Article publié dans l'édition été 2016 de Gestion

Les chefs des finances et les contrôleurs doivent à la fois assumer des responsabilités en matière de reddition de comptes et jouer un rôle de partenaire d’affaires auprès de la haute direction et des différentes unités d’une organisation. Comment peuvent-ils concilier ces deux exigences ?

De nos jours, au-delà de ses compétences techniques, le comptable professionnel agréé (CPA) doit avoir des compétences qui assurent le caractère éthique de son comportement ainsi que sa capacité à résoudre des problèmes, à prendre des décisions, à communiquer, à être autonome, à savoir travailler en équipe et à exercer son leadership1. Lorsque le comptable exerce la responsabilité de chef des finances, ces compétences sont indispensables. Pourtant, même si la réflexion sur les compétences requises pour les chefs des finances est aujourd’hui très active2, il reste difficile de dépasser les incantations et les principes généraux pour déterminer des manières de développer ces talents.


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La Fédération internationale des comptables (IFAC) a établi cinq principes censés aider les chefs des finances à être efficaces3 être compétent, équilibrer les responsabilités, œuvrer comme un élément intégrateur, agir en leader de la fonction financière et être professionnel. Même s’ils ne constituent pas un guide pratique en ce qui concerne les attitudes à adopter, ces principes fondamentaux laissent apparaître deux dimensions clés auxquelles il faut faire face pour évoluer comme responsable des finances : d’abord, une tension entre les exigences de conformité et de leadership dans la gestion à court et à long terme de l’organisation ; ensuite, une complexification croissante de la stratégie d’entreprise et des référentiels comptables mettant tous les jours à l’épreuve l’expertise d’un CPA.

Comment parvenir à équilibrer ces tensions pour ajouter une compétence de leader à l’expertise technicienne du chef des finances ? Pour nous permettre de répondre à cette question, sept responsables ont accepté de nous laisser consulter leurs agendas sur trois semaines et de nous expliquer leurs différents rôles et responsabilités4. Nos analyses nous ont ainsi permis de formaliser, grâce à des pratiques concrètes, les compétences à développer pour évoluer en tant que leader de la fonction financière au sein d’une organisation5.

Chef des finances : un défi constant

Le premier élément marquant, lorsqu’on observe l’activité d’un chef des finances, est la diversité des interlocuteurs avec lesquels il doit œuvrer. S’il travaille seul pendant une durée non négligeable (entre 15 % et 35 % de son temps, dans notre échantillon), il doit aussi non seulement faire face aux attentes des membres de son équipe (entre 20 % et 30 % du temps), de ses pairs et de sa direction générale (entre 15 % et 35 % du temps) mais de surcroît répondre aux demandes des administrateurs ou des actionnaires, selon les particularités de l’organisation en matière de gouvernance.

L’observation des domaines d’intervention des chefs des finances montre que ces derniers doivent aussi composer avec une très grande diversité de sujets et d’activités. En plus de leur fonction traditionnelle de production d’informations comptables, ils interviennent dans les domaines de la stratégie (choix d’investissements, négociation des budgets, etc.), des choix organisationnels (acquisitions, aspects juridiques et fiscaux, etc.), de la gestion des équipes (formation et recrutement, évaluation et développement personnel, etc.) et des relations avec l’extérieur (investisseurs, analystes, conseils d’administration, prêteurs, etc.). L’augmentation des exigences de reddition de comptes attribuable à l’évolution permanente des normes internationales d’information financière mobilise une diversité sans cesse croissante de sujets et d’expertises techniques. Le poids grandissant des partenariats d’entreprises, les exigences des pourvoyeurs de capitaux et les autres mutations profondes de nos économies complexifient également la stratégie d’entreprise en faisant éclater ses lieux, ses temps et ses acteurs. Le chef des finances est au cœur de ces évolutions.

Face à cette diversité d’activités et d’interlocuteurs, les chefs des finances doivent animer leur rôle de promoteur de la conformité et de leadership en articulant expertise stratégique et expertise technique. Quatre compétences sont alors décisives.

quatre competences clés

Quatre compétences clés pour le chef des finances / Illustration Istock

Quatre compétences clés pour le chef des finances

Notre étude, mise en relation avec les travaux réalisés sur l’activité des leaders6, permet de mettre en évidence quatre compétences habilitantes pour le chef des finances. Ces quatre compétences sont toutes mobilisées, mais à des degrés divers, dans les agendas que nous avons étudiés.

1. Les compétences informationnelles désignent la capacité de « créer de la transparence » avec ses interlocuteurs, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’organisation. Elles font du chef des finances un responsable capable de trouver le bon « curseur » entre ce qu’il faut dire et ce qu’il ne faut pas dire.

2. Les compétences organisationnelles correspondent à la capacité de « créer de l’ordre » dans l’organisation en gérant ou en prescrivant formellement des directives aux équipes. Elles caractérisent l’entremêlement des exigences de conformité et de leadership qui s’exerce sur les chefs des finances.

Ces compétences constituent le cœur de l’activité du chef des finances, mais elles ne peuvent pas être mises en œuvre sans compétences interpersonnelles et sans compétences en négociation.

3. Les compétences interpersonnelles correspondent à la capacité de « créer du lien » avec les équipes. Tous les participants à notre étude considèrent ces compétences comme étant capitales.

4. Les compétences précédentes sont complétées par les compétences de négociation, c’est-à-dire la capacité du chef des finances de « créer des compromis », tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’organisation.

Ces quatre compétences clés des chefs des finances ne s’acquièrent et ne s’exercent pas indépendamment les unes des autres.

bonnes pratiques

Les bonnes pratiques des chefs des finances performants / Illustration Istock


À partir de cette dynamique, l’analyse de l’activité des chefs des finances met en évidence huit bonnes pratiques permettant d’évoluer vers le rôle de chef des finances et d’en assumer les responsabilités avec succès. Bien évidemment, ces principes doivent être adaptés en fonction du secteur d’activité, de la culture de l’organisation et des attentes des parties prenantes7. Ils permettent cependant de définir une voie à suivre pour les contrôleurs et les professionnels comptables afin d’articuler les exigences de conformité et l’exercice du leadership au moyen de compétences clés.

Notes

1. Ordre des CPA, La grille de compétences des CPA – Comment obtenir le titre canadien de CPA, 2012.

2. Murphy, P. R., et Chan, Y. E., « La grille des compétences du chef des finances », CPA Magazine, mars 2014, p. 36-42.

3. IFAC, The Role and Expectations of a CFO : A Global Debate on Preparing Accountants for Finance Leadership, 2013.

4. Les résultats ont ensuite fait l’objet de discussions avec les directeurs des finances lors de trois tables rondes d’analyse comparative. Ont participé à l’enquête : Stéphane Arsenault, chef de la direction financière, Héroux-Devtek ; François Collette, chef de la direction financière, Stationnement de Montréal ; Jean-Luc Deschamps, ex-premier vice-président et chef de la direction financière, New Look ; Louise Demers, directrice des finances, École polytechnique ; Yvan Joyal, directeur principal des finances, Sobey’s Québec ; Donald LeCavalier, vice-président finances, Transcontinental TC ; Yvon Rousseau, vice-président exécutif et chef des finances, Uniboard Canada. Les tables rondes ont grandement bénéficié des commentaires de Cyril Sardais, professeur agrégé au Département de management de HEC Montréal et titulaire de la Chaire de leadership Pierre-Péladeau.

5. On peut consulter l’intégralité des résultats de l’enquête sur le site de la Chaire internationale CPA de recherche en contrôle de gestion de HEC Montréal.

6. Mintzberg, H., Managers, Not MBAs : A Hard Look at the Soft Practice of Managing and Management Development, San Francisco, Berrett-Koehler Publishers, 2004, 464 pages.

7. Lisez la chronique de la Chaire internationale CPA de recherche en contrôle de gestion tous les mois sur le site Web de la revue Gestion.