Dans un monde en constante évolution, les gestionnaires cherchent sans cesse de nouveaux talents et compétences pour relever les défis auxquels ils se heurtent. Or, le «talent crucial», trop souvent négligé, est le développement de la capacité de réflexion des membres de leurs équipes.

En effet, réfléchir efficacement est incontournable pour traiter le volume croissant de données, les problèmes complexes et les choix difficiles à faire au quotidien. Si nous privilégions normalement la pensée rationnelle avec son analyse et sa logique, nous ignorons souvent l’influence que peuvent avoir sur elle nos émotions, nos expériences, nos croyances et nos valeurs. Pourtant, ces éléments ont tout autant le potentiel de nous induire en erreur que de nous inspirer une solution meilleure que celle résultant seulement de la logique.

Les gestionnaires ont tout avantage à encourager leurs employés à développer la qualité de leur réflexion par l’observation objective, l’équilibre et l’intégration de ces différentes influences sur leurs pensées.

Pour ce faire, il nous faut d’abord comprendre comment notre esprit fonctionne.

Comment les êtres humains réfléchissent

Réfléchir dépend de deux modes de pensée distincts mais complémentaires : la pensée rationnelle et la pensée intuitive.

La pensée rationnelle procède étape par étape : elle rassemble les informations pertinentes, les analyse et entraîne une prise de décision. Elle est délibérée parce qu’elle nécessite un effort conscient et soutenu de notre part. La pensée rationnelle s'exprime principalement à travers les mots.

La pensée intuitive, en revanche, découle de la capacité du cerveau à établir de façon automatique des associations entre le contexte actuel et des expériences passées. Une conclusion se manifeste alors spontanément, sans passer par des étapes intermédiaires. Le langage de l'intuition est l'émotion, bien qu'il soit souvent possible par la suite de trouver des mots pour l’expliquer.

La pensée intuitive intervient par exemple lorsque nous avons une première impression d'un inconnu («je l’aime!») ou lorsque, en tant qu'expert, la solution à un problème complexe nous saute aux yeux (excitation). Notre esprit fait alors des liens entre le présent et des situations passées.

Une personne qui se fie seulement à sa raison est susceptible de se limiter dans les solutions qu'elle considère. En se concentrant uniquement sur les données tangibles et l'analyse logique, elle risque d’ignorer des connaissances pertinentes mais oubliées, des associations d'idées inspirant l'innovation, ou encore l'incidence émotionnelle d'une décision. Ainsi, la solution qu'elle choisit pourrait être techniquement valable, sans être optimale.

De même, il est possible qu’une personne qui s’appuie uniquement sur son intuition répète des solutions du passé qui ne sont pas idéales dans le cas présent. Cette approche impulsée par l'intuition peut entraîner des erreurs de jugement et des décisions inadaptées à la réalité actuelle.

Aussi, un équilibre entre les deux modes de pensée permet de prendre des décisions plus nuancées et plus efficaces, en tenant compte à la fois des aspects logiques, des expériences passées, des éléments émotionnels et interpersonnels ainsi que des associations d'idées improbables qui mènent à l'innovation.

Trouver le juste équilibre entre nos deux modes de pensée

Pour équilibrer ces deux modes de pensée, il est essentiel de développer :

  • notre capacité d’attention, qui nous permet de nous concentrer sur les informations pertinentes et d'éviter les distractions (le déraillement de nos pensées, le stress, les messages électroniques, etc.);
  • notre observation objective, qui nous aide à analyser nos pensées de manière impartiale et à considérer différentes perspectives en remettant en question nos réactions intuitives (ou émotives);
  • notre pouvoir de veto, qui est la capacité de décider objectivement de faire autrement.

Les pratiques séculaires de la pleine conscience (mindfulness en anglais) jouent un rôle clé dans le développement de ces compétences en exerçant notre cerveau à devenir plus efficace.

Le principe fondamental est toujours le même, quelle que soit la pratique de pleine conscience que nous privilégions :

  1. Entraîner notre cerveau à rester attentif et concentré sur un objet que nous aurons choisi consciemment.
  2. Observer objectivement ce qui se passe en nous et autour de nous pendant cet entraînement.
  3. Pratiquer notre pouvoir de veto en refocalisant notre attention sur l’objet choisi lorsque nos pensées s’en écartent.

L'implication de cette pratique dans la vie courante est la suivante : tout comme la musculation rend nos muscles plus forts et plus efficaces lorsque nous nous livrons à nos activités quotidiennes, nous exercer régulièrement à une pratique de pleine conscience rend notre cerveau plus attentif lorsque nous devons résoudre un problème ou prendre une décision.

En effet, si nous prenons l'exemple de la méditation pleine conscience, il est commun d'exercer notre cerveau à rester attentifs à notre respiration (étape 1). Nous constatons éventuellement que notre cerveau est occupé à penser à autre chose (étape 2). Nous décidons alors de nous concentrer à nouveau sur notre respiration (étape 3). Plus nous pratiquons souvent, plus nous maîtrisons notre capacité d’attention.

Ainsi entraînés, nous aurons plus de facilité à rester attentifs à une discussion lors d'une réunion importante (étape 1). Nous constaterons beaucoup plus rapidement que nos pensées sont soudainement ailleurs (étape 2) et nous pourrons revenir à la discussion pour ne rien manquer (étape 3).

Ou encore, nous constaterons qu'une émotion – disons le stress – nous envahit et détourne notre attention vers des pensées négatives (étape 2). Nous prendrons alors la décision d’ignorer celles-ci et de nous reconcentrer sur la discussion (étape 3).

De cette façon, nous serons plus percutants dans nos interventions, car nous aurons été attentifs à ce qui se passe en nous et autour de nous, et nous aurons décidé consciemment de notre façon d'agir et de réagir plutôt que d'être aveugles à ces indices et de nous laisser emporter par nos émotions et l’impulsion du moment.

En cultivant la pleine conscience, nous apprenons à observer et à comprendre nos processus mentaux, ce qui nous permet d'équilibrer la raison et l'intuition et d'améliorer notre capacité de réflexion. À notre époque, on insiste sur l’importance de faire de l’exercice physique. Or, l’organe le plus important de notre corps est notre cerveau. Ne devrions-nous pas l’entraîner quotidiennement?

Contribuer au développement de la capacité à réfléchir de nos employés

En partant de ces principes, voici cinq pratiques concrètes que les gestionnaires peuvent mettre en place pour développer la capacité de réfléchir de leurs équipes :

  1. Encourager les pratiques séculaires de la pleine conscience. Offrez des formations et des ressources pour améliorer la capacité d’attention, l’observation objective et la prise de décision, les favoriser et éduquer vos équipes à leur sujet.
  2. Instaurer des séances de réflexion en équipe. Organisez régulièrement des réunions où les membres des équipes sont encouragés à faire part aux autres de leurs idées, leurs préoccupations et leurs perspectives sur des problèmes complexes et à rester ouverts à la diversité des opinions.
  3. Encourager le questionnement et l'ouverture. Posez des questions ouvertes afin d’inciter les membres de vos équipes à explorer différentes perspectives et à remettre en question les émotions, les préjugés et les préférences personnelles pour parvenir à une compréhension plus approfondie et plus nuancée des situations.
  4. Créer un climat favorable et sécuritaire. Favorisez un environnement où les idées nouvelles et créatives sont encouragées et où les erreurs sont considérées comme des occasions d'apprentissage. Cela permettra aux membres de vos équipes d'être plus enclins à explorer leurs intuitions et à prendre des risques calculés.
  5. Apprendre autant des succès que des échecs. Encouragez vos équipes à analyser les réussites et les échecs, et à apprendre a posteriori d’eux. Cette période de réflexion collective contribuera au développement de nouvelles connaissances de grande qualité.

En mettant en œuvre ces stratégies, les gestionnaires peuvent aider leurs employés à développer leurs compétences en matière de réflexion. Cela contribuera à créer une organisation plus agile, innovante et performante dans un monde en constante évolution.