La solution idéale n'est pas de ce monde...

Nous vivons dans un mode compliqué où il est nécessaire de manœoeuvrer dans les tempêtes. Les situations ne correspondent pas aux extrêmes du noir et du blanc, mais plutôt en de multiples teintes de gris. C'’est un environnement inapproprié aux certitudes.

Des économistes pratiquent peu ce qu'’ils prêchent

Le concept de coût d’'opportunité ou de renonciation est au centre de la science économique. Un choix rationnel demande d’'appréhender les bénéfices et les coûts des différents choix et non d’'en rejeter a priori.

Dans la rationalisation de l'’intervention gouvernementale, plusieurs économistes ne mettent pas en pratique ce qu'’ils prêchent, comme le professeur qui exige de l’'étudiant d'’accomplir ce qu’'il dit et non ce qu'’il fait.

Centralisation et décentralisation : deux solutions imparfaites

Les processus décentralisés impliquant les marchés et ceux centralisés de l'’intervention gouvernementale représentent des solutions imparfaites pour allouer les ressources. La décentralisation va du bas vers le haut en partant des explorateurs; la centralisation va du haut vers le bas en recourant à des planificateurs.

Malgré les avantages de la décentralisation, les économistes ont développé tout un arsenal d'arguments pour justifier la centralisation ou l'intervention gouvernementale. En plusieurs circonstances, les marchés libres seraient défaillants, incapables d'assurer un système de sanctions et de récompenses qui entraînerait le non-gaspillage des ressources. On parle de situations où il y a présence d'effets de débordement, d'économies de grande dimension, de biens publics, d'informations asymétriques entre les parties, de pouvoirs monopolistiques, de chômage involontaire et enfin d'une distribution des revenus perçue comme insatisfaisante.

Les possibilités de défaillances de la décentralisation ou des marchés sont nombreuses, ce qui permet à tout économiste muni d'un minimum d'imagination de proposer une intervention gouvernementale pour n'importe quelle activité.

Les faiblesses de l'approche des défaillances

L'approche basée sur les défaillances des marchés pour justifier l'intervention gouvernementale insiste exclusivement sur le gaspillage et l'inefficacité qu'entraînent les décisions décentralisées. Elle ignore complètement la contrepartie reliée aux  inefficacités des décisions centralisées : moins grande responsabilité du consommateur, standardisation des services et cartellisation, absence d'expérimentation et de flexibilité, pour n'énumérer que quelques coûts de la centralisation sans oublier la présence d’incohérence dans la prise de décision collective.

Un ancien ministre me communiquait comment il avait été frappé par la variété des objectifs qui s’exprimait au niveau ministériel. Cette variété ne peut qu’entraîner des politiques incohérentes.

L'intervention gouvernementale entraîne aussi des coûts importants liés à son mode de financement. Les taxes faussent le système d'incitations qui encadre les agents économiques. Elles modifient les choix libres des agents et produisent ainsi un fardeau excédentaire d'efficacité ou de gaspillage.

Le critère ou l’illusion de la solution parfaite

Il y a près d’un demi-siècle, l'’économiste Harold Demsetz dénonçait le recours au critère de la solution parfaite; s'’inspirant du bouddhisme, il qualifiant le tout d'’approche nirvana. Son message n'’a pas perdu d’'à-propos :

« La vue qui imprègne aujourd'hui beaucoup l'économie de la politique publique présente implicitement le choix pertinent entre une norme idéale et un arrangement institutionnel existant "imparfait". Cette approche nirvana diffère considérablement d'une approche institutionnelle comparative dans laquelle le choix approprié se situe entre d’autres dispositions institutionnelles réelles. Dans la pratique, ceux qui adoptent le point de vue du nirvana cherchent à découvrir des divergences entre l'idéal et le réel, et si des écarts sont constatés, ils en déduisent que le réel est inefficace. Les utilisateurs de l'approche institutionnelle comparative tentent d’évaluer quel arrangement institutionnel réel possible semble mieux à même de faire face au problème économique… »¹

Conclusion

Avec leur justification de l'’intervention gouvernementale par la présence de défaillances de la décentralisation sans considérer les lacunes de la centralisation, plusieurs économistes adoptent le comportement du légendaire empereur romain qui, juge à un concours de chant entre deux personnes, écouta la première et s'empressa de remettre le prix à la seconde sans s'assurer qu'elle ne faussait pas davantage que la première.

Devons-nous suivre la démarche de l’empereur?


¹ Demsetz, H. (1969). Information and efficiency: another viewpoint. The journal of law and economics, 12(1), 1-22.