Les bébés riraient 100 fois plus souvent que les adultes, qui ont surtout tendance à le faire les soirs et les fins de semaine. Pourtant, ils auraient avantage à rigoler un peu plus à toutes heures de la journée, et même au bureau. Qui plus est, quand il est bien utilisé, l’humour peut apporter des bienfaits indéniables en milieu de travail. Et si on s’amusait plus au boulot?

Directrice principale communication et marketing au sein de la société immobilière Brigil, Catherine Patry gère une équipe d’employés créatifs. Plusieurs d’entre eux manient avec brio les codes de l’humour. «Dans mon équipe, on doit rire quinze fois par jour. Ça agit comme une soupape pour évacuer le stress engendré par nos délais, qui sont souvent serrés. Et les employés travaillent mieux ensemble quand on leur permet de relâcher la pression», explique celle qui a rédigé un mémoire sur le recours à l’humour chez les femmes leaders lors de son EMBA McGill-HEC Montréal.

Longtemps perçu négativement en milieu de travail, l’humour a pourtant plusieurs vertus, démontre la recherche. «C’est comme si rire n’était pas sérieux, que cela empêchait la productivité. Mais au contraire, dans un contexte où les employeurs cherchent à créer un environnement plaisant au travail, cela fait partie de la gamme des moyens qu’on peut utiliser», mentionne Michel Tremblay, professeur titulaire au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal. Bien dosé, l’humour renforcerait la cohésion d’équipe, diminuerait l’absentéisme et aplatirait l’écart hiérarchique, tout en insufflant une dose d’énergie aux équipes.

Pour Christelle Paré, chercheuse indépendante et directrice pédagogique de l’École nationale de l’humour, c’est l’une des clés pour exercer un leadership «transformationnel» basé sur l’écoute, le respect et l’ouverture. «Les recherches ont démontré que l’humour et le plaisir sont très importants notamment pour instaurer une communication plus humaine. Cela favorise aussi la créativité et la résolution de problèmes. Quand le leader fait preuve d’humour, il se met en situation de risque, ce qui encourage les employés à faire de même pour trouver des solutions. On n’a pas peur de se faire ridiculiser quand on lance une idée.»

Le juste équilibre

Cela ne veut pas dire qu’il faut rire de tout, en toutes circonstances, avertit Michel Tremblay. «À moins que ce soit pour s’unir contre un ennemi commun, un compétiteur par exemple, il faut éviter l’humour sarcastique, agressif», souligne-t-il. Même si une personne n’est pas la cible de ces blagues, souvent lancées pour asseoir son autorité, elle pourrait craindre d’être la prochaine sur la liste. Le professeur estime aussi qu’il faut une bonne dose d’intelligence émotionnelle pour déterminer si le contexte est favorable et si les personnes seront à l’aise avec ce type d’interaction.

Les blagues négatives, qui servent à écraser les autres ou soi-même, sont donc à proscrire, confirme Christelle Paré. «On peut utiliser une pointe d’autodérision, ce qui fait ressortir son côté humain. On peut aussi se tourner vers l’humour affiliatif, qui permet de montrer qu’on est tous dans le même bateau, dans la même gang

Avant de lancer une blague, Catherine Patry conseille de se questionner sur son objectif : est-ce parce qu’on veut les projecteurs sur soi ou le bien de son équipe? «Il faut parfois se garder une réserve, quand le contexte n’est pas favorable, soutient-elle. Lorsque nos intentions sont bienveillantes, cela fonctionne bien.»

Place au rire

Nul besoin d’être un Louis-José Houde en puissance pour favoriser le rire au travail, pense Christelle Paré. L’École nationale de l’humour offre d’ailleurs des formations en entreprise pour apprendre différentes techniques. «Certaines personnes vont se sentir à l’aise d’utiliser l’humour, d’autres pas. Il faut donc se demander ce qui nous fait rire et jusqu’où on est prêts à aller, explique-t-elle. Mais le simple fait d’encourager la prise de parole, de ne pas rabrouer les gens qui font des blagues, de pratiquer un peu d’autodérision, crée un climat qui favorise l’humour au sein des équipes.» De plus, établir les règles du jeu, en interdisant les blagues dégradantes par exemple, est crucial.

Si être comique n’est pas donné à tous, il est possible de mettre en place une culture d’entreprise favorable au rire et à l’humour qui ne repose pas uniquement sur les épaules du gestionnaire, ajoute Michel Tremblay. «On peut aussi penser à des stratégies misant sur le plaisir, en organisant des jeux ou des compétitions sportives loufoques», donne-t-il en exemple.

Dans l’équipe de Catherine Patry, les employés ont créé un groupe sur Teams – sans patrons – juste pour partager des trucs drôles. «Je leur ai simplement rappelé que tout ce qu’ils écrivent appartient à la compagnie, raconte la gestionnaire. Il faut donc qu’ils s’assurent de ne pas être gênés si un président tombait sur une de leurs blagues.» L’utilisation de tels canaux permet à tous, comme ceux ayant moins de répartie, d’être dans la connivence, croit-elle. «C’est aussi un beau véhicule pour les introvertis, qui ont le sentiment de faire partie du groupe, même s’ils prennent parfois plus de temps à réagir», note-t-elle.

Cependant, les gestionnaires ont souvent le réflexe de refréner leurs équipes quand ils s’amusent ensemble, constate Catherine Patry. S’il faut doser, c’est également important de lâcher prise et de faire confiance. La directrice remarque d’ailleurs que son équipe est plus productive après ces moments de rigolades. «Et si les employés perdent une heure ou deux par semaine pour s’amuser et que cela favorise la rétention de personnel, je pense que c’est du temps très bien investi! Surtout dans un contexte de pénurie de la main-d’œuvre», fait-elle valoir.