Article publié dans l'édition Automne 2019 de Gestion

Jean-Jacques Stréliski est l'ancien vice-président et directeur général associé de Publicis Montréal ainsi qu'un des cofondateurs de Cossette Montréal. Il est professeur associé au Département de marketing de HEC Montréal et responsable pédagogique du DESS en communication marketing et marque.

Jean-Jacques Stréliski est l'ancien vice-président et directeur général associé de Publicis Montréal ainsi qu'un des cofondateurs de Cossette Montréal. Il est professeur associé au Département de marketing de HEC Montréal et responsable pédagogique du DESS en communication marketing et marque.

« Tu sais, Jean-Jacques, les chapelets se vendent pas mal plus cher au Vatican ! » Cette réplique brillante, en apparence incongrue, m’a été faite jadis par un client « de région » alors que nous débattions des avantages qu’une marque aurait à indiquer son origine.

« Il est certain, ajouta-t-il, que pour un chapelet béni par le pape et acheté au cœur même de la cité pontificale, on est prêt à payer un peu plus cher ! » Un peu plus cher ? Pas mal plus cher !

Le Vatican, « État et région romaine », siège social de la chrétienté et marque universelle de la sainte Église catholique, a depuis longtemps compris que la valeur d’authenticité et le marketing peuvent aller de pair. Et j’affirme cela en tout respect pour cette institution... et pour son marketing, dirigé de main de maître.

Montres suisses, voitures allemandes, vins français...

Deux variables qualifient la naissance d’une marque : son métier et son origine. Autrement dit, son savoir-faire et l’endroit d’où il provient. Maison, rue, quartier, village, ville, région, pays. Tous ces lieux d’origine contribuent à bâtir des réputations pour les marques... comme pour eux-mêmes !

À travers le temps, du Ponte Vecchio, emplacement légendaire des échoppes des orfèvres florentins dès le XVIe siècle, à la Silicon Valley, berceau de la technologie numérique américaine, ce principe dual est resté le même. Mieux encore, le mot maison prend tout son sens dès lors qu’on fait commerce dans le lieu de fabrication. On parlait naguère des maisons de haute couture.

Les maisons Dior, Chanel, Yves Saint Laurent, etc., ont ainsi donné à Paris sa renommée de capitale mondiale de la mode. À n’en point douter, l’origine est une vertu où toute marque peut bâtir sa maison. Un repère fort et signifiant dans notre imaginaire.

C’est à partir de ce principe que certains pays ont établi leur réputation en misant sur diverses expertises, acquises au cours de leur histoire.

Ces réputations perdurent encore de nos jours. Ainsi, nous n’avons aucune difficulté à imaginer que les meilleures montres de la planète soient suisses, que les automobiles les plus fiables soient allemandes, que les vins français soient les plus fins, que les produits électroniques les plus innovants soient japonais, que la bière belge soit la plus goûteuse, etc.

Autrement dit, l’appellation d’origine contrôlée fait encore et toujours recette. Première marche de cette réputation, il faut – hors de tout doute – que le métier s’affirme. Logique, car le produit précède la marque. Mais il faut tenir sa promesse, sinon la réputation s’étiole.


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La gastronomie, championne de la régionalisation mondiale

En matière de gastronomie à la fois locale et planétaire, on pourrait rédiger ici une liste sans fin. Crevettes de Matane, fraises de l’île d’Orléans, saucisses de Toulouse, moutarde de Dijon, etc. : l’origine devient alors une référence, un avantage (parfois psychologique) concurrentiel extrêmement puissant, appuyé sur trois piliers – qualité, réputation et traçabilité – que les consommateurs recherchent encore et toujours, sachant que l’évocation du lieu confère par ailleurs un potentiel narratif non négligeable.

Pensez au débat « passionnant » à propos des véritables origines de la poutine : alors, Victoriaville ou Drummondville ? C’est un exemple plutôt éloquent, je pense.

Innovation et qualité de vie : le potentiel réel des régions

Une autre réalité, celle-ci très contemporaine, vient aujourd’hui redonner espoir à la vie économique des régions. Et pas seulement économique : la recherche fondamentale de la qualité de vie à l’heure des enjeux environnementaux est au cœur de cette dynamique nouvelle. Le virage vert est beaucoup plus simple à prendre à l’extérieur des (trop) grands centres.

La révolution numérique atténue en partie un facteur discriminant auquel la région a toujours dû faire face : l’éloignement et le sous-développement des infrastructures, des réseaux de transport et autres. La distance est de moins en moins une barrière au développement économique. Nombre de petites et même de grandes entreprises commencent à comprendre que le potentiel régional est plus grand qu’on ne le soupçonnait1.

Dans les régions – en particulier celles qui se situent en périphérie (de 200 à 300 km) des grands centres –, on prend conscience de ces nouveaux potentiels et on mise dès lors sur des stratégies de développement attractives. On sait aujourd’hui se montrer innovant à l’extérieur des grosses agglomérations. Les start-ups et les PME ont bien saisi la tendance au vol en s’installant dans des lieux où qualité de vie et productivité peuvent se conjuguer aisément.


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Pensez localement pour agir globalement !

La mondialisation connaîtra-t-elle un repli ? Cela ne se reflète pas formellement dans les chiffres récents.

Mais tout porte à croire en revanche que le modèle « monolithique » des multinationales ne fait plus – exclusivement – recette. Il est en effet appelé à évoluer considérablement pour répondre plus adéquatement aux exigences et aux usages des consommateurs d’aujourd’hui2.

La méfiance envers les multinationales, envers leurs stratégies et envers leurs pratiques, parfois peu scrupuleuses, force les dirigeants de ces organisations à une prise de conscience et à des actions beaucoup plus adaptées3. Le slogan « Pensez localement pour agir globalement », signe d’un net virage régional de l’économie de l’innovation4 ? On peut le penser.


Notes

1 Portincaso, M., et Wallenstein, J., « TED’s Open Approach to Brand, Identity, and Communities – Designing for Loss of Control » (article en ligne), Boston Consulting Group, mars 2016.

2 Accenture, « From Me to We: The Rise of the Purpose-Led Brand » (article en ligne), décembre 2018, 14 pages.

3 Boston Consulting Group, « Howard Schultz on Global Reach and Local Relevance at Starbucks – An Interview with the CEO » (entrevue en ligne), octobre 2012.

4 Tashakova., S., « Going Glocal: Home Grown Brands Have Distinct Advantages Over [their] Competitors in the Market » (article en ligne), Entrepreneur Middle East, octobre 2015.