Charles Mony a réussi. Désormais, il veut mettre son sens des affaires au service du microtourisme solidaire. Portrait d’un entrepreneur qui veut changer le monde, un village à la fois. 

C’est sur le quai du yacht-club de Québec que je dois retrouver Charles Mony, avant son départ pour la Transat Québec-Saint-Malo sur le trimaran fuselé du navigateur français Gilles Lamiré. La voile est devenue une passion pour ce Québécois d’origine française, surtout depuis le demi-tour du monde que lui et sa conjointe, Isabelle, se sont offert avec leurs enfants. Et la compétition n’est pas pour déplaire à ce jeune quinquagénaire sympathique qui se définit comme un « entrepreneur-explorateur ».


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Un entrepreneur presque par hasard, qui dévie, un beau matin, de son destin tout tracé de « cadre supérieur » chez Renault, ou une autre grosse boite du genre, en ce début des années 1990. Diplômé des grandes écoles, un doctorat en 3D et univers numérique pour le design et la fabrication mécanique en poche, Charles, Isabelle et leurs trois jeunes enfants prennent la poudre d’escampette pour tenter la grande aventure au Québec. En pleine crise économique, Charles se lance dans l’imprimante 3D et, après quelques années, l’entreprise qu’il crée atteint les 10 millions de dollars de chiffre d’affaires. Plus tard, en 2002, il fonde Creaform avec Martin Lamontagne et Gilles Bernigaud. La numérisation 3D est à son apogée sur les marchés mondiaux, surtout sur le plus porteur de tous : la Chine. Quand les gens d’affaires hésitent à investir en pleine récession, Charles et ses associés, eux, parient sur la relance et se préparent à riposter. Résultat : 100 millions de dollars de chiffre d’affaires, 450 employés et des filiales en Chine, au Japon, en France, en Allemagne et en Inde. « Les gens ne croyaient pas au tout premier scanneur laser qu’on a sorti, se souvient Charles, c’est devenu l’un des plus gros vendeurs sur le marché international. » La NASA se procure le modèle Handyscan 3D en 2007!

Sa réussite, Charles Mony l’attribue à sa détermination, mais surtout à sa passion et à son sens de l’innovation. « Pas seulement à cause des produits qu’on fabriquait, mais surtout pour la manière innovante de mener les choses à l’interne », dit-il. Pendant son tour du monde familial à la voile, la boite double son chiffre d’affaires : le dirigeant a développé le sentiment d’appartenance au sein de l’entreprise en permettant aux employés de devenir actionnaires après deux ans à l’emploi de Creaform. Lui et ses associés prônent un mode de gestion participatif et inclusif, à l’image de la néoentreprise. « Partir en affaires, c’est comme naviguer à la voile, résume Charles. Devant toi, il y a des défis, un cap à tenir, des moyens à mettre en place et un équipage. » Simple comme bonjour. « Aujourd’hui, je veux contribuer à l’équité sociale en inventant des outils tout aussi innovants », affirme l’homme d’affaires devenu philanthrope depuis qu’il a cédé ses parts de l’entreprise en 2013.

Le couple Mony vient de lancer cet automne Village Monde, un réseau communautaire dont l’objectif consiste à développer le microtourisme dans les régions reculées du monde. Leurs voyages au long cours leur ont donné l’envie d’aider les communautés réceptives à leur façon. Ainsi nait ce « Airbnb rural » à l’attention des voyageurs en quête d’authenticité et soucieux de contribuer à un certain rééquilibrage socioéconomique mondial. Grâce à une plateforme web interactive, les villages d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine deviennent autant de destinations alternatives pour un tourisme durable et responsable, chez l’agriculteur, le pêcheur ou le petit commerçant local.


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Un label de qualité garantit aux voyageurs la qualité des hébergements ruraux, mais aussi les saines pratiques environnementales. Les Mony y croient dur comme fer. Tellement qu’ils ont investi leurs biens personnels dans l’aventure et ne perçoivent aucun salaire (contrairement aux six employés de la fondation). Mettre en lien les hôtes avec les voyageurs, c’est bien, mais pas suffisant pour Charles. Son but, c’est aussi d’aider les villageois à bâtir des infrastructures écotouristiques grâce à des donateurs ou à des bâilleurs de fonds prêts à investir dans ces projets. « Nous ne sommes ni une ONG ni une association d’assistanat; le but est que les villageois acquièrent leur autonomie dans la gestion des hébergements et que les retombées profitent à toute la communauté, avec des revenus et des emplois structurants. » C’est le cas sur l’île de Florès, en Indonésie; l’équipe de Village Monde a permis la construction de trois lodges grâce à l’appui financier du club Rotary de Sainte-Foy (40 000 $) dans le cadre d’un projet local. Car c’est bien un mouvement de fond que Charles et son équipe veulent lancer, un « tourisme expérientiel qui va transformer le voyageur, mais aussi la communauté d’accueil, un échange gagnant-gagnant », insiste l’entrepreneur. Plus d’une soixantaine de destinations sont déjà offertes et de nombreux projets sont en cours en Bolivie, au Népal et en Mongolie notamment. Et la fondation vient tout juste de recevoir le prix éco-citoyens CarttooN 2016, des mains de Lyne Beauchamp, déléguée générale du Québec à Paris, un évènement que la presse parisienne n’a pas manqué de commenter. Le début d’une nouvelle aventure?