Article publié dans l'édition automne 2016 de Gestion

Vouloir transformer son organisation peut s’avérer soit un long périple semé d’embûches organisationnelles et humaines, soit un voyage stimulant qui permettra d’obtenir les bénéfices escomptés. Pour réussir, une approche structurée qui intègre le volet humain est un aspect incontournable.

Rassembler les conditions nécessaires

Avant de commencer, le dirigeant à qui on confie la responsabilité de gérer le changement ou d’accompagner les équipes et l’organisation lors d’une transformation doit s’assurer de certaines conditions de départ : un mandat clair, un rôle bien défini, le pouvoir requis et la marge de manœuvre adéquate, suffisamment de temps pour lui et pour les acteurs clés (les cadres, par exemple), un budget approprié et, au besoin, une équipe ayant les compétences requises pour l’épauler. Il devrait aussi se poser des questions en ce qui concerne son intérêt et sa propre légitimité à porter ce projet de transformation.

Par la suite, en compagnie du décideur ou du propriétaire du projet, il pourra valider sa compréhension en fonction de trois axes :

  • Le projet de transformation : sa pertinence pour l’organisation, son urgence, ce qui va changer et ce qui ne changera pas, une vision mobilisatrice, ce que le projet remet en cause (structure, culture, connaissances, compétences, organisation du travail, etc.), les bénéfices recherchés, l’échéancier, le budget, etc. Ces informations devraient leur permettre d’établir les bases des conversations qu’ils partageront par la suite avec le reste de l’organisation.

  • L’organisation : la performance financière actuelle et anticipée, les pressions de l’environnement externe, la position concurrentielle sur le marché, la satisfaction des clients, l’historique et le degré de succès des changements passés, l’engagement de la haute direction, la maturité des pratiques en gestion de projet et en gestion du changement, la capacité des cadres à intégrer des changements dans leurs opérations courantes, etc. Ces informations leur permettront de mesurer la capacité de leur organisation à changer ; si elle s’avère faible, ils devront planifier davantage d’activités d’accompagnement bien ciblées et possiblement revoir le rythme de l’implantation de cette transformation ou d’autres projets en cours afin de trouver le juste équilibre parmi les changements possibles pour leur organisation.

  • Les acteurs : la structure de pilotage à créer, l’équipe chargée du projet, la création d’une équipe de gestion du changement (qui doit être représentative des unités touchées et comprendre des cadres, des employés, le syndicat, etc.), les unités et directions touchées, les personnes et les groupes influents, les groupes plus ou moins intéressés, les parties prenantes critiques et les groupes de pression. Ce diagnostic leur permettra d’identifier les bons ambassadeurs et de les mobiliser suffisamment pour que le changement puisse réussir.

Leur compréhension commune les amènera à prendre des décisions éclairées, adaptées et ajustées à leur contexte.

Risque : pour qu’une transformation réussisse, il faut faire des choix contextualisés, sinon le dirigeant responsable de la transformation pourrait ne pas obtenir les bénéfices escomptés.

La compréhension commune du projet de transformation

On dit souvent qu’il faut annoncer le changement et convaincre les cadres et les employés de s’y adapter. Or, si on veut mobiliser les gens, il faut susciter des conversations riches qui entraînent des échanges honnêtes et transparents à propos des véritables enjeux de la transformation.

L’art de la mobilisation consiste à amener les cadres et les employés à visualiser un projet dans lequel ils ont envie de s’engager. Pour ce faire, il ne suffit pas d’annoncer un changement. Il faut surtout discuter de sa pertinence en fonction d’une finalité mobilisatrice. Il ne faut pas éviter d’évoquer la possibilité de pertes d’emplois lorsqu’une telle mesure s’avère nécessaire : il faut faire preuve de transparence. Donner une information juste et au bon moment, même lorsqu’il s’agit de mauvaises nouvelles, c’est lever le voile sur l’incertitude et permettre aux gens de passer à l’action. Assurer que les départs se feront avec dignité et respect, c’est faire preuve de bienveillance, et cela sera apprécié autant des employés qui partiront que de ceux qui resteront.

Risque : si les raisons de la transformation ne sont pas comprises, on court le risque de maintenir le statu quo.

L’adhésion au plan de transformation

Une fois que le projet est bien compris, une stratégie efficace pour stimuler l’adhésion consiste à susciter des échanges entre les diverses équipes impliquées et leurs supérieurs immédiats. Ces conversations pourront porter sur les effets du changement et sur la solution à valeur ajoutée. Chaque supérieur prendra ensuite connaissance des préoccupations de son équipe, y répondra dans la mesure du possible ou alors obtiendra les réponses auprès du responsable du changement de façon à prévenir les comportements de résistance. S’il se rend compte qu’un leader négatif démobilise ses troupes, le supérieur le rencontrera et déterminera avec lui ce qui est à l’origine de ses réticences, lui demandera des pistes de solution ou exigera un certain comportement en précisant ce qui est négociable et ce qui ne l’est pas. Il doit démentir toute fausse rumeur en donnant l’heure juste et réajuster le tir au fur et à mesure que de nouvelles questions surgissent.

Cinq questions pour communiquer le projet de transformation
  1. D'où vient l'idée du changement et où celui-ci doit-il mener?

  2. Pourquoi procède-t-on maintenant à ce changement?

  3. Quels en sont les bénéfices pour l'organisation, pour les cadres et pour les employés?

  4. Quels indicateurs utilisera-t-on pour mesurer le succès de cette transformation?

  5. Quelle démarche entreprendra-t-on pour implanter le changement?

Pour y arriver, il faut que les cadres se sentent soutenus par le responsable du changement et par le décideur.

Risque : la résistance au changement peut faire échouer un changement ou ralentir un projet.

La mobilisation des parties prenantes

Rien n’est moins crédible qu’une consultation sans suite. Une vraie participation responsabilise les acteurs. Dans le cadre d’une transformation, un responsable peut avoir recours à différentes stratégies avec des membres influents de ses équipes :

  • créer des processus à valeur ajoutée ;

  • clarifier les effets du changement sur les diverses parties prenantes ;

  • rédiger un plan de mise en œuvre (objectifs, rythme, activités, responsables, etc.) ;

  • communiquer avec leurs pairs ;

  • concevoir des exercices de formation ;

  • créer un réseau d’agents de changement dans chaque unité.

Risque : si aucun effort supplémentaire n’est fourni par le personnel pour implanter le changement et si aucune rétroaction n’est donnée par la direction, le cynisme s’installe et plus rien ne se passe.

Le transfert des apprentissages

Les équipes de direction qui choisissent de débourser de fortes sommes pour concevoir et implanter un programme de formation au sein de leur organisation sont souvent persuadées que la totalité du personnel a tout assimilé à la fin des séances de formation. Or, bien souvent, ce n’est pas le cas. Le suivi de la formation est essentiel pour vérifier que le transfert s’est bien opéré. Le gestionnaire a alors quelques options à sa disposition :

  • chercher à savoir s’il y a des obstacles structurels (installations, équipement, etc.) qui empêchent les employés d’exécuter leurs nouvelles tâches ;

  • demander aux employés comment il pourrait les aider à s’adapter au changement (aide-mémoire, accompagnement professionnel, temps d’adaptation, période de transition, etc.) ;

  • s’enquérir de ce qu’il leur reste à apprendre afin de devenir fonctionnels et efficaces.

Pour susciter ces conditions, le responsable de la gestion du changement aura choisi un modèle de formation qui puisse répondre aux besoins des employés. Il aura aussi créé une équipe de formateurs internes et déterminé un moment opportun pour livrer cette formation.

Risque : s’il n’y a pas de transfert des apprentissages, la formation aura coûté très cher et n’aura servi à rien, ce qui risque de compromettre encore davantage l’atteinte des bénéfices escomptés.

La période de transition

Pour favoriser la rétention et le maintien des nouveaux comportements, le supérieur immédiat peut prévoir une période de transition durant laquelle :

  • il instaurera un climat rassembleur en convenant avec ses employés de l’évolution réaliste des objectifs à court terme de l’équipe ;

  • il testera des idées d’amélioration sur de courtes périodes ;

  • il encouragera l’exploration, la créativité et l’innovation ;

  • il considérera la capacité de s’adapter au changement comme une compétence à développer ;

  • il reconnaîtra les bons coups plutôt que de punir les erreurs ;

  • il démontrera l’évolution de la performance du groupe et félicitera son équipe des efforts fournis.

Le responsable de l’accompagnement aura intérêt à préparer les gestionnaires à cette période de transition et à adapter certains systèmes de gestion des ressources humaines (exemples : appréciation du rendement et de la contribution, clarification des rôles et des compétences requises, révision des contrats psychologiques, etc.).

Risque : si le temps requis pour modifier des comportements et travailler autrement n’est pas prévu dans une période de transition, les nouveaux comportements risquent de ne pas s’installer et de ne pas se maintenir.

Regard vers l’avenir et amélioration continue

Quand le transfert des apprentissages est consolidé, il est temps de dresser le bilan du chemin parcouru, d’en tirer des apprentissages en vue des changements suivants et de mesurer les gains d’efficacité et d’efficience réalisés ainsi que les effets collatéraux (taux de rétention, acquisition de nouvelles compétences, santé et bien-être psychologique, engagement et mobilisation).

Surtout, il ne faut pas oublier de procurer du plaisir à tout le personnel en relevant le défi de la transformation grâce à des concours, des jeux, des quiz, etc. Il faut mesurer, remercier, renforcer les bons comportements, démontrer de la reconnaissance sincère pour les efforts déployés et les améliorations obtenues. Bref, il faut célébrer le succès et les apprentissages !

Risque : si ces conditions ne sont pas réunies, le changement risque de s’essouffler et une autre transformation sera nécessaire mais plus ardue, car le spectre de l’expérience avortée planera assurément.

*Article écrit en collaboration avec Céline Poissant, rédactrice-journaliste.


Pour en savoir plus

  • Céline Bareil, Sylvie Charbonneau et Aline Baron, Voyage au cœur d’une transformation organisationnelle – Récit et guide pas à pas, Montréal, Éditions JFD, 2016, 158 pages.