Article publié dans l'édition Automne 2020 de Gestion

Le marketing personnalisé est un puissant moteur de conversion et, bien souvent, le chemin le plus direct vers une transaction. Qu’il s’agisse d’infolettres ou de bandeaux publicitaires adaptés à la navigation des internautes, ces méthodes donnent des résultats bien tangibles.

« La personnalisation, c’est un terme à la fois vague et précis », explique Sylvain Sénécal, professeur titulaire au Département de marketing de HEC Montréal et responsable de la Chaire de commerce électronique RBC Groupe Financier. M. Sénécal rappelle qu’on avait jadis recours à cette approche lorsqu’on devait composer avec de vastes catégories cibles (tranches d’âge, genres ou codes postaux, par exemple). « Aujourd’hui, nous pouvons nous focaliser sur une seule personne à la fois. »

Une question de pertinence et de timing

Les exemples sont nombreux : on s’inscrit par exemple à un marathon et, quelques minutes plus tard, une publicité pour des espadrilles s’affiche à notre écran. Le lendemain, un courriel nous annonce une promotion. À ce chapitre, les gestionnaires de marques voient opérer la magie des données. « En fait, les entreprises choisissent les meilleurs canaux de communication pour transmettre le contenu le plus pertinent au moment le plus opportun », ajoute Sylvain Sénécal.


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Le professeur ajoute que dans cette course à la personnalisation, les entreprises gagnent à évaluer et à optimiser leur retour sur investissement : « Après une série d’essais-erreurs, si ce retour est bien mesuré, elles peuvent raffiner leurs approches jusqu’à ce qu’elles atteignent le degré de personnalisation idéal. »

En outre, il distingue deux approches principales : la première est « la publicité achetée sur des sites où les internautes séjournent plus longtemps, comme Facebook ou ceux des médias plus traditionnels. L’idée consiste alors à accrocher les clients potentiels avec une offre, une marque, des produits. Avec cette approche, on mise davantage sur la notoriété dans un espace où la publicité a pour but de faire dévier les gens de leur parcours de navigation habituel pour capter un peu de leur précieux temps ».

La deuxième approche repose sur des campagnes de référencement naturel (search engine optimization, ou SEO en anglais) ou de référencement payant (search engine marketing, ou SEM) destinées à améliorer le positionnement d’un site Internet dans les résultats affichés par certains moteurs de recherche. « Ce modèle fonctionne très bien pour le volet transactionnel mais un peu moins bien pour la valorisation d’une marque. Les produits doivent être pertinents pour les consommateurs au moment où ils les recherchent », signale Sylvain Sénécal. En somme, les internautes doivent être déjà convaincus par l’idée d’acheter à très court terme.

Le bon filon

L’exploration des données (data mining) et l’intelligence artificielle s’invitent également à la grande table de la personnalisation. « On n’y échappera pas ! » annonce Sylvain Sénécal. Attentif au comportement des consommateurs, il est persuadé de la puissance de ce levier en matière de marketing.

Quant au reciblage, notamment avec les bandeaux publicitaires qui accompagnent nos recherches en ligne, le professeur en reconnaît l’efficacité, mais avec un bémol : « Des études ont démontré l’importance du moment où s’affiche la publicité dans le processus transactionnel. » Par exemple, si, après avoir acheté des espadrilles, nous constatons que la marque continue de nous solliciter, nous risquons de garder une impression beaucoup moins favorable de cette marque.

Une limite à ne pas franchir ?

Alors, où se trouve la frontière entre la personnalisation et l’intrusion ? « La limite existe, mais elle est en mouvement constant. Et notre conception du volet public de nos existences par rapport à ce qui relève de la vie privée évolue également », constate Sylvain Sénécal. Selon lui, la symbiose avec les consommateurs demeure primordiale : « Une organisation peut introduire une nouvelle fonctionnalité actuellement jugée intrusive mais qui sera tout à fait acceptable dans cinq ans. »


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La personalisation : l'essor d'un phénomème

Réalisée par Statista, une vaste étude1 dont les résultats ont été publiés en 2018 démontre à la fois l’attrait pour le marketing personnalisé et la croissance de ce phénomène dans le monde. Le nombre d’utilisateurs de ces approches numériques est en hausse constante, n’en déplaise à ceux qui en prédisaient la disparition. Sylvain Sénécal commente certains faits saillants de cette étude à la lumière de ce que nous avons appris et de ce qui s’est passé dans ce domaine depuis deux ans.

56% des entreprises dans le monde consacrent entre 1% et 10% de leur budget de marketing à la personnalisation.

« Ces chiffres sont probablement prudents au regard de la réalité actuelle et vont continuer de connaître une croissance appréciable », croit Sylvain Sénécal, selon qui un des principaux défis consiste à générer davantage de transactions sans s’aliéner les clients. « Plus la technologie sera accessible et acceptée, plus les entreprises et les consommateurs vont l’adopter », ajoute-t-il.

La qualité des données est le principal obstacle au recours à la personnalisation.

Selon M. Sénécal, la donnée est l’ingrédient de base dans la recette de la personnalisation. À ce chapitre, certaines questions se posent : « L’organisation a-t-elle les ressources nécessaires pour tirer profit de ses données ? Celles-ci sont-elles optimales pour rejoindre la clientèle? »

65% des entreprises dans le monde ont recours à des campagnes par courriel pour susciter des expériences de personnalisation. « L’adresse courriel, c’est de l’or en barre pour les entreprises. Elles travaillent donc très fort pour lancer des campagnes par courriel à peu de frais. Si j’ai un million d’abonnés et si je souhaite leur envoyer un message sur Facebook, je dois payer », note-t-il. Une bonne campagne par courriel devient ainsi la voie royale pour contourner cet obstacle, d’autant plus que les consommateurs connaissent déjà les entreprises qui leur envoient des signaux. « Le taux de clics et de conversions risque donc d’être plus élevé. »

50% des consommateurs américains désignent la surcharge de courriels comme le principal irritant.

Sylvain Sénécal accueille cette statistique en riant : « Certains sondages montrent un écart notable entre la perception à propos des entreprises et les véritables motivations des consommateurs à leur égard. » Ainsi, les gestionnaires croient parfois à tort que leur clientèle s’intéresse aux marques qu’ils dirigent, alors qu’en réalité, elle cherche tout simplement à obtenir un rabais ou un cadeau. Cette clientèle ambitionne-t-elle de monnayer son attention elle aussi ?

 


Note

1 « Marketing Personalization » (étude en ligne), Statista, 2018.