Article publié dans l'édition printemps 2018 de Gestion

Dans un monde des affaires internationalisé, le leadership prend autant de formes qu'il y a de cultures. De Pologne, de l'Inde, d'Italie, d'Indonésie, d'Australie et du Bhoutan, des chercheurs et des dirigeants nous ouvrent sur des points de vue variés et éclairants.

GLOBE : un projet international à grande échelle

Le programme de recherché Global Leadership and Organizational Behaviour Effectiveness (GLOBE) a été créé en 1991 par Robert J. House, professeur à l’école de commerce Wharton de l’université de Pennsylvanie. L’objectif? Étudier les relations entre les cultures nationales, les pratiques de management et le leadership. Dans l’ensemble, GLOBE a mobilisé plus de 200 chercheurs du monde entier. Les deux premières phases du projet, menées à bien respectivement en 2004 et en 2007, ont permis d’analyser les valeurs culturelles, le leadership et les pratiques managériales dans 62 pays. La troisième phase, conclue en 2014, a quant à elle porté sur le leadership culturel. Les recherches ont été menées dans 24 pays avec la participation de plus de 1000 PDG et de 6000 membres d’équipes de direction. GLOBE a par ailleurs annoncé qu’une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada lui permettra de mettre au point la prochaine phase de cette vaste recherche2.

Vers la fin du style autocratique ?

Des chercheurs polonais ont récemment utilisé des données recueillies dans le cadre de la troisième phase du projet GLOBE afin de comparer les pratiques des cadres intermédiaires polonais avec celles de dirigeants de six autres pays : États-Unis, Russie, Autriche, Allemagne, Chine et Taïwan.

Six grands critères ont été pris en considération : la capacité d’inspirer les gens, la vision, l’intégrité, la performance, la valorisation du travail d’équipe et l’implication du personnel dans la prise de décision. Au vu de ces critères, les gestionnaires polonais et russes se classent toujours aux derniers rangs parmi tous les gestionnaires des pays étudiés.

Selon ces chercheurs, la faible implication du personnel dans la prise de décision et l’acceptation d’une répartition très inégale du pouvoir sont liées au leadership de type autocratique. Le respect de la hiérarchie étant un phénomène profondément ancré dans la culture en Pologne, on a pu y observer une grande tolérance au style de leadership autocratique. Ce mode de gestion, auquel les dirigeants polonais et russes ont très souvent recours, est diamétralement opposé au leadership généralement charismatique des dirigeants occidentaux, qui, lui, est inspirant, visionnaire et axé sur l’intégrité et sur la performance.

Les auteurs soulignent toutefois que le contexte économique et politique évolue en Pologne et que les employés disposent de plus de pouvoir au sein de leurs organisations. Ils concluent à la nécessité de changements en profondeur dans les mentalités et dans la formation des gestionnaires polonais, car les attentes de cette société tendent maintenant vers un leadership plus participatif 1.


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Les huit vertus du leadership javanais

Deux professeurs de l’université Swinburne, en Australie, ont exploré le concept d’excellence du leadership dans les organisations javanaises. En Indonésie, les religions hindoue, bouddhiste et musulmane ainsi que les périodes de colonisation successives ont marqué les valeurs spirituelles du peuple. La religion hindoue a ainsi donné naissance à un code d’éthique du leadership, appelé Asta Brata, qui associe huit vertus dont un dirigeant doit être doté aux éléments de la nature : la lune (savoir guider aux moments décisifs), le soleil (faire preuve d’autorité, savoir rendre justice), l’étoile (connaître sa place et les réalités externes), la terre (faire preuve de patience), le feu (démontrer son esprit entrepreneurial), l’eau (être fiable), le vent (avoir du discernement) et l’océan (être créatif, favoriser le progrès).

Cette étude a permis d’en apprendre davantage sur un leadership qui, bien que paternaliste, n’est pas autoritaire. La structure organisationnelle javanaise est hiérarchique, mais les employés et leurs dirigeants ont une relation de type familial, établie sur la confiance et sur le respect mutuel. Le dirigeant a pour rôle principal d’assurer la viabilité à long terme de son organisation. Les organisations étrangères qui souhaitent investir à Java devront donc tenir compte de ces particularités3.

Un système de contrôle de gestion de type hybride

Les entreprises ayant des filiales à l’étranger devraient prendre en considération la culture nationale de chaque pays en configurant leur système de contrôle de gestion. C’est la conclusion d’un article publié dans l’IUP Journal of Management Research (Hyderabad, Inde), qui présente deux études de cas d’entreprises italiennes ayant chacune une filiale au Maroc.

Les systèmes de contrôle de ces deux pays comportent des différences qui s’expliquent par les caractéristiques culturelles nationales. En Italie, on pratique un contrôle de gestion individuel, décentralisé, fondé sur des indicateurs de performance et sur la concurrence. Au Maroc, ce contrôle est plutôt de type familial, établi sur la distance hiérarchique et sur le respect de l’autorité.


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Dans le premier cas, la filiale marocaine – devenue actionnaire majoritaire de l’entreprise mère italienne – impose à cette dernière les décisions de son PDG. Or, cela contrevient au modèle de gestion participative en vigueur au sein de l’entreprise italienne : des conflits éclatent. Dans le second cas, l’entreprise mère italienne a transféré à sa filiale du Maroc les principes de sa structure organisationnelle. Cependant, le dirigeant marocain cherche à avoir le dernier mot dans chacune des décisions. Ces deux exemples illustrent bien à quel point on doit tenir compte des caractéristiques de la culture et des traditions de chaque pays : la mise en place d’un système de gestion unique et monolithique est sans conteste une erreur.

Pour éviter les conflits, la solution est un système de type hybride où sont combinées les particularités du mode de gestion de chaque pays4.

La naissance du BNB

En 1972, Jigme Singye Wangchuck, le roi du Bhoutan à l’époque, s’inspire de la philosophie bouddhiste pour répondre aux économistes occidentaux qui soulignent la pauvreté de son pays. Le monarque soutien alors que le bonheur national est plus important que le produit intérieur brut (PIB). Au début, le BNB comportait quatre éléments : la bonne gouvernance, le développement socioéconomique durable, la préservation et la promotion de la culture ainsi que la protection de l’environnement. Ces éléments se sont par la suite ramifiés en neuf sous-domaines dont on tient maintenant compte pour évaluer le bonheur d’un peuple.

Le bonheur national brut pour innover

Sander Tideman, assistant de recherche à l’école de gestion de Rotterdam, s’intéresse depuis plusieurs années au concept du bonheur national brut (BNB ou, en anglais, gross national happiness). Créé au Bhoutan, ce concept est devenu très populaire à l’échelle internationale. M. Tideman a récemment exploré la pertinence d’un « leadership BNB » dans un monde aux prises avec une crise de développement durable.

Dans son article, M. Tideman analyse le type de leadership qui repose sur un certain nombre de principes liés au bonheur national brut. Ainsi, le « leadership BNB » est axé sur les principes d’interconnexion, sur les besoins des parties prenantes, sur la gouvernance et sur le bien-être de la société, et il « peut être considéré comme une innovation dans le leadership du développement durable ». Dans un contexte d’interdépendance croissante entre les entreprises, les sociétés et les écosystèmes, le « leadership BNB » aide à concevoir et à mettre en œuvre des stratégies efficaces en matière de développement durable5.


Notes

Maczynski, J., et Sulkowski, L., « A Seven Nations Study of Leadership Attributes », polish psychological Bulletin, vol. 48, n° 2, juin 2017, p. 307-314.

Voir le projet GLOBE (globeproject.com).

Selvarajah, C., et Meyer, D., « Human Capacity Development in Indonesia: Leadership and Managerial Ideology in Javanese Organizations », Asia Pacific Business review, vol. 23, n° 2, 2017, p. 264-289.

Tallaki, M., et Bracci, E., « The Importance of National Culture in the Design of Management Control Systems: Evidence from Morocco and Italy », IUP Journal of Management research, vol. 14, n° 1, janvier 2015.

Tideman, S. G., « Gross National Happiness: Lessons for Sustainability Leadership », south asian Journal of Global Business research, vol. 5, n° 2, 2016, p. 190-213; World happiness report 2017 (worldhappiness.report).