Cet été, l’histoire de Lisa LaFlamme, cette présentatrice télé canadienne qui aurait perdu son emploi pour une question de cheveux gris, a fait couler beaucoup d’encre. Comment expliquer que les femmes doivent encore camoufler les signes de l’âge en 2022?  

«Les femmes ont une fenêtre de crédibilité qui dure de 38 à 42 ans», lance à la boutade Pénélope Codello, professeure agrégée au Département de management de HEC Montréal. Selon elle, l’histoire de Lisa LaFlamme, qui s’est vue montrer la porte après 35 ans de services, montre que ce type de discrimination est «autorisé». «On parle ici du domaine des médias, où on peut penser qu'il y a une certaine réflexion sur la diversité qu'on propose. Malgré le fait qu'ils soient sous les lumières de toute la société, ils le font quand même. C’est ultravisible, puisqu’il s’agit de leur présentatrice-phare.»

Loin d’être anecdotique, cette situation rappelle que les préjugés autour du vieillissement sont loin d’avoir disparu. «L’âgisme est non seulement la forme de discrimination la plus tolérée et la plus répandue au Canada, mais la plus banalisée aussi», affirme Dany Baillargeon, professeur à la Faculté des lettres et sciences humaines et chercheur au Centre de recherche sur le vieillissement de l'Université de Sherbrooke.

«C’est banalisé, puisqu’on part de l’a priori qu’on vieillit tous, explique-t-il. Mais, si on se réfère à la définition de la discrimination, il s’agit de stéréotypes qui conduisent à des comportements venant empêcher, entraver la liberté d’action des gens. Et c’est ce qui est arrivé à Mme Laflamme.» Des idées préconçues qui font écho au fait que, dans les sociétés occidentales, les individus sont jugés sur leur capacité à produire. Et le vieillissement est associé à la perte – de force physique, de capacités mentales, etc.

Un phénomène qui rattrape les femmes beaucoup plus rapidement, montrent aussi certaines recherches. «C’est clair que les rides et les poignées d’amour ne se conjuguent pas de la même façon au féminin et au masculin, illustre Michèle Charpentier. Toutes les femmes de 50 ans et plus vivent cela.» La professeure à l’École de travail social de l’UQAM et titulaire à la Chaire de recherche sur le vieillissement et la diversité citoyenne remarque que cette préoccupation liée à l’apparence et à l’âge arrive plus tôt, alors que des femmes de plus en plus jeunes passent sous le bistouri pour masquer leurs signes de l’âge. «On voit que la pression est très forte», note-t-elle.

Une représentation négative

Ce type de stéréotypes se nourrit de l’image que l’on véhicule par rapport au vieillissement. Une étude menée au Royaume-Uni et aux États-Unis en 2021 a épluché une base de données multimédia comptant 1,1 milliard de mots et montre que les représentations négatives des aînés – comme des gens malades ou dépassés – sont six fois plus nombreuses que les positives, relate Dany Baillargeon. «À force de véhiculer ces représentations, on construit socialement l’idée que vieillir, c’est négatif. Conséquemment, personne ne veut vieillir.»

Même chose chez les femmes qui, quand elles ne sont pas dépeintes comme faibles ou dépendantes, disparaissent des radars à partir de 50 ans selon le Global Media Monitoring Project, cite Michèle Charpentier. Ce qui a pour effet d’invisibiliser leur réalité, alors que les femmes de plus de 80 ans sont deux fois plus nombreuses que les hommes. De plus, les aînées sont en général loin de coller à l’image de la «petite madame fragile» et dépendante, poursuit la chercheuse. «C’est difficile de comprendre que ces stéréotypes aient la vie si dure et qu’il y ait une si grande distorsion avec ce que sont les femmes aînées aujourd’hui, dans toute leur diversité et leur pluralité», soulève-t-elle.

Facteur d’exclusion

Ce double standard nuit particulièrement aux femmes dans des secteurs d’emploi qui reposent sur l’image, les médias par exemple. «Certaines recherches montrent aussi que, dans le domaine de la finance, la durée de vie des femmes dans la salle des marchés s’arrête à la quarantaine, explique Pénélope Codello. Oui, ce sont des métiers assez jeunes, parce que c’est intense, mais on y retrouve des hommes de tous les âges.» Idem dans des secteurs technologiques comme celui des jeux vidéo, déjà majoritairement masculins, où les travailleurs sont rapidement perçus comme dépassés, analyse Dany Baillargeon.

Heureusement, tout n’est pas complètement noir. «On voit que certaines femmes, comme Isabelle Hudon ou Sophie Brochu, ont réussi à se forger une crédibilité et, quel que soit leur âge, elles réussissent à la conserver avec le temps», observe Pénélope Codello. Des exemples qui montrent qu’il est possible pour les femmes d’expérience de se retrouver dans ce type de poste. «Mais c’est l’exception qui confirme la règle», ajoute-t-elle.

N'empêche que ces biais ont des effets réels sur les femmes au fur et à mesure qu’elles gagnent en années. Certaines études, menées entre autres aux États-Unis, montrent qu’il est plus difficile pour les femmes de 50 ans et plus de se trouver un emploi, et ce, même quand les taux de chômage sont bas. «Cela se transpose aussi de différentes façons, comme les écarts dans les revenus qui se creusent entre les hommes et les femmes après 50 ans», expose Michèle Charpentier.  Toutefois, la pénurie de main-d’œuvre pourrait changer la donne, pense-t-elle.

Bref, un changement de regard s’impose sur le vieillissement et sur les critères de beauté. Ce qui passe entre autres par l’éducation, la prise de conscience de ses biais et une meilleure représentation des personnes plus âgées, pensent les experts. «Encore aujourd’hui, les femmes cachent leur âge dès 40 ans, ce qui est révélateur, souligne Michèle Charpentier. En général, on dissimule ce qui pourrait nous discriminer.» Elle estime donc qu’il faudrait lever le voile sur son âge et briser ce tabou. Car c’est en osant s’afficher qu’on peut faire éclater les stéréotypes, croit-elle.