Tout juste avant la pandémie, on a vu apparaître dans les organisations les postes de chief happiness officer (CHO), qu’on pourrait traduire par responsable du bonheur. Alors que la pénurie de main-d’œuvre atteint maintenant son paroxysme, on pourrait penser que ce rôle est plus important que jamais. Or, une simple recherche sur LinkedIn montre que ces emplois sont encore très rares. Pourquoi? Et qui est réellement responsable du bonheur des employés?

On retrace les origines du CHO chez Google, entreprise qui a fait beaucoup parler d’elle dès le début des années 2010 pour ses stratégies d’attraction et de rétention du personnel : des repas gratuits au nettoyeur sur place, sans oublier les tables de baby-foot. Puis, un employé du service d’ingénierie, Chade-Meng Tan, a commencé à donner des formations de pleine conscience aux employés pour les amener à trouver la paix intérieure en gérant mieux le stress et l’énergie négative. Il a tellement eu de succès que son poste a évolué vers celui de Jolly Good Fellow, qu’on pourrait traduire par les termes «bon camarade». Évidemment, d’autres entreprises ont suivi dans Silicon Valley et ailleurs, notamment en France et au Québec.

Gabriel Campeau a lancé en 2019 l’entreprise d’impartition CHO SVP après avoir joué lui-même le rôle de CHO dans son espace de coworking Le Tableau Blanc, dans le quartier Saint-Henri. «Des gens d’une soixantaine d’entreprises venaient y travailler chaque jour, donc je devais les accueillir, leur donner la meilleure expérience possible, m’assurer qu’ils étaient confortables, apprendre à les connaître pour pouvoir les mettre en contact avec d’autres entrepreneurs dans l’espace, etc.», énumère le détenteur d’un baccalauréat en sociologie.

Il souligne que c’est beaucoup l’attitude de la personne qui fait d’elle un bon CHO. «Il faut être accessible, empathique et proactif. La seule responsabilité du CHO est de rendre les gens heureux dans l’organisation, alors c’est différent d’un gestionnaire en ressources humaines par exemple qui a d’autres volets à son travail», affirme celui qui a mis la clé dans la porte de ses deux entreprises pendant la pandémie.

Le bonheur dans toute sa complexité

À l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA), on a surveillé de près la tendance du CHO. «C’est un titre étrange, parce que le bonheur n’appartient pas à une personne ou à une fonction dans l’entreprise : il appartient à chaque individu qui fait ses propres choix», précise Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des CRHA.

Il reste que le rôle des CRHA, auparavant plus administratif, a beaucoup évolué dans les dernières années pour devenir plus stratégique afin d’attirer et de garder les talents. «Dans le contexte actuel, la haute direction des entreprises est généralement particulièrement à l’écoute des CRHA même s’ils proposent des stratégies à moyen et à long terme pour bâtir une culture d’entreprise forte et pour améliorer le climat de travail, explique-t-elle. Pour atteindre ce genre d’objectif, il faut un engagement de tout le monde dans l’entreprise, y compris des gestionnaires. Et on est loin de la vision à très court terme avec un retour rapide sur l’investissement.»

Les éléments essentiels sur lesquels agir

Les CRHA peuvent donc agir sur plusieurs éléments qui influencent le bonheur des employés. À commencer par la rémunération. «Il faut qu’elle soit en adéquation avec les compétences des employés, soutient Manon Poirier. Sans qu’elle soit la meilleure, elle doit être compétitive pour qu’elle ne soit pas une préoccupation chez les employés. C’est quand même la base, si on veut garder ses talents.»

L’autonomie des employés est aussi essentielle. «Oui, c’est bien d’être créatif, d’offrir plus de vacances, la semaine de quatre jours ou une tournée de sushis. Mais pour être heureux au travail, les employés ont surtout besoin de sentir qu’ils ont de l’autonomie», illustre Manon Poirier.

Elle explique que c’est une preuve qu’on reconnaît leurs compétences : «On a vu d’ailleurs des entreprises instaurer des mécanismes de surveillance pour le télétravail, indique-t-elle. C’est complètement contraire aux pratiques de bonne gestion. La majorité des gens veulent faire du bon travail. On ne peut pas adapter sa gestion pour la minorité d’employés problématiques.»

Le climat de travail est un autre élément incontournable. «Il faut que les employés évoluent dans un environnement respectueux, qui reconnaît la diversité, affirme la directrice générale. Puis, il faut agir si quelqu’un a un comportement inapproprié.»

Enfin, si certains employeurs hésitent à investir dans le développement des compétences de leurs employés parce qu’il y a beaucoup de mobilité dans le personnel, Manon Poirier croit que c’est essentiel. «Nous sommes dans un environnement où les compétences évoluent rapidement et il faut investir dans ses employés pour qu’ils se sentent importants pour l’organisation.»

Les CRHA ont donc beaucoup à faire pour rendre l’expérience de travail favorable au bonheur. «Mais, ajoute Manon Poirier, chaque individu a son bout de chemin à parcourir.»