Colère, pleurs : quand les émotions débordent au travail
2024-07-17
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2024-05-27
Colère, pleurs : quand les émotions débordent au travail
Ressources humaines , Management
Il peut arriver de perdre le contrôle de ses émotions devant ses collègues ou ses supérieurs. Lorsque cela arrive, que peuvent-ils faire pour nous accompagner dans cette situation? Et que pouvons-nous faire pour la désamorcer?
Cela s’est passé il y a huit ans, mais Jeanne* se rappelle avec émotion le jour où ses deux superviseurs l’ont convoquée dans une salle de réunion. Neuroatypique, la jeune travailleuse s’était récemment ouverte à eux sur son handicap afin d’expliquer certains oublis.
Elle s’y était résolue pour favoriser la compréhension de ses gestionnaires dont les coups de gueule étaient fréquents et s’inscrivaient dans une organisation qu’elle décrit comme très hiérarchique. Leur réaction n’a pas été celle qu’elle attendait. «Ils ont refermé la porte et m'ont confrontée à toutes les erreurs et à tous les problèmes de compréhension que j’avais rencontrés au cours des dernières semaines. Je me sentais piégée, incapable de respirer. Je leur ai demandé d’ouvrir la porte ou que l’on ait cette conversation à l'extérieur parce que je me sentais surchargée, mais ils ne se sont pas arrêtés.»
Jeanne a finalement quitté la pièce en courant. Elle raconte que, quelque temps plus tard, un autre employé junior mis sous pression de manière similaire par les mêmes superviseurs a craqué et hurlé de colère dans l’open space.
L’insécurité en toile de fond
Ce témoignage dépeint des réactions émotionnelles vives déclenchées par un management abusif. Mais d’autres contextes peuvent mener des employés à «perdre le contrôle», tels qu’une situation personnelle difficile, des conflits entre collègues ou de grands changements organisationnels. «Ces situations, parce qu’elles créent de l’insécurité, amènent souvent beaucoup plus d'émotions à gérer [pour l’employé]», explique Ghislaine Labelle, psychologue organisationnelle, CRHA et médiatrice accréditée pour le Groupe Conseil SCO. La spécialiste ajoute qu’un événement précis sur le lieu de travail agit souvent comme déclencheur de l’hyperémotivité. «Il peut s’agir d’un collaborateur qui n’a pas respecté ses engagements ou [comme dans le cas du témoignage ci-dessus] d’une demande à laquelle on n’accède pas.»
Selon les émotions exprimées par les personnes qui les vivent, la réaction des témoins et des personnes éventuellement prises à partie ne sera pas la même. «Une personne qui éclate en sanglots va généralement stimuler la compassion chez les interlocuteurs alors que quand on éclate de colère, les gens sont un peu surpris, gênés, ils ne savent pas quoi dire et surtout, ils appréhendent le développement de la situation», résume Estelle Morin, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal.
Ce qui peut aider
Selon l’enseignante, la première chose à faire en cas d’éclat de colère est de constater l'émotion que la personne exprime, la nommer, en énonçant par exemple que nous percevons chez elle beaucoup d'indignation ou d’impatience. «Ça va l'aider à reconnaître son état émotionnel et à se sentir reconnue», ce qui l’aidera à se calmer.
Cela implique de résister à dégainer le fameux «Calme-toi», rappelle Ghislaine Labelle, parce que cette injonction va aggraver l’état émotif dans lequel les personnes en colère se trouvent. Elle suggère, à la place, de s’intéresser au ressenti de la personne et de lui proposer un moment d'arrêt. «Lui offrir un verre d'eau, un café, l'amener dans son bureau et lui demander ce qu'il se passe pour elle actuellement, en évitant d'avoir une attitude ou un ton qui l'accuse.»
Selon les situations, il peut toutefois être nécessaire de demander à la personne de se ressaisir et d'agir d'une façon plus respectueuse, soutient Estelle Morin. Tout en lui mentionnant qu’on va pouvoir résoudre le problème ensemble. «Il faut l'associer à la résolution de la situation qui l'a mise dans cet état.»
Le gestionnaire, en particulier, peut amener le collaborateur à réfléchir sur ce qui l'a poussé à réagir vivement, et ce, une fois l’émotion retombée. La perspective que la personne prendra sur ses valeurs et ses vulnérabilités peut l’aider à dépasser son éventuel sentiment de culpabilité et retrouver un regard positif sur elle-même, avance l’enseignante.
Nommer ses émotions
Du côté du collaborateur qui s'emporte devant ses collègues ou ses gestionnaires, il s’agit qu’il présente ses excuses, reconnaisse et exprime les émotions qu'il ressent afin d’aider ses interlocuteurs à donner un sens à sa réaction, juge Estelle Morin. «Il peut dire des choses comme : “Je trouve cette situation insupportable et ce n’est pas la première fois qu’elle arrive. Alors j’ai ressenti de l’impatience et je n’ai pas pu me retenir”.» L’enseignante ajoute que la personne gagne à proposer une solution au problème que son émotion a signalé.
Bien sûr, les situations ne se ressemblent pas. «Si vous êtes témoin d'une personne qui abuse de son pouvoir et humilie des collègues autour de la table, la colère peut être une émotion tout à fait justifiée», souligne la chercheuse, qui invite cependant le témoin ou la victime à exprimer son sentiment d'indignation de manière respectueuse pour ne pas «jouer dans le film» de la personne qui a accusé ou humilié. Un défi, reconnaît-elle, car cela demande de contrôler ses impulsions.
Encourager l’expression
Au-delà des comportements managériaux inappropriés qui ont poussé Jeanne dans ses retranchements, la travailleuse dénonce une certaine culture qui tend à voir l'expression des émotions au travail de manière négative. «S’il était plus accepté de parler de ses émotions et de ses difficultés, on n’arriverait peut-être pas à des situations d’hyperémotivité. On utiliserait les informations [transmises par les collaborateurs] pour gérer l’organisation de manière plus humaine, plus complexe et plus pratique», croit-elle.
Empêcher l'expression des sentiments concourt à créer des bombes à retardement, avance dans le même sens Ghislaine Labelle, qui plaide pour que les organisations instaurent une culture de communication non violente, bilatérale et continue. «Je pense qu'on serait pas mal plus gagnant.»
Note
*Le prénom a été modifié.
Ressources humaines , Management