Production de données, analyses, divulgations de d'informations, conseils et recommandations sont autant d'attentes auxquelles le chef des finances doit répondre. Pour cela, il doit s'appuyer sur une équipe et des systèmes performants. Il doit donc rester attentif à la structure et aux processus de la fonction, et notamment s'interroger sur le coût du processus de production et de traitement de l'information comptable.

C'est sur ce thème que nous nous entretenons aujourd'hui avec Donald LeCavalier, CPA, CA et vice-président principal aux finances de TC Transcontinental. Au sein de cette entreprise, il supervise les activités de divulgation de l'information et d'analyse financière, de fiscalité, de contrôle interne ainsi que la trésorerie. Il est également responsable du Centre de services partagés soutien administratif et supervise le Service de la vérification interne et le Service des communications d'entreprise. 

Samuel Sponem : L'organisation de la fonction finance et des processus financiers est un enjeu majeur pour un chef des finances. Vous avez mené une importante réorganisation de la fonction finance dans votre entreprise. Pourquoi ?

Donald LeCavalier, CPA, CA, vice-président principal aux finances de TC Transcontinental

Donald LeCavalier, CPA, CA, vice-président principal aux finances de TC Transcontinental

Donald LeCavalier : Un chef des finances doit optimiser et simplifier les processus comptables et administratifs et cela passe souvent par une réorganisation de la fonction finance. Dans mon cas, il faut d'abord parler du contexte dans lequel se trouvait l'entreprise. Transcontinental s'est bâtie par acquisitions, ce qui occupait une grande partie de notre effort, et nous laissait peu de temps pour penser à améliorer nos processus administratifs. À une certaine période, on passait notre temps à fermer des livres, et des erreurs étaient détectées, nécessitant des redressements rétrospectifs. On a ressenti une frustration par rapport à notre rôle, le processus tel qu'il était nous obligeait à passer la majeure partie de notre temps sur les états financiers et donc à regarder le passé.

La valeur ajoutée d'un comptable et de la fonction finance est d'aider les opérations à prendre des décisions et à regarder vers l'avant. Cette réorganisation a été proposée à la haute direction et on s'est assurés de l'appui de nos dirigeants, car le projet allait coûter de l'argent. Au début, avant d'abaisser les coûts, il fallait investir en talents, en consultants et en systèmes. De plus, il fallait être patients, car nous partions de loin. Chez TC Transcontinental, si on est rentables depuis tant d'années c'est parce qu'on suit nos coûts de près.


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Samuel Sponem : Pouvez-vous décrire en quoi vous avez changé l'organisation de la fonction finance ?

Donald LeCavalier : Dans un premier temps, nous avons identifié où étaient situés les différents processus financiers. Nous avions trop de processus qui étaient faits en partie directement dans les usines, dans les divisions et au siège social. Nous nous sommes assurés autant que possible que les processus soient faits à un seul endroit pour éviter les duplications, etc. De plus, le processus a été revu et corrigé. Le Centre de service financier sous sa forme actuelle a été créé à ce moment. Du point de vue purement comptable, nous avons engagé des ressources pour faire du « ménage » dans les comptes. Par la suite, nous avons fait une réimplantation de notre système de grand livre en revoyant au complet notre charte de compte. On a en fait rebâti de zéro.

Nous sommes donc en mesure d'avoir en parallèle une comptabilité opérationnelle qui répond à nos besoins de gestion et une comptabilité légale et fiscale alignée sur notre reporting. Auparavant, la dernière partie était faite manuellement en fin d'année ce qui causait des retards, des erreurs, des coûts et d'importants frais de consultants.

Samuel Sponem : Quels sont les leviers pour réussir une bonne réorganisation de la fonction finance ?

Donald LeCavalier : Le leadership que vous établissez dès les premières étapes. Par exemple, quand vous devez voir un directeur d'usine pour lui dire que vous voulez transférer ses comptes à payer à Montréal, que des employés dans ce service qui y sont depuis 22 ans cesseront de travailler pour lui. En fait, c'est de faire accepter à des gens d'outsourcer en interne des tâches qui étaient faites localement auparavant.

Le talent aussi est important, on a toujours du talent en entreprise, mais il faut s'assurer de trouver le bon talent qui répond à un besoin précis. Par exemple, nous avions une structure juridique très lourde, à la suite de plusieurs acquisitions et réorganisations qui avaient créé une grande complexité de la comptabilité fiscale. En d'autres mots, il devenait très difficile, et coûteux de concilier nos comptes de bilan liés à l'impôt. Nous avons cherché et engagé des talents rares de comptables qui sont excellents en comptabilité fiscale. Pendant près de 18 mois, un de mes directeurs a travaillé à nettoyer le tout. Il a surtout mis en place un processus et une politique pour bien gérer ces comptes. Il fallait faire cette étape avant de mettre en place un nouveau système.

Il faut aussi investir dans le système. Nous avons investi beaucoup d'argent dans un système qui permet à la fois de produire des données opérationnelles et statutaires. Mais, il faut comprendre qu'avant d'investir dans le système, il faut s'assurer qu'on a optimisé les processus.

Enfin, il faut être patient. Notre changement avait débuté en 2007 et s'est terminé ces dernières années. J'ajouterais aussi que même si l'organisation est terminée, il faut garder à l'esprit que l'amélioration est un processus continu. On continue à s'asseoir chaque trimestre pour voir s'il y a quelque chose qu'on peut faire différemment.


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Samuel Sponem : Quels sont les avantages qui ont résulté de cette transformation ?

Faits saillants TC transontinental

Source : rapport annuel 2015

Donald LeCavalier : Le processus de réorganisation avait coûté entre 10 et 15 M$, aujourd'hui le service finance coûte à peu près 7 M$ de moins qu'il y a 10 ans, c'est un retour d'investissement très intéressant. On remet maintenant des états financiers complets et à temps. Les écritures « interco » étaient des batailles de fin de trimestre sans fin, cela prend maintenant seulement quelques heures. On a réduit notre facture de consultants en fiscalité. Résultat, l'équipe finance est en parfait contrôle et peut maintenant jouer son rôle de soutien pour la croissance de l'entreprise.

Samuel Sponem : Quels sont les problèmes qui se sont posés? Feriez-vous les choses différemment aujourd'hui ?

Donald LeCavalier : Certainement, dans un premier temps je mettrais encore plus l'accent sur un plan de communication. Il faut communiquer dans tous les sens, au début nous étions en contact constant avec les opérations, mais trop loin de ces dernières. J'impliquerais aussi plus rapidement des gens des ressources humaines de la gestion du changement.

Un autre élément aussi important est d'avoir recours aux consultants à petites doses : ils sont importants, mais dans des projets d'une telle importance, il faut plus de champions à l'interne. Au fur et à mesure que nous avancions dans les projets, nous avons identifié ces champions et les avons utilisés comme leaders dans d'autres projets.

Samuel Sponem : Donald, merci pour cet entretien. Il permet de voir à quel point la production d'informations comptables est aussi, au-delà de la technique, une question d'organisation. Bien évidemment, le chef des finances doit maîtriser la technique comptable, il doit être capable de donner des conseils, mais il doit aussi savoir organiser la chaine de production de l'information comptable et faire travailler ensemble des acteurs avec des compétences diverses et parfois géographiquement dispersés.

Cet entretien est le premier d'une série qui nous permettra d'étudier le rôle des directeurs des finances « en pratique ». Retrouvez la suite de cette série avec l'entrevue de Stéphane Arsenault, CPA, CA et chef de la direction financière chez Héroux-Devtek.