Article publié dans l'édition printemps 2019 de Gestion

Depuis 20 ans, la papetière Cascades a investi massivement pour améliorer sa performance énergétique. Tous ses efforts lui ont permis de réduire de 50% sa facture d'énergie et de bonifier son bilan environnemental. La clé de sa réussite: miser sur l'expertise de son personnel pour traquer et éliminer la moindre perte. 

Nous sommes à la fin des années 1990. Les dirigeants de Cascades se rendent compte que la facture énergétique de l’entreprise s’élève à plus de 350 millions de dollars par année. C’est le troisième poste de dépense en importance après l’approvisionnement en fibre et la rémunération du personnel. L’efficacité énergétique devient alors la priorité absolue.

Faire la chasse au gaspillage est une préoccupation qui ne date pas d’hier pour la papetière. « Cascades a adopté des pratiques environnementales avant même que le concept de développement durable n’existe. Ça fait partie de notre ADN », explique Hugo D’Amours, vice-président aux communications et aux affaires publiques de l’entreprise.


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En effet, Cascades a été un précurseur dans ce domaine lorsque son fondateur, Antonio Lemaire, a mis au point un procédé pour fabriquer du papier à partir de matières recyclées. Une première usine a été construite en 1964 à Kingsey Falls, dans le Centre-du-Québec, elle-même suivie de nombreuses installations au pays et à l’étranger. Aujourd’hui, Cascades exploite plus de 90 usines en Amérique du Nord et en Europe.

« Au-delà de son souci de la récupération, Cascades a toujours cherché à adopter les procédés de fabrication les plus efficaces possibles afin de réduire son empreinte écologique », affirme M. D’Amours. Pour améliorer son rendement à cet égard, l’entreprise a créé en 1997 le Groupe d’intervention en énergie (GIE), qui a pour mission de générer des économies d’énergie et d’accroître l’efficacité énergétique de chacune des usines. Au fil des ans, le GIE a mis en œuvre plus de 250 projets d’amélioration principalement destinés à réduire la consommation énergétique à la source.

Des procédés et de l’équipement moins énergivores

Les ingénieurs de Cascades ont par exemple élaboré un procédé qui permet d’utiliser l’eau en circuit fermé : « Cette eau est chauffée et convertie en vapeur pour sécher le papier. Elle est récupérée et réutilisée plusieurs fois avant d’être retournée à la rivière ou à l’aqueduc après avoir été nettoyée », explique Hugo D’Amours. Cette méthode a entraîné des économies substantielles et récurrentes : « Pour produire une tonne de papier, nous utilisons aujourd’hui 2,7 fois moins d’énergie et 6,7 fois moins d’eau que la moyenne de l’industrie canadienne », précise-t-il. Le GIE a également mis en œuvre divers programmes de remplacement d’appareils qui ont recours à des formes d’énergie plus propres. Par exemple, Cascades utilise des chariots élévateurs électriques plutôt que des appareils fonctionnant au propane. On a consacré des efforts considérables à l’amélioration des systèmes de récupération de la chaleur, notamment les hottes des machines à papier et les compresseurs. L’énergie récupérée est maintenant redirigée pour chauffer les bâtiments.

Par ailleurs, puisque 25 % des activités de Cascades sont menées au Québec et que l’hydroélectricité est carboneutre, l’entreprise a pu réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de façon notable. Impossible, toutefois, d’améliorer sa performance sans avoir recours à de bons indicateurs. En 2007, Cascades s’est dotée d’un logiciel afin de monitorer la consommation énergétique de tout son équipement. Ce système centralisé lui a permis de détecter les anomalies et d’apporter les correctifs nécessaires plus rapidement. Constamment amélioré, cet outil est désormais intégré aux systèmes de gestion de la production.

« Nous sommes maintenant capables de mesurer en temps réel la consommation énergétique de chacune des unités de l’entreprise », explique Fabien Demougeot, directeur des services techniques chez Cascades CS+, la division des services d’ingénierie de la papetière.

Toujours plus, toujours mieux

Même si les projets d’amélioration portent leurs fruits, Cascades s’est donné les moyens d’en faire beaucoup plus. En 2004, elle a étendu sa politique énergétique à l’ensemble de l’entreprise. Elle a également doté le GIE d’un fonds d’investissement en énergie qui a permis de multiplier les actions concrètes. « Bon an, mal an, nous injectons de quatre à cinq millions de dollars dans la réalisation de projets qui, pour la plupart, s’autofinancent grâce aux économies d’énergie obtenues », précise Hugo D’Amours. Une partie de cette somme provient néanmoins de subventions.


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Un de ces projets, exécuté en collaboration avec Rackam, une jeune entreprise de Sherbrooke spécialisée dans la fabrication de capteurs solaires thermiques, a mené à la construction d’une centrale solaire à l’usine de Kingsey Falls en 2014. « Grâce à l’énergie produite par les panneaux solaires, nous avons réduit considérablement notre consommation de gaz naturel pour produire la vapeur qui sert au séchage du papier », explique M. D’Amours. À cela s’ajoute une réduction importante des émissions de GES, soit plus de 265 tonnes d’équivalent CO2 par année.

Un deuxième projet d’utilisation de cette énergie renouvelable a été lancé en 2015 à l’usine Norampac à Vaughan, en Ontario, où 1 400 panneaux solaires ont été installés sur le toit du bâti- ment. L’énergie produite ne sert pas uniquement à combler les besoins de l’usine : les surplus sont redirigés dans le réseau de distribution d’Hydro-Ontario. « Nous sommes toujours ouverts à l’idée d’adopter les technologies les plus propres possibles », soutient M. D’Amours.

Des gains économiques

Formé de quelques personnes à ses débuts, le GIE regroupe aujourd’hui une vingtaine de spécialistes, pour la plu- part des ingénieurs et des techniciens en efficacité énergétique. Cascades est encore la seule papetière en Amérique du Nord à s’être dotée d’une telle équipe de spécialistes, qui offre d’ailleurs ses services à d’autres entreprises.

Les bonnes pratiques de Cascades ont été reconnues par de nombreux prix, notamment à l’occasion du concours Énergia de l’Association québécoise pour la maîtrise de l’énergie. En 2018, elle a raflé le prix du leadership dans la catégorie « Stratégie d’efficacité énergétique intégrée » lors du Sommet de l’énergie organisé par Ressources naturelles Canada et par l’Excellence In Manufacturing Consortium, un regroupement de fabricants qui favorise le partage d’expertise au moyen d’activités diverses et de séances de formation.

Quant à la transformation de la fibre recyclée, elle requiert moins d’énergie et coûte donc moins cher à l’entreprise. À la fin de 2015, la consommation moyenne de ses usines se situait à 9,67 gigajoules par tonne métrique (GJ/tm) de produits commercialisables, alors que la moyenne de l’industrie canadienne s’établissait à 25,76 GJ/tm. « Les économies réalisées représentent l’équivalent de la consommation annuelle de plus de 300000 ménages nord-américains », précise Hugo D’Amours. Même si elle bénéficie d’une bonne longueur d’avance sur ses concurrentes, il n’est pas question pour Cascades de s’arrêter en si bon chemin. Dans le cadre de son plan de développement durable 2015-2020, la papetière a fixé sa cible de réduction de la consommation d’énergie à 7 % pour la ramener à 9 GJ/tm. Quant à sa consommation d’eau, on a pour but de la réduire d’une autre tranche de 10 %.

« Les gains les plus faciles ont été réalisés, explique Hugo D’Amours. Mais parce qu’il y a toujours moyen de s’améliorer, nous continuons de nous fixer des objectifs ambitieux. »

Tous ensemble 

Fabien Demougeot, directeur des services techniques chez Cascades.

Fabien Demougeot, directeur des services techniques chez Cascades.

Pour relever le défi de la gestion de l’énergie, Cascades a misé sur la mobilisation de ses troupes. Elle a eu recours à divers moyens pour faire en sorte que tous les membres du personnel, à chacun des échelons de l’entreprise, travaillent dans le même sens. « C’est là que nous avons vraiment réussi, affirme Fabien Demougeot, directeur des services techniques. Les travailleurs se sont approprié la démarche d’amélioration. S’ils constatent un gaspillage d’énergie, c’est comme s’ils perdaient leur propre argent. »

Ainsi, depuis 2014, Cascades organise des « chasses au trésor » dans ses usines. « Des travailleurs sont libérés de leur poste pendant une semaine pour mener des kaizen1 énergie, explique M. Demougeot. Ils réfléchissent à des solutions pour diminuer la dépense énergétique d’un processus de fabrication bien précis. Les participants ont à cœur d’améliorer les façons de faire. »

Cascades sait aussi reconnaître les efforts. Des articles publiés dans le journal interne Le Cascadeur relatent les bons coups réalisés dans certaines usines, une manière de partager les bonnes pratiques pour inciter d’autres unités à procéder à des améliorations. De plus, chaque année, le GIE remet un prix qui récompense la meilleure performance énergétique dans chacune des divisions de Cascades, soit le Groupe Carton-caisse, le Groupe Papiers tissu et le Groupe Produits spécialisés.

L’entreprise veille également à fournir les bons outils de travail à ses équipes. « Nous avons élaboré des guides destinés aux opérateurs pour nous assurer d’une utilisation optimale des machines, explique Fabien Demougeot. Nous leur avons communiqué des mesures très concrètes. Dire qu’il faut viser une consommation de tant de gigajoules par tonne métrique de papier par machine, ça ne dit pas grand-chose à grand monde. Savoir qu’il faut maintenir la température de l’eau d’un procédé entre 40 et 42 °C pour y arriver, c’est plus facile à intégrer. »

La plus grande difficulté à surmonter ? « Lorsqu’on cherche à améliorer certaines choses, ça impose parfois des arrêts de production, affirme M. Demougeot. Chez les directeurs d’usine, ça peut susciter des craintes. Il faut faire en sorte de réduire les risques pour que l’usine atteigne ses objectifs en matière de volume de production et de qualité du produit. On y arrive en donnant beaucoup d’information aux équipes concernées sur les mesures à adopter. »

Note

1- Un kaizen énergie est un chantier mené en équipe qui a pour but de repérer et d’éliminer diverses formes de gaspillage en améliorant les processus.