Dans un univers de connaissances imparfaites, toute décision implique des risques d’erreur. 

Ainsi, l’approbation d’un nouveau médicament entraîne deux types d’erreur :

  • Erreur de type 1 : Homologuer un médicament qui se révèle avoir des conséquences graves.
  • Erreur de type 2 : Refuser l’homologation d’un médicament valable et sans effet secondaire dangereux.

Les deux erreurs sont reliées. Une augmentation des contrôles pour s’assurer plus de sécurité et ainsi diminuer la probabilité de la première erreur accroît du même coup la probabilité de refuser un médicament valable et de commettre l’erreur de type 2. Les deux erreurs sont présentes et on ne peut pas y échapper.

Une décision rationnelle demande de pondérer la probabilité anticipée des deux erreurs par leurs conséquences ou leurs coûts respectifs attendus. Illustrons par la tragédie du thalidomide, un médicament utilisé durant les années 1950 et 1960 comme sédatif et anti-nauséeux, notamment chez les femmes enceintes. Il avait été autorisé dans de nombreux pays, dont le Canada, mais non commercialisé aux États-Unis. Il s’avéra que plusieurs autorités commirent l’erreur de type 1. On découvrit que le thalidomide provoquait de graves malformations congénitales. Cette tragédie eut des effets à long terme : elle accrut la perception des coûts de la première erreur et ainsi diminua la rapidité d’approbation de nouveaux produits en devenant plus exigeant.

Au cours des années quatre-vingt-dix, des groupes de sidéens et de cancéreux insistèrent sur les coûts de la deuxième erreur, occasionnés par un progrès technique plus lent. Ils favorisèrent ainsi une diminution des contrôles défavorables aux thérapies expérimentales. Il faut considérer que pour un malade en phase terminale, l’erreur de type 1 a un coût minime relativement à l’espoir de la réussite d’un nouveau traitement.

Quelques applications

Cette simple théorie de la décision s’applique couramment dans notre univers. Un ancien directeur du Bureau of the Budget des États-Unis écrivait :

La […] conséquence d’une lacune dans l’établissement de mesures appropriées de performance entraîne souvent les individus et les établissements à devenir d’avides réducteurs de risques. Le succès général a peu de chances d’être reconnu, mais les « fautes » individuelles peuvent être mises en évidence pour punition. (Schultze, 1969 : 207-208)

Dans une bureaucratie, une bonne façon de s’adapter au système d’incitations n’est pas d’innover avec les possibilités d’échec, mais de bien suivre les règles qui tendent à se multiplier. L’inertie est privilégiée.

Cela s’étend aux décideurs des organismes réglementaires : ils ont tendance à surestimer les coûts de l’erreur de type 1 vu les effets dévastateurs de ce type d’erreur pour leur carrière. L’erreur qui consiste à approuver un médicament qui s’avère avoir des conséquences néfastes est très visible, tandis que l’autre type d’erreur l’est beaucoup moins.

Dans les causes criminelles, le principe de présomption d’innocence implique que la Couronne a le fardeau de la preuve et que la culpabilité doit être établie hors de tout doute raisonnable. Ce principe diminue la probabilité de condamner une personne non coupable tout en augmentant la probabilité de libérer un criminel. C’est le résultat de la pondération implicite des coûts entre les deux erreurs : comme l’affirmait Voltaire, « Il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent. »

Nos sociétés craignent-elles le changement?

Comme les bureaucraties favorables à l’inertie, nos sociétés craignent-elles aussi le changement en favorisant de plus en plus le statisme, c’est-à-dire la sécurité par rapport au dynamisme, le produit d’une « destruction créatrice »?

L’expansion des interventions gouvernementales sous différentes formes depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale confirme l’État dans le rôle d’un gigantesque assureur, favorable à la préservation du statu quo.  Par rapport aux deux types d’erreur, les membres d’une société font face au même problème qu’un investisseur avec son portefeuille : choisir la sécurité et perdre un rendement élevé ou viser le rendement avec une possibilité d’une perte de la valeur de capital.

Deux facteurs expliquent un biais de plus en plus favorable au statisme. Premièrement, les sociétés développées ont atteint un niveau de vie inimaginable il y a plusieurs décennies. Qui aurait prédit en 1951, au moment où la part canadienne des emplois en agriculture était de 18,4 pour cent, que cette part serait inférieure à deux pour cent aujourd’hui? Comme le risque est en soi un mal, il ne faut pas se surprendre que les citoyens se tournent vers plus de sécurité avec des revenus croissants. Ils privilégient différentes formes d’assurance. L’autre facteur favorable au statu quo est la présence des groupes d’intérêts spécialisés, bien établis et en perpétuelles demandes de protection. Ils se font les promoteurs de l’équilibre existant.