Actuellement, l’exigence de la satisfaction totale du client, le défi de l’innovation dans un univers turbulent et complexe de même que la volonté de réagir vite et de manière proactive à l’évolution de l’environnement conduisent les entreprises à privilégier l’équipe de travail comme mode d’organisation.

Ainsi voit-on se multiplier dans tous les secteurs d’activité des groupes de projet, combinant des spécialités ou des métiers différents, dans le but de personnaliser les offres de produits ou de services. De même, dans l’industrie, on constate un recours généralisé à différentes configurations collectives de travail : les équipes à responsabilités élargies, les groupes semi-autonomes, etc.

À travers ces dispositifs collectifs, le management s’efforce aujourd’hui de faire travailler les salariés ensemble et simultanément, et non plus séparément et de façon séquentielle. En fait, on souhaite dorénavant renforcer la coopération entre les personnes, le partage des connaissances et la prise d’initiatives, et focaliser les énergies sur la réalisation d’un objectif collectivement partagé.


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Pour de nombreux auteurs, cette évolution vers des formes organisationnelles plus souples se fait en complément, voire à la place le plus souvent de la notion de coordination (Retour, 1998). Ainsi, dès 1985, Michel Crozier écrivait : «nous sommes passés du besoin de coordonner sur lequel ont reposé de nombreux développements du management des quinze dernières années au besoin de coopération».

Ce sont donc les comportements de mobilisation déployés volontairement par les salariés au sein des équipes de travail qui se trouvent au cœur des dynamiques collectives, en remplacement des mécanismes de coordination qui, en raison de leur aspect trop programmé, réfrènent la flexibilité, l’innovation ou la réactivité.

Mais il ne suffit pas d’insérer les salariés dans des équipes de travail pour qu’ils acquièrent spontanément des comportements de mobilisation collective. Si une structure spécifique favorise l’établissement de la coopé- ration, elle ne crée pas par elle-même ces pratiques coopératives, chaque individu restant maître de son degré d’engagement collectif. C’est la raison pour laquelle nombre d’entreprises cherchent aujourd’hui à encourager les comportements de mobilisation collective en intégrant une mesure de ceux-ci dans leurs outils d’appréciation du personnel.

Or, la plupart du temps, cette évaluation s’effectue à travers un seul critère – le plus fréquemment l’«esprit d’équipe» – censé rendre compte de l’ensemble de ces comportements. Nous estimons qu’il y a lieu d’effectuer une analyse spécifique de la mobilisation collective afin de la distinguer de la notion voisine d’implication dans l’équipe («esprit d’équipe»), car ce sont surtout les comportements que les salariés adoptent volontairement entre eux dans les équipes de travail qu’il s’agit de repérer, de mesurer et d’encourager.

Or, un examen de la littérature universitaire montre que les travaux actuels en sciences de gestion optent pour une définition large du concept de mobilisation (Wils et al., 1998 : 32; Guerrero et Sire, 2001 : 86) et proposent généralement des démarches mobilisatrices prescriptives et descendantes, en adoptant un point de vue organisationnel2. De même, l’importante littérature consacrée au fonctionnement des équipes de travail privilégie une approche holiste de la dynamique collective. Du coup, les professionnels de la fonction «ressources humaines», qui souhaiteraient appréhender la nature des comportements de mobilisation collective afin de pouvoir ensuite les évaluer et les stimuler, risquent de se retrouver démunis.

L’objectif de cet article est de contribuer à l’enrichissement du concept de mobilisation, en privilégiant une approche qui s’intéresse aux efforts déployés par les salariés vis-à-vis de leur collectif de travail. Dans un premier temps, nous clarifierons la notion de mobilisation collective, en la distinguant des concepts proches. Dans un deuxième temps, nous expliquerons pourquoi il est utile d’appréhender celle-ci en partant des comportements adoptés volontairement par les employés. Dans un troisième temps, nous repérerons les principales dimensions de la mobilisation collective.

Qu’est-ce que les comportements de mobilisation collective?

Pour Wils et al. (1998 : 30), le concept de mobilisation peut se comprendre de deux manières. Selon une approche purement managériale, il correspond au processus organisationnel de mobilisation, c’est-à-dire à l’ensemble des pratiques de gestion des personnes mises en place par le management; il désigne alors une démarche essentiellement prescriptive et descendante visant à «mobiliser le personnel» dans le sens des priorités organisationnelles.

Ainsi, pour Louart et Beaucourt (1992 : 55), la mobilisation est un «moyen de faire converger les efforts individuels, en les intégrant à une dynamique globale qui réponde aux objectifs de l’organisation». Selon une optique individuelle, le concept de mobilisation renvoie aux comportements de mobilisation adoptés par le salarié; on s’intéresse alors à la manière dont celui-ci manifeste sa mobilisation.

Autrement dit, on cherche à définir ce que signifie «se mobiliser» pour le personnel. En privilégiant ici cette deuxième acception du terme «mobilisation», nous souhaitons nous placer du côté de l’acteur afin de cerner les «comportements discrétionnaires3» ou «conduites» qu’il adopte volontairement au sein des collectifs de travail. Nous désignons par «mobilisation collective» l’acte manifesté volontairement et intentionnellement par le salarié, qui se traduit par des efforts déployés à l’égard des autres membres de son collectif de travail.

Quelques précisions peuvent être apportées à cette définition. Tout d’abord, le terme «mobilisation» contient une double signification en désignant simultanément une intensité d’action et une visée4. En effet, comme le signalent Wils et al. (1998 : 31), un employé «mobilisé» caractérise avant tout quelqu’un qui déploie délibéré- ment beaucoup d’énergie. L’action du salarié ne résulte plus d’une prescription, ni de la reproduction de modes opératoires, mais repose au contraire sur l’adoption de comportements discrétionnaires.

Ces comportements volontaires, qui consistent à produire des efforts particuliers, renvoient à la liberté d’action et à l’initiative de l’individu. A contrario, un employé démobilisé n’est pas une personne qui manque d’énergie en soi, mais quelqu’un qui a volontairement choisi de réduire au maximum l’énergie mise dans le travail. Il s’agit d’un employé désillusionné qui a démissionné intérieurement et qui se met en retrait (Guérin et al., 2002 : 65).

Par ailleurs, la mobilisation est une notion ayant une perspective finalisante, l’énergie déployée étant canalisée vers un objectif à atteindre. Ainsi, Guerrero et Sire (2001 : 84) insistent sur la visée collective propre à la notion de mobilisation. Pour eux, «un salarié mobilisé se caractérise par des actions orientées vers les objectifs du groupe et de l’entreprise». Avec plus de précision, Wils et al. (1998 : 31) distinguent trois types d’efforts (voir le tableau 1) : les efforts tournés vers une amélioration continue du travail par la prise d’initiatives individuelles, les efforts fournis pour aligner le travail sur les priorités organisationnelles, et enfin les efforts qui ont trait à la coordination spontanée entre les membres d’une équipe. Cette dernière catégorie d’efforts nous intéresse plus particulièrement ici.

La mobilisation collective d’un employé correspond donc, selon nous, à l’ensemble des conduites individuel- les orientées vers le collectif de travail, la notion de conduite allant beaucoup plus loin que la notion de comportement en exprimant une autonomie de choix et une intentionnalité. Alors que les comportements peuvent être objectivables ou résulter d’apprentissages conditionnés, les conduites sont discrétionnaires en ce sens qu’elles proviennent d’une liberté d’action de l’individu.

En effet, l’idée de conduite se réfère à un sujet acteur et auteur de son comportement. Le salarié qui se construit une conduite ne se conforme plus simple- ment à un modèle de référence mais fait délibérément le choix d’adopter un comportement particulier que nous pourrions définir avec Boutinet (1993 : 5) comme «un comportement orienté intentionnellement vers un but».

Parmi ces conduites de mobilisation, certaines peuvent contribuer au bon fonctionnement de l’organisation, notamment lorsque le salarié centre ses efforts dans le sens des objectifs de l’entreprise. Pour les Anglo-Saxons, cette mobilisation, focalisée sur les priorités organisationnelles, peut s’exprimer par des «comportements de citoyenneté organisationnelle5» (Organ, 1994 : 465).

D’autres conduites traduisent les efforts déployés par le salarié dans son travail personnel. Celui-ci mobilise alors son énergie pour atteindre des objectifs individuels : prise d’initiatives pour améliorer son travail, efforts pour progresser et développer ses compétences, etc. Ces différentes formes de mobilisation doivent être distinguées de celle qui est déployée dans le sens d’un travail d’équipe et que nous nommons «mobilisation collective».

En outre, il convient de distinguer la mobilisation du processus psychologique qui conduit à cet état (voir le tableau 1). Alors que la mobilisation renvoie à la notion de conduite, les bases psychologiques de la mobilisation sont des attitudes qui poussent l’individu à fournir intentionnellement ces efforts. Rappelons que les concepts d’attitude et de conduite ne doivent pas être confondus. L’attitude correspond à un état mental prédisposant à l’action, tandis que la conduite désigne l’action proprement dite, c’est-à-dire un ensemble d’activités directement observables.

Ainsi, l’implication au travail6 ou l’implication organisationnelle7 du salarié le prédisposent à des conduites de mobilisation individuelle ou organisationnelle. Toutefois, un salarié «impliqué» n’est pas nécessairement «mobilisé». Il peut être profondément attaché à son travail ou à son entreprise sans pour autant que cet attachement l’amène à produire des efforts particuliers.

De même, nous insisterons sur la différence entre le concept de mobilisation collective et les notions d’engagement collectif ou d’esprit d’équipe. Un salarié peut très bien être mobilisé à l’égard de son équipe de travail sans partager le sens de l’action collective, ni adhérer aux valeurs dominantes du collectif, ce salarié faisant le choix d’être mobilisé afin de satisfaire un intérêt personnel.

Il est donc nécessaire de distinguer la mobilisation collective des mécanismes attitudinaux d’engagement collectif qui suscitent une telle conduite. Ceux-ci peuvent refléter chez le salarié une rationalité instrumentale (agir pour atteindre un but) en se mobilisant pour défendre ses intérêts personnels, ou une expression de soi (agir pour exprimer son identité, ses croyances fondamentales, ses valeurs) en s’identifiant et en adhérant à l’œuvre collective.

Cette distinction entre la conduite et l’implication est importante pour le praticien qui souhaiterait développer une dynamique collective dans ses équipes. Mesurer, apprécier et encourager les conduites adoptées par les employés dans le sens des collectifs de travail – conduites qui sont directement observables – semblent avoir une portée plus opérationnelle que de cher- cher à susciter l’adhésion à l’équipe par une évaluation du degré d’implication collective.

Or, le professionnel des ressources humaines qui voudrait mettre en place une telle politique visant à encourager les conduites de mobilisation collective constaterait rapidement l’absence d’instruments permettant d’appréhender ou de piloter celles-ci, alors qu’il existe une littérature abondante consacrée à la mesure de l’implication. C’est la raison pour laquelle nous tenterons ici de reconnaître les différents comportements adoptés volontairement par les salariés à l’égard de leur équipe de travail.

Pourquoi chercher à appréhender les comportements de mobilisation collective?

Traditionnellement, la plupart des auteurs font reposer la dynamique collective d’une équipe sur les notions de coordination ou de cohésion. Il s’agit généralement de démarches prescriptives fondées sur l’idée que l’action collective peut se décréter. Ainsi, avec la coordination, si les contributions des salariés sont individualisées, c’est-à-dire isolées les unes par rapport aux autres, la cohérence globale est assurée par des mécanismes de supervision directe, de standardisation des procédés ou de standardisation des résultats8 (Mintzberg, 1989). De même, les approches visant à développer la cohésion du personnel prennent généralement appui sur une «standardisation des normes», c’est-à-dire des pratiques de socialisation du personnel.

De telles pratiques affichent une éthique, des règles de fonctionnement et de comportement, parfois même une morale, et permettent l’introduction de nouveaux rapports sociaux dans l’entreprise. Pour Ouchi (1980), une culture forte, solidement cimentée autour de valeurs largement partagées, facilite le travail en équipe et conduit à la coopération entre les individus. Selon lui, dans une organisation de type «clan», la coopération se fait par fidélité, dévouement et implication. Les employés intériorisent les conduites collectives à adopter dans le sens des priorités organisationnelles, à travers le processus d’identification et d’adhésion aux valeurs organisationnelles.

Ces approches, en se plaçant du point de vue de l’organisation, appréhendent la dynamique collective suivant une perspective holiste, directement à travers l’analyse du fonctionnement de l’équipe, et non en partant des conduites adoptées par les individus. Elles ne renvoient donc pas au libre arbitre du salarié et s’opposent à notre conception de la mobilisation collective – telle que nous l’avons définie précédemment –, conception selon laquelle la dynamique collective prend sa source dans les interactions que construisent volontairement les individus entre eux.

Ainsi, les comportements de mobilisation collective se substituent aux mécanismes de coordination ou de cohésion traditionnellement fondés sur une supervision directe (autorité line) ou sur la standardisation (autorité staff). Déjà, Mintzberg (1989 : 157) préconisait l’ajustement mutuel (c’est-à-dire la forme de coordination réalisée par «simple communication informelle») pour les configurations organisationnelles qu’il appelle, à la suite de Tofler, les «adhocraties». Ces types d’organisations sont conçus notamment pour traiter les «innovations sophistiquées» car ils permettent de «fusionner les travaux d’experts appartenant à des disciplines diverses dans des groupes de projets».

Les efforts devant être tournés vers l’innovation, et non vers la routine, rendent la supervision directe et la standardisation impossibles. «La coordination doit être accomplie par ceux qui ont le savoir, c’est-à-dire les experts eux-mêmes et non pas ceux qui ont simplement l’autorité. Ce qui signifie qu’il [n’y a qu’un] mécanisme de coordination qui puisse s’appliquer : l’ajustement mutuel» (Mintzberg, 1989 : 291). C’est donc la nature particulière des équipes de travail qui nécessite l’émergence de conduites de mobilisation collective distinctes des modes de coordination classiques.

Toutefois, le concept d’ajustement mutuel n’épuise pas, selon nous, le thème de la mobilisation collective. En effet, s’il y a toujours dans l’entreprise la mise en place d’un mécanisme de coordination, il n’y a pas toujours de comportements de mobilisation collective, et cela pour deux raisons majeures, qui sont les principales différences entre ces deux notions : parce que la coordination a un caractère programmable qui ne correspond pas à la mobilisation collective et qu’elle est prescriptible alors que la mobilisation collective est volontaire (Capul, 1998 : 62).

Ainsi, si le résultat des comportements de mobilisation collective n’est jamais acquis au départ, l’issue de la coordination est quant à elle généralement programmée à l’avance. Avec la coordination, il y a une mise en ordre de l’action collective à l’aide de dispositifs spécifiques, selon une rationalité ex ante (Neuville, 1998 : 73). En revanche, la mobilisation collective n’est jamais donnée d’avance. Elle ne peut être programmée car son intérêt est précisément de pouvoir faire face aux événements, au sens de Zarifian9, en rompant avec les routines établies.

Aussi, le caractère structuré et rationnel de la coordination ne permet pas d’éliminer toutes les incertitudes, tous les aléas et toutes les perturbations (Terssac et Lompré, 1994 : 177). La coordination comporte des limites et ne peut se passer de l’initiative créatrice des individus en interaction au sein des équipes. La mobilisation collective, définie comme une construction sociale, par opposition à la structuration et à la formalisation de la coordination, est donc indispensable à l’organisation.

Par ailleurs, puisque la mobilisation collective désigne les liens que construisent volontairement entre eux des individus afin de faire face à une situation nouvelle, en cela elle s’oppose également à la coordination, caractérisée par une obligation et des structures formelles de contrôle. Alors que la coordination provient du management, les conduites de mobilisation collective reposent, elles, sur la volonté des parties en cause. Il y a un caractère indéterminé dans la mobilisation collective : elle est le fruit des individus indépendamment de toute structure. Elle ne peut donc s’imposer ni par l’autorité hiérarchique, ni par la force de la tradition; elle découle de l’initiative des individus.

S’il semble impossible de prescrire avec précision ou de programmer par avance les comportements de mobilisation collective dans leur contenu, les managers peuvent toutefois s’efforcer de les appréhender, en vue de les encourager, à travers leur visée ou leur intensité, selon des approches affective, conative ou cognitive, comme nous le montrons dans ce qui suit.

Les trois dimensions de la mobilisation collective

Trois types d’efforts, révélateurs des différentes conduites individuelles à l’égard de l’équipe de travail, peuvent être distingués : les efforts déployés en vue de tisser des liens au sein de l’équipe, que nous pourrions appeler les conduites relationnelles, les efforts déployés pour collaborer spontanément avec les autres membres du collectif, ou conduites coopératives, et les efforts déployés pour comprendre le sens de l’action collective, ou conduites d’intercompréhension (voir le schéma 1).

Cette typologie a été établie à la suite d’une recherche appliquée menée au sein d’une société française de services et d’ingénierie informatiques (voir l’encadré). Une deuxième recherche est en cours dans une deuxième entreprise du secteur informatique.

Les conduites relationnelles

Cette première dimension de la mobilisation collective renvoie aux efforts affectifs de communication et de sociabilité déployés par les individus entre eux au sein du collectif de travail. Comme l’exprime Pagès (1984), «toujours et d’emblée, la relation humaine est affective. Elle représente une sensibilité à l’autre, un souci, une assistance. Ces mots ne signifient nulle émotion particulière, mais le fondement de toutes les émotions. Ils signifient que l’être humain est, vis-à-vis des autres, en état permanent de non-indifférence, de disponibilité ou de réceptivité.» La relation humaine donne l’autre dans son altérité. Elle suppose donc la reconnaissance d’une personne dans autrui, douée d’individualité et d’autonomie.

Dans cette perspective, l’employé est mobilisé à l’égard de son collectif de travail lorsqu’il produit des efforts pour tisser des liens, lorsqu’il cherche à connaître autrui dans son altérité en communiquant ou en vivant avec lui des «expériences». Selon les personnes que nous avons interrogées, il s’agit de quelqu’un qui s’oblige à «aller vers les autres» ou à «nouer des contacts humains», qui cherche à créer des affinités avec les membres de son équipe, ou qui s’évertue à «bien s’entendre avec les gens».

C’est également quelqu’un qui tente de connaître ses coéquipiers – c’est-à-dire qui ils sont et ce qu’ils font – et qui peut s’efforcer, par la suite, d’adapter sa communication en fonction de leur personnalité, de «trouver les mots» pour leur parler. Notons qu’il n’est pas nécessaire de posséder des prédispositions particulières pour adopter ce type de conduites, dans la mesure où, justement, celles-ci désignent aussi l’énergie déployée par l’individu pour dépasser ses inhibitions ou pour passer outre à la crainte de se présenter à autrui comme quelqu’un d’incompétent ou d’inefficace.

Ces conduites correspondent donc au fait d’accomplir sur soi un effort, de manière à se rendre disponible pour les membres de son équipe, à aller vers eux ou à les considérer avec empathie. À l’opposé, les salariés démobilisés sont «ceux qui se ferment à l’autre» ou «qui disent : «je n’ai pas le temps de faire une réunion» ou «je n’ai pas le temps de parler avec toi»». Il peut s’agir de salariés repliés sur eux-mêmes, qui refusent les échanges par timidité ou orgueil, ou qui ne souhaitent pas faire la connaissance de personnalités jugées trop différentes de la leur.

Dans sa dimension affective, la mobilisation collective renvoie également aux comportements discrétion- naires adoptés par les salariés en vue de construire et d’entretenir un tissu relationnel au sein de l’équipe. Est mobilisé celui qui tente d’«instaurer un climat de confiance» ou de convivialité, qui contribue à créer une ambiance détendue et propice au travail, ou qui cherche à «intégrer les nouveaux membres de l’équipe».

Ce peut être également quel- qu’un qui, lorsqu’il n’a pas d’affinités avec un collègue, s’efforce de «prendre sur lui» ou fait preuve de «diplomatie». De même, si le climat de l’équipe devient houleux, il peut chercher à tempérer les tensions. Lors de situations difficiles, il peut tenter d’apporter à autrui son «soutien moral», ses encouragements, ou plus simplement sa présence, afin de l’épauler et de le rassurer face à l’adversité. À l’inverse, la personne démobilisée est celle «qui a une communication brutale», qui s’emporte contre ses col- lègues ou qui ne se sent pas touchée par les difficultés d’autrui («quelqu’un qui dit : “ce n’est pas mon problème, à lui de se débrouiller!”», par exemple).

Les propos tenus par les personnes que nous avons interrogées confirment ceux de nombreux auteurs pour qui la dynamique collective repose avant tout sur un certain «esprit de corps». La mobilisation collective renvoie alors à toute une dimension humaine et informelle où se construisent des relations sociales volontaires et durables. Ainsi, depuis les célèbres travaux des ateliers de Hawthorne, nous savons combien l’appétence relationnelle permet aux ouvriers spécialisés de renouer, au sein des lignes de montage, des liens que l’isolement dans des postes individualisés a brisés. De même, Sainsaulieu (1987 : 174) a décrit la mobilisation collective des ouvriers comme une sorte de modèle fusionnel des relations où le collectif est valorisé comme un refuge.

Le sociologue français a souligné la grande richesse affective des relations entre pairs au sein des communautés professionnelles. À la coordination formellement mise en place a répondu une cohésion volontaire à tendance communautaire, c’est-à-dire une solidarité fondée sur une identité de métier : on s’entraide entre collègues parce qu’on fait le même métier, parce qu’on possède les mêmes savoirs à l’intérieur d’un corps professionnel très soudé.

Pour résumer, les conduites d’attachement traduisent un haut degré de mobilisation collective en ce qu’elles correspondent à l’état d’un salarié qui cherche à se lier avec les membres de son groupe. Inversement, les conduites de détachement ou d’indifférence désignent les conduites d’un salarié démobilisé dans la mesure où celui-ci préfère travailler sans établir de relations particulières avec autrui. Entre ces deux situations, l’employé peut faire preuve d’affabilité : dans ce cas, il borne ses relations aux échanges courtois nécessités par le travail, sans chercher à tisser de liens particuliers.

Les propos tenus par ce développeur en informatique, acteur d’une équipe de projet, illustrent bien la distinction entre les conduites d’attachement et les conduites de détachement : «Il y a des commerciaux avec qui je discute, que j’apprécie simplement pour leur personne. C’est un aspect communication, une dimension humaine. Ça permet aussi de se faire connaître et de se faire apprécier. Alors que moi, en parallèle, par exemple, j’ai entendu dire qu’il n’y a pas du tout de liens, qu’il y a un clivage entre les commerciaux et les développeurs. Je ne trouve pas ça du tout vrai.

[…] Moi, j’essaie de ne pas être bloqué par rapport à ça, parce que c’est sûr que ça ne fait pas avancer les choses… Par exemple, au niveau des meetings, pour essayer de communiquer entre les différentes hiérarchies, il y a des petits-déjeuners qui sont faits. Sur intranet, il y a des messages qui passent : “Qui est intéressé pour participer à un petit-déjeuner?” Il y a des gens qui ne répondent pas, déjà. Après, je veux dire, il ne faut pas que ces personnes-là viennent se plaindre qu’il n’y a pas de communications, parce qu’elles ne répondent pas aux invitations qu’on leur propose. C’est le genre de truc auquel je vais, même si je n’ai pas grand-chose à dire sur le moment, pour au moins avoir un minimum de liens et pour me tenir au courant.»

Les conduites coopératives

Cette deuxième dimension de la mobilisation collective a trait au degré d’investissement de l’employé dans l’action collective proprement dite. Lorsqu’ils coopèrent, les salariés échangent volontairement entre eux des ressources et agissent conjointement afin de concourir à une œuvre commune. L’employé mobilisé désigne alors une personne qui fait l’effort de travailler en interaction avec ses collègues et qui participe activement à la prise de décision inhérente au travail collectif.

Il s’agit d’un véritable «collaborateur» qui a le sens du partage dans la mesure où il s’adonne consciemment et délibérément à une activité complémentaire de celle d’autres personnes. La coopé- ration se manifeste par des conduites de coordination spontanée, d’échange de ressources (partage d’informations et de compétences) et d’assistance mutuelle (conseils et entraide).

Les conduites coopératives s’expriment dans les activités réalisées en commun, activités qui nécessitent l’effort conjoint de plusieurs personnes, simultanément ou en parallèle. Les salariés déploient alors beaucoup d’énergie pour ajuster leur contribution entre eux. Cela passe par des initiatives prises au sein de l’équipe pour se répartir les tâches selon les compétences et les désirs de chaque membre, pour s’informer mutuellement de l’avancement des travaux de chacun, ou pour bien articuler les différentes contributions les unes par rapport aux autres.

Lorsqu’ils coopèrent, les individus s’efforcent aussi de partager un ensemble de ressources. Est particulièrement mobilisé le salarié qui tente d’«associer ses compétences» ou de «confronter ses expériences» avec celles d’autrui, qui «enseigne des choses» ou qui cherche à «s’enrichir au contact des autres», qui «partage les “bonnes pratiques” qu’il a expérimentées», qui diffuse ses idées, son point de vue ou les informations qu’il détient, ou qui «va tout le temps à la pêche d’éléments nouveaux, de connaissances nouvelles, de méthodes nouvelles».

Le salarié mobilisé est aussi celui qui apporte volontiers de l’aide aux membres de son équipe, ou qui fait l’effort de demander à son tour de l’aide lorsqu’il fait face à des difficultés. Il peut s’agir, par exemple, de «donner un coup de main à un collègue momentanément surchargé», de «donner des conseils sur la marche à suivre» ou de «demander à ses pairs de faire une revue de son travail».

À l’opposé, il est possible de repérer les comportements qui entravent la mobilisation collective, comme la paresse sociale (social loafing) ou le comportement de passager clandestin (free riding) (Wagner, 1995 : 152). Dans ce cas, la personne démobilisée fait preuve de «mauvaise volonté» à l’égard de l’action collective, préfère le repli sur soi et tend à travailler seule en adoptant une conduite de retrait vis-à-vis de son équipe. Comme l’indiquent Wils et al. (1998 : 32) «un employé mobilisé travaille plus volontiers solidairement tandis qu’une personne démobilisée travaille plus volontiers solitairement».

Celle-ci préfère réserver pour elle-même ses compétences et ses idées et, lorsqu’elle est en difficulté dans son travail, se refuse à partager son problème. Entre ces deux extrêmes, l’employé peut faire le choix de comportements d’ajustement mutuel en limitant sa collaboration aux obligations contractuelles (prescriptions) sans prise d’initiatives ni volonté particulière.

Les conduites d’intercompréhension

Il ne suffit pas de communiquer ou de coopérer pour comprendre autrui ou être compris d’autrui. Au-delà des efforts de sociabilité et de coopération, la mobilisation collective peut égale- ment désigner les énergies déployées par le salarié pour comprendre le sens de l’action collective. La compétence et la performance d’une équipe de travail ne résultent pas de la simple juxtaposition des compétences et des performances individuelles : elles sont une affaire collective. Pour cette raison, coupler l’individuel au collectif devient un enjeu important. Il est donc nécessaire pour le salarié d’acquérir à la fois une intelligibilité individuelle et une intelligibilité collective afin que la prise de conscience individuelle s’inscrive dans une compréhension globale. La juxtaposition de projets individuels ne suffit pas pour constituer un projet collectif cohérent. La conscience du tout doit orienter et canaliser la conscience de soi.

Selon cette optique, le salarié mobilisé est d’abord celui qui tente d’accéder à une vision globale de l’activité et de connaître ainsi ce qui se passe en amont et en aval de ses contributions. Il s’agit pour lui de produire des efforts dans le but de «percevoir les enjeux de la mission», et donc de chercher à développer avec les membres de son équipe une compréhension commune de l’action à réaliser. C’est quelqu’un qui «dépense beaucoup de temps et d’énergies pour avoir une vue d’ensemble, c’est-à-dire pour être sûr d’avoir bien compris les mêmes choses que ses collègues», qui s’efforce d’anticiper avec autrui les difficultés de l’action collective ou qui tente de définir une perspective à long terme.

À l’inverse, l’employé est démobilisé à l’égard de son équipe lorsqu’il développe une vision parcellaire du travail collectif, lorsqu’il se confine dans un domaine d’expertise ou lorsqu’il s’acquitte de sa tâche «sans se préoccuper de savoir quelle est la finalité de la production» à laquelle il contribue, «sans se soucier du besoin du client final», par exemple. Au regard du travail collectif à accomplir, le salarié mobilisé est également celui qui cherche à situer son rôle vis-à-vis d’autrui, de manière à «rendre cohérente sa production personnelle avec celle des autres». Les conduites adoptées par le salarié visent alors à percevoir les activités qui peuvent avoir un impact sur les siennes, ou à saisir les tâches réalisées par chacun et la manière dont elles s’articulent les unes par rapport aux autres.

Finalement, la personne mobilisée adopte des conduites d’intercompréhension qui lui permettent d’accéder à une représentation commune de l’action collective qu’elle contribue à co-construire avec autrui. Cela passe notamment par des conduites d’ouverture ou d’influence mutuelle (consultation des idées et des perspectives des autres, intégration des points de vue opposés pour créer de nouvelles solutions) et de négociation de conflits (discussion directe des problèmes avec autrui pour en arriver à un accord bénéfique mutuel), conduites qui permettent à l’individu de retrouver un sens à son travail, en luttant contre la fragmentation des tâches.

En fait, la relation au sens du travail peut apparaître sous trois formes différentes qui se situent dans un continuum : le sens qui est directement lié à l’emplacement de travail et à la tâche, le sens qui renvoie à la relation avec les autres membres de l’équipe de travail et le sens qui rattache un travail particulier au projet collectif dans son ensemble. L’individu est particulièrement mobilisé lorsqu’il s’efforce d’accéder à ces deux derniers niveaux de sens en tentant de comprendre la place et le rôle de chacun dans le travail collectif (intelligibilité interindividuelle) ou en cherchant à relier la finalité de sa contribution personnelle à celle de l’action collective (intelligibilité collective).

À l’opposé, le salarié est démobilisé vis-à-vis de son équipe lorsqu’il ne produit pas d’effort particulier pour comprendre le rôle des autres membres et les enjeux du projet collectif. Au mieux, il limite ses efforts à la compréhension des tâches qui lui sont explicitement demandées (intelligibilité individuelle). L’employé démobilisé peut alors s’enfermer dans un certain hermétisme en restant prisonnier de son propre cadre de référence qu’il utilise, sans jamais le remettre en question, pour communiquer avec autrui ou pour interpréter ce que dit autrui, cela pouvant conduire à un véritable «dialogue de sourds».

Cette approche de la mobilisation collective rejoint les travaux de certains sociologues français qui proposent aujourd’hui d’appréhender le travail collectif à travers ses processus cognitifs. Ainsi, pour des auteurs comme Zarifian (2001 : 56), c’est la situation affrontée en commun qui fait naître la mobilisation collective. Les salariés ont à juger conjointement de la validité réciproque des initiatives qu’ils prennent au sein de leurs interactions mutuelles, face à une gamme de situations.

Même si la dimension affective n’est pas à exclure des relations interpersonnelles, l’action collective prend davantage sa source dans une intercompréhension. Il s’agit d’un «nouvel agir en commun» (Thuderoz, 1995) qui repose sur le débat, le développement d’une rationalité interactive, un accord social construit dans les prises de parole et les expériences de confrontation. Selon Zarifian (1995b), la mobilisation collective peut être vue comme un «espace d’intersubjectivité10» où l’on construit une compréhension réciproque et des accords solides.

Synthèse

La mobilisation collective représente donc le fait de déployer volontairement des efforts de sociabilité, de coopération et/ou d’intercompréhension. Comme l’illustrent les schémas 1 et 2, ces trois dimensions interagissent de manière complexe de telle sorte qu’elles peuvent se renforcer mutuellement. Ce sont, par exemple, les efforts d’intercompréhension déployés par les salariés qui permettent de lutter contre la peur de l’échec ou la peur de dévoiler leurs zones d’incompétence.

En réduisant la méconnaissance et l’ignorance réciproques, les relations et les communications intersubjectives jettent des ponts entre les individus, ce qui favorise la coopération et la consolidation des liens sociaux. Chacun prend peu à peu conscience des possibilités d’action en commun à mesure que se développe l’apprentissage par chacun des contraintes d’autrui.

D’un autre côté, c’est avec le dialogue et le débat que les représentations et la compréhension des individus peuvent évoluer. L’accession à une représentation commune est réalisée par le processus dynamique d’interactions au cours duquel disparaissent les ambiguïtés et les conflits de rôles. S’efforcer de tisser des liens, échanger spontanément des ressources et faire preuve d’assistance mutuelle avec ses collègues permettent l’instauration d’un climat de confiance, préalable à l’intercompréhension.

On le voit, les relations entre ces trois dimensions semblent fort complexes et s’organisent en un système. Toutefois, nous ne pensons pas qu’il faille nécessairement la simultanéité de ces trois types de conduites pour qu’il y ait mobilisation collective. À titre d’exemple, un salarié peut très bien être mobilisé à l’égard de son collectif de travail parce qu’il déploie des efforts d’interaction et d’intercompréhension bien qu’il ne cherche pas à créer de relations affectives avec ses collègues.

La mobilisation collective pourrait donc prendre diverses formes en fonction de l’acuité des conduites relationnelles, coopératives ou d’intercompréhension. Ainsi, pour un groupe d’ouvriers spécialisés œuvrant sur une chaîne de montage, on peut supposer, avec Sainsaulieu (1987 : 173), que la mobilisation collective sera davantage caractérisée par «des relations intensément affectives, mais peu axées sur le débat d’idées», alors que dans une équipe d’agents techniques professionnels, la mobilisation collective devrait davantage être «marquée par la grande richesse affective et cognitive».

Dans les équipes semi-autonomes, la mobilisation collective devrait surtout prendre appui sur les conduites coopératives. Enfin, pour les équipes de projets, nos entretiens nous laissent penser que la mobilisation collective s’adosse moins au déploiement de relations affectives qu’à la mise en œuvre de deux formes de conduites complémentaires : les conduites de coopération qui, par des échanges volontaires d’informations et de ressources, favorisent la cohérence technique des tâches à réaliser, et les conduites d’intercompréhension qui permettent la construction d’une représentation commune, l’acquisition d’une intelligibilité collective.

Conclusion

Nous avons tenté dans cet article d’enrichir la notion de mobilisation en nous plaçant du côté de l’individu, alors que dans les pratiques ou dans les contributions théoriques, elle est souvent assimilée à une démarche prescriptive et descendante. Or, cette conception purement organisationnelle ne renvoie pas au libre arbitre du salarié. La mobilisation, fondée sur la liberté d’adhésion de chacun, ne peut être obtenue en dehors d’un cadre contractuel. On ne peut concevoir de l’extérieur, c’est- à-dire sans discussion avec le personnel, quelque chose qui va soi-disant le mobiliser, sinon cela risque d’être perçu comme une manipulation ou une injonction paradoxale (Guerrero et Sire, 2001 : 87).

Nous nous sommes plus particulièrement intéressé ici à la mobilisation collective des salariés, c’est-à-dire à leurs conduites orientées dans le sens de l’équipe de travail. Nous nous sommes efforcé d’en repérer les dimensions caractéristiques, à savoir les dimensions affective, conative et cognitive. Cette proposition de définition est le résultat d’une série d’entretiens semi-directifs combinée avec une étude bibliographique; bien sûr, les dimensions relevées mériteraient d’être validées empiriquement par le biais d’un questionnaire. Malgré tout, cette définition permet d’ores et déjà de se représenter différentes formes de mobilisation collective en fonction des éléments de contingences caractérisant les divers collectifs de travail.


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Repérer les différentes dimensions de la mobilisation collective présente un intérêt sur le plan des pratiques professionnelles. Tout d’abord, cela pourra permettre aux praticiens du service des ressources humaines, soucieux de renforcer les dynamiques d’équipes, d’affiner leurs outils d’appréciation du personnel dans le sens d’une meilleure évaluation des contributions individuelles au travail collectif.

Souvent, les critères d’appréciation définis dans les supports d’entretien manquent de précision et peuvent faire l’objet d’interprétations plurivoques de la part des évaluateurs. C’est notamment le cas lorsque le personnel est évalué sur la base d’un seul item, comme l’«esprit d’équipe», censé couvrir l’ensemble des conduites de mobilisation collective. L’approche développée ici pourra également aider à proposer aux managers d’équipe des outils leur permettant de repérer et de signifier à leurs employés les «dimensions» ou «conduites» sur lesquelles ces derniers ont des marges de progrès à réaliser.

Au-delà du fait que la mobilisation collective recouvre une diversité de conduites, notre étude montre la difficulté à mesurer celles-ci. Puisqu’il s’agit d’encourager des comportements discrétionnaires, et non de contrôler l’exécution de tâches prescrites, il ne s’agit plus pour le praticien d’évaluer l’adoption de gestes élémentaires préalablement définis. La difficulté consiste donc à parvenir à mesurer des comportements qui ne peuvent être programmés à l’avance. C’est ce que nous avons cherché à montrer dans cette étude exploratoire, en employant le concept de conduite. Nous avons voulu signifier ainsi qu’il importe non pas d’apprécier le contenu des comportements, mais de jauger la visée collective et l’intensité des contributions individuelles.

Aussi, de façon plus pragmatique, nous pouvons nous interroger sur les actions à entreprendre pour stimuler les comportements de mobilisation collective chez les salariés. Nous faisons, pour terminer, quelques suggestions à cet égard :

  • Caractériser dans un premier temps la nature de l’action collective à encourager. En fonction du type de collectif de travail, les attentes pourront être différentes. Souhaite-t-on, par exemple, cristalliser la cohésion du groupe autour de routines de travail préalablement prescrites et portées par un collectif de pairs stabilisés? Désire-t-on, au contraire, renforcer l’autonomie et les pratiques coopératives au sein d’un groupe autogéré? Ou ambitionne-t-on d’encourager l’innovation par une fertilisation croisée des compétences détenues par chaque membre d’une équipe de projet? Selon les cas, le management pourra souhaiter plutôt stimuler les relations de travail (approche affective), inciter les salariés à mettre leur travail en relation (approche conative) ou renforcer leur relation au sens du travail (approche cognitive).
  • Préciser la visée des conduites de mobilisation collective à stimuler, eu égard à la nature des activités à accomplir collectivement. Demander aux salariés d’avoir un «esprit d’équipe» n’est pas très opérant. Il importe d’être beaucoup plus explicite dans la définition des conduites de mobilisation collective que l’on souhaite voir adoptées. Ainsi, si la nature de l’activité nécessite que les salariés fassent des efforts de coopération, souhaite-t-on surtout encourager l’entraide, l’échange d’informations ou la coordination spontanée des tâches?
  • Bâtir une échelle permettant d’apprécier l’intensité des conduites de mobilisation adoptées par les employés. Il paraît important de reconnaître et de distinguer les salariés qui produisent des efforts au-dessus de la normale, de même qu’il peut être intéressant d’indiquer aux personnes démobilisées les marges de progrès qu’elles ont à réaliser. Une échelle d’appréciation, sur le modèle de celles qui sont proposées à titre indicatif dans le schéma 2, doit être construite pour chacune des conduites qui ont été précisées à l’étape précédente.
  • Établir une relation contractualisée avec chaque salarié sur la base d’un outil permettant d’apprécier les visées et l’intensité des conduites de mobilisation collective. Puisque ces conduites sont à la discrétion de chaque salarié, un suivi personnalisé et régulier devrait permettre au management de proximité d’encourager l’adoption et l’apprentissage de celles-ci, à condition de donner aux salariés, en contrepartie, des raisons de se mobiliser, par exemple en reconnaissant les efforts fournis par des récompenses financières ou non financières.

Notes

1 Ce texte a été présenté au 15e congrès de l’Association Francophone de Gestion des ressources humaines et a été publié dans les actes du colloque édités par G. Simard et G. Lévesque (Tome 2, 2005).

2 Voir Lawler et al. (1992), Rondeau et al. (1993), Barraud (1999).

3 Un comportement discrétionnaire est un comporte- ment qui est adopté à l’initiative de l’employé, c’est-à- dire une conduite qui va au-delà des attentes affichées de l’organisation. Diverses formes de comportements discrétionnaires ont été relevées dans la littérature : extra-role behaviors, prosocial behaviors, organizational citizenship behaviors (Brief et Motowidlo, 1986 : 711; Organ, 1994 : 465).

4 Selon Le Petit Larousse, «se mobiliser» consiste à «ras- sembler toute son énergie pour l’accomplissement de quelque chose».

5 Organ (1994) définit les comportements de citoyenneté organisationnelle comme des comportements discrétionnaires qui globalement contribuent au succès de l’organisation. Il répartit ces comportements en cinq grandes catégories : altruisme, professionnalisme, fair-play, vertu civique et courtoisie. Avec plus de précision, Hunt et Morgan (1994 : 1570) estiment qu’il faut distinguer, parmi les comportements de citoyenneté organisationnelle, ceux qui bénéficient directement à l’organisation de ceux qui, dirigés prioritairement vers les individus, ne bénéficient qu’indirectement à l’organisation. Cela semble assez proche de notre distinction entre «mobilisation organisationnelle» et «mobilisation collective».

6 L’implication au travail (work involvement) traduit la force des liens unissant l’individu à son travail, c’est- à-dire son attachement.

7 L’implication organisationnelle (organizational commitment) désigne l’attachement du salarié à son entreprise. Il peut s’agir d’un attachement affectif qui amène l’employé à s’identifier à l’organisation, d’un attachement instrumental qui amène la personne à considérer le coût de renonciation associé au fait de rompre le lien avec l’organisation, ou d’un attachement moral par lequel la personne se sent obligée de maintenir le lien existant avec l’organisation (Allen et Meyer, 1990).

8 Dans son ouvrage intitulé Mintzberg on Management (1989), Mintzberg distingue six mécanismes de coordination avec l’ajustement mutuel : la supervision directe par la hiérarchie, la standardisation des procédés (le contenu du travail est spécifié ou programmé), la standardisation des résultats (performance attendue), la standardisation des compétences et du savoir et la standardisation des normes (valeur et culture).

9 Zarifian (1995a) définit le concept d’événement comme «quelque chose qui survient de manière partiellement imprévue, surprenante, non programmée, mais importante pour le succès de l’activité productive». Selon lui, le concept d’événement s’oppose totalement à celui d’opération de travail, tel qu’il était défini dans l’organisation taylorienne, c’est-à-dire comme un objet séparable du salarié, formalisé antérieurement à son exécution et programmé scientifiquement par avance.

10 Le sociologue Zarifian (1995b) oppose d’ailleurs à la version pauvre de la coopération une version riche où il s’agit «de travailler ensemble, de développer tout un espace d’intersubjectivité, c’est-à-dire une compréhension réciproque et des accords solides sur la nature des problèmes à traiter et des savoirs à développer, l’identité des objectifs, le sens donné aux actions et la convergence des mobiles des individus qui agissent ensemble (qui est beaucoup plus que la simple convergence des actes)».

Références

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