Le manque de main-d’œuvre est un thème récurrent dans les échanges au sein des directions d’entreprise ou lors d’événements organisés par les chambres de commerce. Si les courbes démographiques appuient en effet ce constat, que je ne remets évidemment pas en question, il convient de s’interroger sur les solutions qui peuvent être apportées à ce problème.

De l'erreur et de la lenteur politiques

Cette situation étant indéniablement liée aux différentes politiques mises en œuvre par les gouvernements successifs, il est tout aussi certain qu’une amélioration ne viendra que par des mesures gouvernementales. Sur ce point, deux pistes principales sont à l’étude : l’augmentation du taux de natalité et l’immigration.

Si, d’une part, des naissances plus nombreuses sont la solution logique à un tel problème, les résultats visibles ne pourront être observables qu’après 18 à 20 ans, le temps pour ces bambins d’intégrer le marché du travail. D’autre part, l’apport de travailleurs étrangers demande lui aussi un délai incompressible d’au moins deux ans en règle générale, le temps pour ceux-ci d’obtenir la résidence permanente, de faire valoir leurs acquis, d’organiser un déménagement et de trouver un emploi.

Par ailleurs, la reconnaissance des diplômes peut mettre en péril l’intégration de ces immigrés au marché du travail. Nous ne comptons plus les médecins chauffeurs de taxi, les infirmiers qui sont parfois poussés à une réorientation professionnelle… Au-delà de la simple volonté politique, les ordres professionnels doivent aussi être impliqués dans l’élaboration d’une véritable solution, à base de compromis entre la qualité et la quantité des permis d’exercice délivrés et les réalités du terrain.


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Si, de surcroît, nous prenons en compte la situation actuelle, il devient presque évident que les premiers effets seront peu visibles, car l’augmentation du nombre de travailleurs ne permettra, dans un premier temps, que de stabiliser le déclin. Ainsi, il faudra poursuivre les mesures prises sur deux à cinq ans avant de retrouver un niveau convenable.

La politique est donc à l’origine de la pénurie de main-d’œuvre et il ne faudra pas s’attendre à voir de changement d’importance avant 5 à 20 ans. Par conséquent, des solutions doivent être trouvées au sein de l’entreprise pour limiter les effets négatifs du manque de main-d’œuvre.

… aux contraintes imposées aux ressources humaines …

Nombre de directeurs attendent que les ressources humaines innovent pour garantir une relève efficace des différents postes, voire qu’elles appuient la croissance de l’entreprise.

Une des pistes envisagées est l’élaboration d’une stratégie de développement des compétences. Celle-ci comporte de multiples avantages, bien que sa mise en œuvre tende à complexifier la gestion du personnel et le recrutement. Pour autant, à mon avis, il s’agit de la meilleure solution existante, à condition de se l’approprier et de l’adapter à son entreprise.


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Cette méthode consiste à évaluer chaque personne selon son savoir (ses qualifications, ses diplômes), son savoir-faire (son expérience) et son savoir-être (son comportement, sa tenue). L’objectif est de ne plus tenir compte uniquement de la formation du travailleur, mais plutôt de juger de son potentiel. L’idée derrière peut être de former les employés pour les adapter au poste précis qu’ils auront à occuper, et il est alors possible de définir tout un plan de carrière, même si cela est surtout réservé aux grandes entreprises.

Pourtant, à regarder de près les offres d’emploi, il semble que la recherche du « mouton à cinq pattes » soit encore bien d’actualité. Ces longues listes d’exigences s’avèrent parfois un peu risibles quand est révélé le candidat retenu. Nous avons tous l’exemple du doctorant recherché qui se transforme en une personne disposant d’un baccalauréat. Nous sommes d’accord que l’important n’est pas là. Néanmoins, est-ce que l’entreprise en question est certaine d’avoir recruté la meilleure personne ? D’autres candidats pourraient ne pas avoir postulé de crainte de ne pas satisfaire les critères minimaux.

En réalité, dans de tels cas, il s’agit plutôt de contraintes imposées aux ressources humaines qui doivent continuer de recruter des talents en se basant sur des critères établis par des directions exigeantes bien plus qu’en fonction d’une vraie stratégie.

… la solution à la pénurie de main d'œuvre doit venir du management

D’ailleurs, puisque le mot est écrit, il est regrettable de ne pas voir de réelle prise en compte humaine dans la stratégie de l’entreprise. Malgré les différents plans affichés, il s’agit bien souvent de missions annexes qui laissent présager de l’importance accordée, en définitive, à ce cas de figure.

Beaucoup pourront critiquer ce point de vue, mais force est de constater les écarts entre ce qui est dit et ce qui est fait. Par exemple, certains directeurs préfèrent laisser des postes vacants et relancer la sélection plutôt que d’embaucher des personnes ne répondant pas à l’ensemble de leurs critères. Je peux citer de nombreux cas, du secrétaire au vice-président. Pourtant, il est évident qu’un employé absent induit un report des tâches sur d’autres et qu’une telle situation nuit au bon fonctionnement de l’entreprise, sans compter les coûts liés au processus de recrutement1.

Dès lors, seule une implication totale des directions, donc une réelle stratégie d’entreprise, devrait apporter les solutions recherchées. Pour ma part, je crois qu’une refonte des fiches de poste est nécessaire, sous la supervision des ressources humaines, afin d’inclure les compétences strictement minimales à posséder et les compétences souhaitables pour être performant. Les ressources humaines pourront par la suite rédiger une offre d’emploi en transposant le souhaitable en contrat d’objectifs assujetti à des primes. Par exemple, un secrétaire devra maîtriser la suite bureautique, être rigoureux et ordonné et devra, dans un délai de six mois, obtenir des certificats de bilinguisme et de maîtrise du logiciel de suivi des clients.

Ce dernier exemple ouvre la porte à de nouvelles perspectives : le salaire pourrait être établi selon les compétences réellement utiles à l’entreprise, un employé pourrait augmenter son revenu selon ce même principe, l’entreprise pourrait recruter des personnes à un salaire de départ plus faible pendant la période probatoire du contrat d’objectifs, il pourrait également être question de prime remboursable en cas de manquement aux objectifs…

Surtout, ce principe permettrait aux entreprises d’établir un système d’apprentissage entre les jeunes retraités et les nouveaux employés. Les premiers pourraient continuer de travailler après avoir quitté leur poste pour former la relève à temps partiel, tandis que les seconds seraient moins payés au départ, mais gagneraient une formation utile et valorisante. Ainsi, le surcoût lié à cette idée serait en partie atténué par des salaires plus faibles. L’entreprise serait alors gagnante sur les plans de la culture interne (partage des connaissances), du rayonnement externe (employés mieux valorisés) et du recrutement (plus grand panel de candidats).

Évidemment, d’autres solutions existent, mais en définitive, seules la prise en compte du manque de main-d’œuvre, l’ouverture d’esprit et la collaboration entre l’ensemble des directions conduiront au succès de l’entreprise. En revanche, considérer qu’il est préférable d’attendre une réponse extérieure peut mener à des lendemains délicats.

La pénurie de main-d’œuvre est la conséquence de politiques suivies par les différents gouvernements qui ne sauront apporter de résultats avant cinq ans. Cela étant dit, des stratégies humaines doivent être mises en place pour donner plus de souplesse au recrutement et ainsi permettre de retrouver une liberté d’action au sein des entreprises. C’est de cette façon que certaines d’entre elles pourront continuer leur croissance et donc tenir des places de leader demain.


Note

1 Les coûts liés au processus de recrutement peuvent être directement financiers (affichage de l’offre, contrat avec un cabinet spécialisé, l’absence d’un employé peut aussi avoir une incidence sur les revenus de l’entreprise), horaires (pour le comité de sélection qui devra analyser les candidatures et être présent lors des entrevues) ou opérationnels (un poste qui tarde à trouver un remplaçant peut induire une perte de savoir-faire ou des oublis dans les consignes).