Article publié dans l'édition Automne 2021 de Gestion

La performance est au cœur des préoccupations des administrations publiques. L’apparition de la nouvelle gestion publique dans les années 1970 a non seulement accordé plus de liberté aux gestionnaires1 mais aussi conduit à une certaine quête de performance. Outil essentiel pour évaluer les activités, programmes et organismes gouvernementaux, l’audit de performance peut-il avoir plus d’effets?

Parmi les mécanismes utilisés pour évaluer la performance de l’administration publique, l’audit de performance occupe une place de choix. Les institutions supérieures de contrôle et les vérificateurs généraux y ont recours.

L’audit de performance vise ultimement à contribuer à l’amélioration de la gouvernance publique2 en guidant notamment les gestionnaires vers des mesures concrètes destinées à raffiner les pratiques en matière de gestion3. Le perfectionnement de ces pratiques passe par l’adoption des recommandations inscrites dans les rapports d’audit de performance, ce qui donne aux gestionnaires des pistes de solution avantageuses pour améliorer la performance de l’entité sous leur responsabilité.

La performance n’est pas facile à définir. Toutefois, on note qu’elle tient compte des trois dimensions suivantes: économie, efficience et efficacité4. En bref, la performance consiste à réaliser des économies en utilisant aussi peu de ressources que possible pour atteindre les objectifs. L’évaluation de la performance nécessite ainsi un outil qui intègre ces trois dimensions, ce que l’audit de performance permet.

Néanmoins, lors d’une étude que nous avons menée sur l’audit de performance dans l’administration publique5, nous avons constaté que cet outil avait un effet lent et modéré sur les administrations étudiées.

Des informations cruciales

Au fil des ans, l’audit de performance a retenu l’attention de plusieurs parties prenantes, dont certains chercheurs universitaires, qui ne sont pas unanimes quant à son apport dans les administrations publiques. Ainsi, il apparaît nécessaire de renforcer ses effets positifs sur l’administration publique. Mais comment en faire une source d’informations utiles pour les gestionnaires?

Diverses parties prenantes peuvent avoir accès au rapport d’audit de performance, dont les gestionnaires. Ceux-ci sont sur la ligne de front pour mettre en œuvre les recommandations de ce rapport, qui sert ainsi aux fins suivantes:

  • comme instrument de négociation en servant de base valable lors de discussions entre divers intervenants;
  • à titre d’instrument de changement en poussant les gestionnaires à agir pour faire avancer les choses;
  • comme instrument de référence en incitant les gestionnaires à regarder leur travail d’un autre œil pour les aider à mieux gérer.

Gérer, c’est prévoir, mais c’est aussi prendre des décisions à partir d’informations fiables, pertinentes et opportunes. Dans ce contexte, l’audit de performance constitue une source d’informations très utile pour que les gestionnaires puissent améliorer la gestion d’un appareil administratif public. Or, il arrive que l’audit de performance soit mal perçu.

Audit de performance: que faut-il surveiller?

Élaboration préalable des critères de performance

  • Définir les critères avec les gestionnaires bien avant le début de l’audit de performance
  • Prendre en considération certains facteurs internes (mission, vision et valeurs de l’entité publique)
  • Tenir compte de certains facteurs externes, notamment des bonnes pratiques en matière de gestion

Mesure des retombées de l’audit7

  • Évaluer les retombées financières (économies réalisées globalement grâce à l’audit de performance)
  • Tenir compte des retombées sociales (éducation, santé, logement)

Renforcement du pouvoir du vérificateur général

  • Modifier la réglementation pour accorder plus de pouvoir au vérificateur général afin que ses recommandations soient prises en compte

Sensibilisation des gestionnaires

  • Organiser des webinaires entre le vérificateur général et les gestionnaires sur les apports des audits de performance
  • Conscientiser les gestionnaires quant à l’importance de la réputation et du rôle de l’administration publique dans la société
  • Insister sur la nécessité d’une gestion performante et transparente

Un outil toujours efficace?

À partir de l’analyse que nous avons faite lors de notre étude, nous avons dégagé deux cas de figure.

1. L’aspect contraignant de l’audit de performance

Cet outil permet d’examiner la performance de l’administration et de questionner les effets d’une décision prise en toute bonne foi par les gestionnaires. Cela peut les rendre réticents à appliquer certaines recommandations. De plus, le déroulement d’un audit contraint parfois des employés ou des gestionnaires à être disponibles pour répondre aux questions des auditeurs. Plus encore, la venue des auditeurs peut coïncider avec une période de travail intensif dans l’unité administrative concernée. Tout cela peut donc alimenter une perception négative quant à l’audit de performance.

2. La remise en question de l’utilité de l’audit de performance

Bien qu’ils puissent être disposés à appliquer certaines recommandations du rapport d’audit de performance, les gestionnaires peuvent être aux prises avec des contraintes qui ne relèvent pas de leurs responsabilités. Ils peuvent alors être tentés de ne pas tenir compte de certaines recommandations, qui peuvent ainsi devenir désuètes par la suite.

Au final, l’audit de performance est un outil essentiel, pour autant qu’il soit bien perçu et bien compris par les gestionnaires.

Quatre axes de renforcement

Le renforcement des effets de l’audit de performance peut passer par les quatre axes suivants: l’élaboration préalable des critères de performance, la mesure des retombées de l’audit, le renforcement du pouvoir du vérificateur général et la sensibilisation des gestionnaires (voir le tableau de la page précédente).

Les gestionnaires au cœur de l’action

Le renforcement des effets de l’audit de performance risque de rester un vœu pieux si on ne tente pas par la même occasion de sensibiliser les gestionnaires à l’importance et à l’apport de cet outil lorsqu’il s’agit de rendre les administrations publiques encore plus efficientes.

Il faut organiser des webinaires lors desquels le vérificateur général doit faire part de sa mission et de sa vision aux gestionnaires. Il faut aussi montrer aux gestionnaires l’intérêt qu’ils ont à travailler de concert avec le vérificateur général et la façon dont la mise en application des recommandations de l’audit de performance contribue à accroître l’efficacité de l’administration publique. Ainsi, le vérificateur général pourrait jouer un rôle important en matière de sensibilisation des gestionnaires aux bienfaits de l’audit, aux risques d’atteintes à la réputation de l’administration publique et à l’obligation de reddition de comptes des gestionnaires. Par ailleurs, cet exercice constitue une occasion pour les gestionnaires d’expliquer les contraintes auxquelles leur unité administrative doit faire face. Cela permet aux deux parties non seulement d’être mieux informées pour s’entraider de manière fructueuse dans leurs fonctions mais aussi de planifier les tâches plus efficacement et de collaborer harmonieusement.

Un élément crucial à ne pas oublier: le renforcement des effets de l’audit de performance n’équivaut pas à empêcher les gestionnaires du secteur public de gérer eux-mêmes leur unité administrative ni à le faire à leur place. Il s’agit de les aider à gérer de manière plus économique, plus efficace et plus efficiente en mettant notamment en application les recommandations de l’audit de performance.


Notes

1. Amar, A., et Berthier, L., «Le nouveau management public: avantages et limites», Gestion et management publics (revue électronique du Réseau français d’enseignants, de chercheurs et d’experts en management public), vol. 5, décembre 2007.

2. Dees, M., «Le vérificateur dans le secteur public: le trait d’union de l’administration publique», Télescope, vol. 18, n° 3, automne 2012, p. 8-32.

3. Vacca, A., «Court of auditors’ performance auditing as a tool to enhance economy, efficiency, effectiveness and transparency in the public administration, an Italian perspective: strengths and weaknesses», International Journal of Public Law and Policy, vol. 4, n° 2, mars 2014, p. 103-119.

4. Demeestère, R., Le Contrôle de gestion dans le secteur public (deuxième édition), Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2005, 230 pages.

5. Maignan Joseph, M. S., et Héroux., S., «Audit de performance et administration publique» (cahier de recherche), Chaire d’information financière et organisationnelle (CIFO), ESG UQAM, 2020, 20 pages.

6. Morin, D., «La vie après une mission de vérification de l’optimisation des ressources: le point de vue des gestionnaires», Administration publique du Canada, vol. 43, n° 4, décembre 2000, p. 432-452.

7. Fondation canadienne pour l’audit et la responsabilisation (FCAR), «L’impact des audits de performance: définition, mesure et production de rapports» (document en ligne), 2019, 61 pages.