Article publié dans l'édition été 2016 de Gestion

Qualifier le sociofinancement de phénomène marginal serait impensable de nos jours. L’an dernier seulement, il a permis d’amasser quelque 30 milliards $US à l’échelle internationale. À elle seule, la campagne orchestrée autour du jeu vidéo Star Citizen a constitué une véritable révolution avec un total amassé de 97 millions de dollars. Quels facteurs expliquent un tel succès et comment peut-on s’en inspirer ?

Il existe actuellement 1 250 plateformes de sociofinancement actives qui s’offrent aux créateurs du monde entier alors que le nombre de campagnes de financement réussies a déjà dépassé le cap du million en 2012. Mais aucune ne s’est autant démarquée que celle orchestrée autour du jeu vidéo Star Citizen, amorcée en 2012 et qui détient aujourd’hui le record Guinness en matière de sociofinancement, loin devant son dernier détenteur, qui avait réussi à amasser 17 millions. Et ce n’est pas fini : par exemple, le projet lancé par l’entreprise américaine Cloud Imperium continue d’engranger autour de trois millions $US chaque mois, avec des pointes qui atteignent parfois les huit millions.

Cette incroyable réussite repose en grande partie sur la notoriété et le génie de Chris Roberts, le concepteur du projet, à qui on doit aussi la création des célèbres jeux Wing Commander et Freelancer. Il est toutefois intéressant de savoir que c’est l’expertise d’une firme québécoise qui a permis à ce créateur américain de largement dépasser ses objectifs. « Après un début de campagne plutôt lent, le promoteur nous a demandé de concevoir un site Web alliant une plateforme de sociofinancement plus costaude et des outils de gestion de communauté performants », explique Marc Beaudet, président de la société Turbulent.

« Le caractère novateur du projet ne se limite cependant pas à son succès financier, précise Benoît Beauséjour, chef des technologies chez Turbulent. Le véritable coup de maître du promoteur est d’avoir réussi à créer une communauté d’adeptes qui lui permettent non seulement de corroborer ses idées mais aussi de monnayer chaque étape de conception du jeu. À ce jour, cette communauté compte plus d’un million de fans, dont 410 000 ont contribué financièrement, ce qui représente un taux de conversion extrêmement élevé selon les standards d’Internet. »

Ces adeptes ont une influence directe sur le développement du produit. Ils peuvent exprimer des commentaires ou des idées d’amélioration, acheter des vaisseaux spatiaux virtuels, inviter des amis, tester en primeur les différents volets du jeu, etc. Des espaces de discussion (forums et clavardage) leur permettent de s’engager activement et d’échanger avec les concepteurs. Le site sert également de lieu de rassemblement où les futurs joueurs peuvent créer des organisations à même le simulateur spatial.

Le travail de la firme Turbulent consiste à soutenir technologiquement le projet et à adopter des stratégies qui permettront de tenir les fans en haleine. En procédant ainsi, Chris Roberts s’assure non seulement de recruter ses clients avant même d’avoir lancé son produit mais surtout de permettre le développement à l’infini du jeu… du moins, tant que l’inspiration et l’intérêt seront au rendez-vous.

Pour ce faire, les stratèges doivent sans cesse se réinventer et rivaliser d’ingéniosité. « L’an dernier, nous avons même organisé un concours de type American Idol auprès de la communauté afin de trouver des artistes 3D pour créer le prochain vaisseau spatial, illustre Benoît Beauséjour. Chaque semaine, nous produisions une émission de télévision en ligne de qualité professionnelle, avec des juges. Au final, l’équipe gagnante a conçu un astronef qui a été intégré au jeu et l’entreprise a engagé deux participants. »

Chris Roberts entretient ainsi une interaction constante avec ses fans. « Il a créé une véritable relation avec eux ; ce ne sont pas seulement des clients, précise Marc Beaudet. Il les rencontre, les écoute, s’investit avec franchise et authenticité. Les gens sentent que leur avis est écouté avec sérieux. Cette attitude lui a permis non seulement de créer un véritable sentiment d’appartenance mais aussi de développer une confiance sans laquelle il n’aurait jamais pu amasser autant d’argent. »

Le recours des mal-aimés

Un tel succès a évidemment de quoi inspirer les créateurs désireux de concrétiser leurs idées. Alors, dans quel contexte le financement participatif s’avère-t-il le meilleur outil ? « Il faut préciser que la grande majorité des projets subventionnés par du financement participatif se sont d’abord vus refuser l’accès aux voies d’investissement classiques, souligne Benoît Beauséjour. En règle générale, ce sont des projets mal aimés qui sont jugés trop ambitieux pour qu’une entreprise ou une banque veuille courir le risque de les financer. En outre, ils sont souvent trop novateurs pour être admissibles aux subventions gouvernementales. »

Le projet de Chris Roberts entrait directement dans cette catégorie : aucun producteur ne voulait investir 250 millions $US dans la conception d’un jeu destiné aux ordinateurs alors que le marché est actuellement dominé par les jeux sur console. « Ce projet était beaucoup trop révolutionnaire et trop risqué pour être soutenu par une entreprise privée ; seule une communauté de fans, qui attendaient ce produit depuis des années, pouvait l’aider à voir le jour », soutient Benoît Beauséjour.

Même constat pour la campagne de sociofinancement orchestrée autour de la montre Pebble Time, qui a permis d’amasser 20 millions $US sur la plateforme Kickstarter. Le promoteur Eric Migicovsky a opté pour le financement participatif lorsque toutes ses tentatives destinées à attirer des investisseurs majeurs ont échoué. Personne ne voulait financer ce projet de montre intelligente dotée d’un écran non tactile à encre électronique.

Bien que le sociofinancement ait toujours existé, il y a aujourd’hui des outils de mobilisation extrêmement performants. « Avant, seules les grandes causes pouvaient s’attirer l’appui des gens, mais aujourd’hui, même les projets les plus modestes peuvent être ainsi soutenus », conclut Benoît Beauséjour.

categories les plus actives en 2014

Source : Massolution, Crowdfunding Industry Report – Market Trends, Composition and Crowdfunding Platforms

Quelles conditions doit-on réunir pour réussir ?

Certaines conditions s’imposent pour réussir une campagne de sociofinancement. Il ne suffit pas d’avoir une bonne idée : il faut aussi savoir la vendre.

Présenter un concept abouti

Le concept doit être suffisamment développé pour convaincre un groupe de le soutenir. Les projets trop embryonnaires sont à proscrire.

Soigner sa présentation

D’excellents projets n’ont malheureusement pas réussi à attirer les fonds nécessaires parce que leur présentation était à ce point bâclée qu’elle n’inspirait pas confiance. « Il faut produire du contenu suffisamment clair et attrayant pour inciter les gens à investir dans une idée, soutient Benoît Beauséjour. Le message doit être concis, et la facture, professionnelle. Les gens doivent rapidement comprendre ce qu’on cherche à faire, en quoi c’est différent et pourquoi on a besoin de leur aide. »

Trouver sa communauté

Parcourez le Web à la recherche de communautés susceptibles de s’intéresser à votre projet. Chris Roberts a ainsi pu découvrir qu’un groupe de 25 000 admirateurs s’intéressait toujours à son premier jeu à succès, Wing Commander. Cette communauté est devenue la pierre d’assise de sa campagne, et il a même embauché un grand admirateur comme animateur de communauté. Il a non seulement pu lancer son projet avec des milliers de contributeurs potentiels mais il s’est aussi adjoint la personne clé pour les mobiliser.

Bien choisir sa plateforme

Les plateformes se comptent aujourd’hui par milliers et s’adressent à différents marchés. Certaines promeuvent tous les types de projets alors que d’autres se consacrent à des créneaux spécifiques. Les plus connues sont Kickstarter (É.-U.), Indiegogo (É.-U.) et Ulule1 (Europe). Créée en 2011, Haricot a été la première plateforme de sociofinancement au Québec. Il en existe toutefois plusieurs autres. À noter : certains promoteurs, à l’instar de Chris Roberts, testent d’abord le marché sur une plateforme reconnue et, une fois le délai écoulé, se dotent de leur propre plateforme.

Communiquer

Tout au cours de la campagne, l’activité de communication doit être très intense. Les 48 premières heures sont déterminantes. On expédiera donc des messages à des listes d’envoi, on sollicitera les membres des communautés répertoriées et on les incitera à en parler à leur entourage. Plus le promoteur est charismatique et crédible, plus il sera facile de susciter l’engagement.

Être authentique

« Les gens sont très sensibles à tout ce qui sonne faux. Certaines entreprises bien établies ont voulu emprunter la voie du sociofinancement pour réaliser leurs projets, mais les consommateurs ont vite détecté les entourloupes des spécialistes des relations publiques, aussi habiles soient-ils. D’autant plus qu’avec Internet, les dénonciations circulent à la vitesse grand V », explique Benoît Beauséjour.

Rester actif

« Lancer une campagne de financement participatif exige aussi de nouvelles habiletés, poursuit Benoît Beauséjour.

Il faut savoir gérer une communauté en ligne, la faire croître et susciter l’engagement des participants. Cet échange en continu requiert de la souplesse, de l’ouverture d’esprit et une grande rapidité d’exécution. Ces nouvelles façons de faire transforment totalement notre travail. Nous sommes constamment en mode apprentissage. Notre succès repose sur l’art de composer avec les demandes des fans tout en respectant nos propres contraintes. »

Garder le contact

« Trop de promoteurs abandonnent leurs investisseurs une fois les sous amassés, déplore Marc Beaudet. Il faut entretenir le lien avec les fans, les informer de l’avancement des travaux. Sinon, qui achètera le produit une fois qu’il sera disponible ? Le sociofinancement représente la meilleure étude de marché qu’on puisse faire. Décevoir les personnes qui vous ont fait confiance équivaut à gâcher une incroyable occasion sur le plan du marketing. »


Notes

1. Retrouvez les conseils du FONDATEUR DE ULULE pour réussir sa campagne de sociofinancement (exclusivement sur tablette)