypes et de produire en courtes séries. Il s’agit d’un gain indéniable pour les entreprises québécoises.


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Que sont les sociétés de valorisation ?

Univalor travaille de concert avec les chercheurs que regroupe Campus Montréal (Université de Montréal, HEC Montréal, Polytechnique Montréal) et ses centres de santé affiliés. Pour aider les entreprises à être plus compétitives, elle dispose de trois véhicules principaux : la licence de brevets, qui permet de tisser des partenariats avec l’industrie pour concevoir et mettre en marché de nouvelles technologies, la création d’entreprises dérivées et la vente de savoir par l’entremise d’eValorix. Cette filiale propose quelque 800 produits en ligne tels que des études de cas, des guides, des logiciels, des applications mobiles et des tests psychométriques qui ont été conçus par 500 chercheurs provenant de 70 universités du monde entier.

Le Québec compte deux autres sociétés de valorisation : la Société de valorisation des applications de la recherche, qui est liée à l’Université Laval et à l’Université du Québec à Chicoutimi, et Aligo Innovation, qui est rattachée à l’Université de Sherbrooke, à l’Université McGill, à l’Université Bishop’s, à l’Université Concordia et aux autres universités membres du réseau de l’Université du Québec.

Des règles du jeu différentes

Ainsi, faire appel au milieu de la recherche peut mener à de grandes réalisations. Toutefois, pour éviter les déceptions et les frustrations, il vaut mieux savoir dans quelle aventure on s’embarque et en préciser les paramètres dès le départ

Car travailler avec des chercheurs demande du temps. « Bien que nous fassions tout en notre pouvoir pour accélérer le processus de maturation, il ne faut surtout pas s’attendre à mettre la main sur un produit utilisable demain matin, prévient Thomas Martinuzzo. Un chercheur universitaire travaille sur l’avenir et, par conséquent, sur des technologies qui ont souvent encore besoin d’être améliorées. »

Dernier conseil : pour tirer pleinement profit de l’expérience, il faut s’assurer que la relation soit profitable pour les deux parties et que celles-ci aient des motivations conciliables.