Trop souvent encore, les femmes se heurtent à ce qu’on appelle le «plafond de verre». Mais comment les organisations peuvent-elles s’ajuster pour éliminer cette barrière? Dans son livre Mixité dans l’entreprise, mode d’emploi, l’auteure Avivah Wittenberg-Cox propose une démarche en quatre étapes pour y arriver.

Popularisée en 1986 par un article du Wall Street Journal, l’expression «plafond de verre» fait référence à la barrière invisible qui empêche un groupe précis — typiquement une minorité — de progresser dans la hiérarchie. Pour les personnes s’identifiant au genre féminin, désignées par «les femmes» dans ce texte pour en simplifier la lecture, cette barrière est double. D’une part, elle est horizontale, puisqu’elle tend à concentrer les femmes dans certaines fonctions — pensons à leur surreprésentation dans certains départements comme celui des ressources humaines. Elle est aussi verticale, puisque leur proportion diminue graduellement en montant les échelons.

Face à ce phénomène, il ne faut donc pas se demander «quel est le problème des femmes?», mais plutôt «quel est le problème de l’entreprise?». C’est à cette question que cherche à répondre Avivah Wittenberg-Cox dans son livre Mixité dans l’entreprise, mode d’emploi. L’auteure y propose une méthode en quatre étapes pour atteindre ce qu’elle appelle le «bilinguisme homme-femme», qu’elle qualifie de véritable Saint Graal de l’inclusion des genres.

Première étape : Dresser l’état des lieux

Impossible de s’attaquer à un problème si on n’a aucune donnée permettant de le mesurer. C’est pourquoi l’auteure suggère d’abord de dresser un état des lieux de l’équité entre les hommes et les femmes dans son organisation grâce à un audit. Pour cela, il faut mener une enquête à la fois quantitative et qualitative. L’intervention d’une firme externe, possédant l’expertise et les ressources humaines, peut également être utile pour mener à bien cette démarche. Une étape qui permettra aussi de mettre en lumière les initiatives passées en termes de genre dans l’organisation et de déterminer les enjeux à analyser pour mieux comprendre la situation de l’entreprise.

L’audit devra aussi permettre de se pencher sur deux thèmes précis, soit les talents et le marché. Pour bien comprendre la gestion des talents, il faudra donc collecter certaines données en lien avec les ressources humaines, comme la proportion d’hommes et de femmes dans les différents échelons de l’organisation, dans les embauches, les promotions, les groupes à haut potentiel et les départs de personnel. Des résultats à ventiler par groupe d’âge, division opérationnelle et zone géographique.

Pour le deuxième thème, il faudra plutôt analyser la réponse du marché envers la marque et les produits de l’entreprise. L’auteure rappelle que les femmes prennent la majorité des décisions concernant les biens de consommation, et ce, dans de nombreuses sphères. Aussi, celles-ci diffèrent-elles d’un genre à l’autre? Les consommateurs d’un genre sont-ils plus nombreux que ceux de l’autre? Qu’est-ce que la compétition pose comme gestes par rapport à l’équité entre les hommes et les femmes? Ce sont ici des questions qui devront être élucidées via des chiffres et statistiques, comme le pourcentage de réponse favorable à une action marketing ventilé par genre.

La portion qualitative de l’audit devra aussi permettre d’étudier de ces deux mêmes thèmes, mais grâce à des entrevues qui devront être habilement conduites. Un exercice qui demande du doigté, puisqu’il faut poser les vraies questions aux participants et participantes : que pensent-ils de la mixité, quels sont les principaux obstacles à l’avancement des femmes dans l’entreprise, vivent-ils des problématiques de genre dans leur quotidien, etc. Une étape qui permettra de prendre le pouls de l’entreprise. Quand il est bien mené, cet exercice permet de tirer des constats parfois surprenants pour l’équipe de gestionnaires, d’après l’auteure.

Deuxième étape : Sensibiliser le management et construire son plan d’action

Il n’y a pas un ou une dirigeante qui est «contre» l’équilibre entre les hommes et les femmes. L’équipe de direction voudra donc nécessairement sauter directement à l’élaboration du plan d’action. Or, c’est une erreur fréquente selon l’auteure. En effet, trop souvent, les gestionnaires ont une compréhension limitée du concept d’équilibre, de ce que cela signifie au XXIe siècle et même des opportunités que cela pourrait offrir à l’entreprise.

Quand l’équipe dirigeante décide de se lancer dans l’action de façon précipitée, deux scénarios peuvent alors se produire. Dans le premier cas, les femmes sont promues en masse, qu’elles soient prêtes ou non, causant des frustrations. Cela épuise aussi le bassin de femmes à haut potentiel à court terme. Dans le deuxième cas, puisque l’adhésion à la vision d’une entreprise réellement inclusive est limitée, l’équipe dirigeante se retrouve devant les mêmes résultats qu’initialement, mais deux ans plus tard; tout est alors à recommencer.

Pour éviter ces écueils, il faut sensibiliser les gestionnaires et les responsables de l’entreprise à ces enjeux. Tout d’abord, la question de l’équilibre entre les hommes et les femmes doit être débattue afin de faire ressortir les personnes les plus motivées de celles qui le sont moins. Les chiffres clés découlant de l’audit doivent également être présentés aux employés pour les sensibiliser à la réalité du terrain et pour amorcer la réflexion sur les mesures à prendre.

Typiquement, un plan d’action devrait contenir au moins les quatre éléments suivants :

  1. La mise en place d’un programme de formation à la mixité destiné aux gestionnaires et à l’ensemble des employés;
  2. La révision des processus de gestion des ressources humaines, de vente et de marketing;
  3. L’analyse de la priorité accordée aux femmes identifiées comme faisant partie du groupe à haut potentiel;
  4. L’analyse de la priorité accordée aux besoins de la clientèle féminine.

Troisième étape : Harmoniser la gestion des ressources humaines

Aux yeux de l’auteure, le programme de formation à la mixité constitue l’une des pierres angulaires de la phase d’harmonisation. Toutefois, pour que cette étape soit couronnée de succès, il faut adapter les séances de formation pour les cadres. En effet, ces derniers n’ont pas le même niveau de compréhension des enjeux que la haute direction. L’argumentaire économique est donc à privilégier afin d’assurer leur adhésion au programme. Il faut aussi personnaliser la formation pour chaque secteur d’affaires. Par exemple, les hommes décident d’acheter en moins d’une minute alors que les femmes prennent en moyenne quatre minutes; ce type de connaissance spécifique est donc essentiel pour le département de ventes.

Une fois la question de formation réglée, l’auteure propose six avenues afin de terminer l’harmonisation des processus de gestion des ressources humaines :

  1. Revoir sa marque employeur pour s’assurer qu’elle est attrayante pour les deux identités de genre;
  2. Mettre de l’avant des modèles inspirants, puisque leurs réussites stimuleront le recrutement et la progression d’encore plus de femmes;
  3. Reformuler les offres d’emploi, étant donné que les femmes ne posent leur candidature que lorsqu’elles remplissent tous les critères, contrairement aux hommes;
  4. Revoir le processus d’entretien d’embauche afin de s’assurer qu’une candidate ne soit pas confrontée à une brochette d’hommes qui seraient responsables d’évaluer sa candidature;
  5. Analyser l’après-entrevue, car certains gestionnaires pourraient avoir tendance, sans en être conscients, à recruter systématiquement des gens à leur image;
  6. Recourir à des firmes de recrutement pour les niveaux supérieurs où les talents féminins sont plus difficiles à trouver.

Quatrième étape : Pérenniser l’organisation inclusive des femmes

Maintenant que le plan d’action a été déployé, il faut maintenir ses acquis dans le temps. Pour cela, il faut travailler sur différents axes, selon l’auteure, notamment la communication. En effet, il est recommandé de rappeler, en continu, les raisons de la démarche, afin d’en maintenir son dynamisme et sa vigueur dans l’organisation. Il faut aussi identifier les messages à communiquer à l’externe, dresser la liste des meilleurs porte-étendards de la démarche parmi les hauts dirigeants et planifier les différentes phases de la campagne de communication qui en résultera.

Pour garder le cap, vous devez aussi mesurer les progrès dans votre organisation. Il ne faut cependant pas tomber dans le piège de tout déléguer aux ressources humaines. L’équilibre entre les hommes et les femmes serait alors uniquement focalisé sur la gestion des talents. Ainsi, les autres départements, comme le marketing, le service à la clientèle ou les ventes, doivent tous rendre des comptes avec leurs propres données (la proportion des achats provenant des femmes, par exemple). L’auteure propose d’ailleurs de répartir ces indicateurs dans deux grandes catégories : les données internes, touchant la gestion des talents, et externes, ayant trait aux marchés.

Enfin, il faut aussi récompenser les efforts des employés, en mettant de l’avant les meilleurs joueurs et joueuses. Lier la gestion de la mixité à la rémunération ne devrait être considéré que dans certaines cultures d’entreprises particulières. À long terme, il vaut mieux mettre de l’avant une reconnaissance symbolique, en nommant des «employés modèles», en prenant en compte la gestion de la mixité dans les promotions ou en faisant la promotion des meilleures pratiques d’une équipe ou d’un département.

Pour aller plus loin

Vous l’aurez compris, atteindre ce que l’auteure qualifie de «bilinguisme homme-femme» est une longue aventure, qui requiert une planification méticuleuse et une exécution de main maître. Or, ce sont les organismes et entreprises qui réussiront cette transformation qui seront les mieux outillés pour générer de la valeur et de la croissance pour leurs membres ou actionnaires, dans un contexte de marchés toujours plus globalisés. Et le livre d’Avivah Wittenberg-Cox propose des détails intéressants, des histoires de succès et d’échecs ainsi qu’une perspective rafraîchissante et pragmatique sur la gestion de la mixité. De quoi nourrir la réflexion des dirigeants et dirigeantes qui désirent entreprendre une telle démarche.

Plan d'action typique


Note

1 Wittenberg-Cox, Avivah. Mixité dans l’entreprise, mode d’emploi. Femmes + hommes : pour un management d’un nouveau genre, Eyrolles-Éditions d’Organisation, 2011.