La recherche en gestion propose des réponses claires aux enjeux d’inégalités envers la main-d’œuvre LGBT : les supports contextuels en entreprise. Tour d’horizon de ce concept et de ses implications sur le plan de la gestion.

Le 17 mai 1990, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) prenait la décision de ne plus considérer l’homosexualité comme une maladie. Il a cependant fallu attendre 2005 pour que, à l’initiative de l’universitaire français Louis-Georges Tin, la journée devienne l’occasion de commémorer cette décision historique, mais surtout, de faire la promotion des actions de sensibilisation et de lutte contre l'homophobie, la lesbophobie, la biphobie et la transphobie.

Bien que les sociétés occidentales aient cheminé depuis cette époque, des efforts restent à faire afin de faire évoluer les mentalités. En effet, une étude américaine de 2017 montre que les inégalités envers la main-d’œuvre LGBT sont omniprésentes à l’intérieur des agences fédérales reliées aux sciences, aux technologies, à l’ingénierie et aux mathématiques (STIM). L’étude indiquait aussi que ces injustices affectent toutes les tranches d’âge, peu importe la hiérarchie des personnes et leur identité de genre1.

Les contextes qui favorisent l’épanouissement

En entreprise, trois supports contextuels, ou plus simplement conditions, permettent aux personnes LGBT de mieux s'épanouir dans leur milieu de travail : des politiques formelles et des pratiques inclusives, un climat de travail qui leur est favorable et des relations de soutien.

Lorsque ces trois conditions sont réunies, elles provoquent quatre conséquences pour les personnes LGBT :

  1. L’augmentation de la probabilité de révéler son identité LGBT, car les risques associés à cette divulgation sont perçus comme minimes.
  2. La réduction de la tension psychologique (anxiété, dépression, etc.), car le degré auquel les stigmatisés sont rejetés ou leur identité dévaluée est plus faible.
  3. L’amélioration de l’attitude envers l’employeur, car les supports transmettent un regard positif vis-à-vis les identités stigmatisées.
  4. La réduction de la discrimination perçue, car les supports contextuels visent à diminuer les réactions négatives des autres vis-à-vis le stigmate.

Les différents supports contextuels

Les pratiques gagnantes

Que représentent exactement les supports contextuels en termes de gestion? Ils touchent d’abord les politiques internes, bien souvent mises en place par le service des ressources humaines de l’entreprise. Les pratiques inclusives permettent d’accroître l’égalité et l’équité entre les employés, par exemple en bannissant formellement la discrimination basée sur l’orientation sexuelle, en offrant une couverture d’assurance des bénéficiaires de même sexe, en invitant les partenaires de même genre aux événements sociaux corporatifs, en créant des groupes-ressources des employés (GRE) et bien d’autres choses encore.

Avec le temps, ces pratiques sont devenues de plus en plus larges et vont même aujourd’hui jusqu’à inclure des métriques de performance pour le management sénior liées à la diversité ou encore du support philanthropique.

Bien que l’adoption de ces politiques permette de signaler les comportements que l’organisation juge adéquats, les travailleurs et travailleuses ne se les approprient pas directement pour autant. En effet, les politiques sont sujettes à interprétation et requièrent donc d’être implantées et respectées en tout temps. Elles doivent faire partie du climat d’entreprise.

Quelle est la nuance entre le climat de travail inclusif et les politiques inclusives? Le premier réfère aux actions que le personnel va poser, tandis que le deuxième réfère aux actions que le personnel devrait poser. Un climat d’entreprise sain favorise la sécurité psychologique, laquelle se reflète par des interactions sociales positives, la coopération et la possibilité de s’exprimer sans crainte de répercussions.

Finalement, les relations de soutien sont définies comme étant des ressources interpersonnelles qui peuvent influencer l’expérience de travail des personnes LGBT. Puisque ces travailleurs et travailleuses subissent des situations uniques telles que le rejet et l’isolation, des relations de soutien peuvent en atténuer les effets, et ce, même si elles proviennent de personnes non-LGBT.

Trois types de soutien peuvent être offerts :

  1. Le soutien émotionnel : il est question ici d’écoute, d’empathie et de preuve d’intérêt vis-à-vis les expériences passées de discrimination au travail.
  2. Le soutien instrumental : il se concrétise par une assistance tangible lors de dénonciations, par exemple en corroborant ou en confrontant les auteurs de l’acte répréhensible.
  3. Le soutien informatif : il consiste en une suite de conseils et d’astuces afin de mieux naviguer à l’intérieur d’un environnement de travail discriminatoire.

La contribution historique des GRE

C’est Nicole Raeburn, sociologue américaine, en 2004, qui s’intéressa à la croissance inédite du nombre de réseaux d’employés et employées LGBT dans les compagnies du Fortune 10003. De deux en 1980, leur nombre passa à 69 en 1998. Cette croissance se fit par bourrades, plutôt que de façon linéaire, et fut empreinte du climat social amené par chaque présidentielle américaine.

Chez nous, la firme de services-conseils Deloitte rapportait en 2014 que près d’une organisation canadienne sur deux ne détenait pas de GRE4. Or, ce sont ces rassemblements – sous toutes leurs formes – qui ont milité pour l’obtention d’avantages sociaux pour partenaires de même genre ou qui ont offert un espace sécuritaire à une population stigmatisée à l’intérieur et à l’extérieur de son milieu de travail5.

Quelles approches ont pris ces groupes, historiquement? Rod Githens et Steven Aragon, chercheurs américains, en distinguent 4 :

  1. L’approche radicale «queer» : Les groupes qui ont cette approche ne désirent pas être associés à l’entreprise et vont mener des combats idéologiques larges grâce à des structures informelles de réunion et d’action. Ils vont rejeter la binarité hétéro/homo et s’allier grâce à des coalitions externes plus grandes.
  2. L’approche informelle réactive en interne : Typiquement, ce sont des groupes informels de réseautage ou de développement de carrière. Ils font la promotion du mentorat et d’autres formes de développement personnel et les présentent comme un avantage compétitif pour l’organisation.
  3. L’approche informelle organisée : Ce sont des rassemblements très structurés qui militent comme un syndicat le ferait, sans toutefois avoir été reconnus par l’organisation. Par leurs actions, ils visent à provoquer un changement sociétal ou organisationnel.
  4. L’approche conventionnelle : Ce sont les groupes les plus répandus en gestion. On parle ici des GRE pour personnes LGBT, supportés par les gestionnaires et parfois même avec un budget discrétionnaire. Ils encouragent et facilitent le dialogue à propos de la diversité au bénéfice de l’organisation.

L’approche conventionnelle est celle qui, de nos jours, est la plus facile à mettre en place et souvent la plus alignée avec les valeurs de l’organisation. Bien que la mise en place et la gestion d’une telle initiative pourraient faire l’objet d’un article complet en soi, il apparaît approprié de nommer quelques pratiques courantes et garantes de succès :

  • Avoir une mission et des objectifs clairs, dans le but de justifier l’existence du groupe et de débloquer le budget nécessaire à leur réalisation.
  • Aller chercher un commanditaire exécutif, lequel agira comme ligne de communication directe avec le leadership de l’organisation.
  • Ouvrir le groupe à toute personne intéressée, afin de s’assurer de ne pas contrevenir aux politiques antidiscriminatoires déjà en place et de ne pas renforcer un possible stigmate.

Le Centre canadien pour la diversité et l’inclusion propose même une boîte à outils afin de maximiser la visibilité et le bon déroulement de l’initiative.


Note

Le terme «LGBT» est ici utilisé en phase avec la littérature, mais n’est pas exhaustif des populations marginalisées du fait de leur orientation sexuelle, expression de genre ou identité de genre.

Références

1 Cech, Erin A. et Michelle V. Pham. «Queer in STEM Organizations: Workplace Disadvantages for LGBT Employees in STEM Related Federal Agencies». Social Sciences, vol. 6, no 1 (2017), p. 1-22.

2 Webster, Jennica R. et al. «Workplace contextual supports for LGBT employees: A review, meta-analysis, and agenda for future research». Human Resource Management, vol. 57, no 1 (2018), p. 193-210.

3 Raeburn, Nicole C. Changing corporate America from inside out: Lesbian and gay workplace rights, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2004, 362 p.

4 Sherman Garr, Stacia, Karen Shellenback et Jackie Scales. Diversity and Inclusion in Canada : The Current State, Deloitte Development  LLC, 2014.

5 Githens, Rod P. et Steven R. Aragon. «LGBT Employee Groups: Goals and Organizational Structures». Advances in Developing Human Resources, vol. 11, no 1 (2009), p. 121-135.