La tenue de conseils d’administration virtuels présente des défis particuliers pour les membres : les obstacles qu’on peut associer d’emblée aux conversations en chair et en os s’en trouvent exacerbés. Dans un contexte de pandémie marqué par le télétravail, l’incertitude, l’isolement et l’anxiété collective, les interfaces virtuelles nous offrent de belles possibilités, mais recèlent aussi de grands pièges.

Dans le cadre d’un parcours de formation visant la certification d’administrateurs de sociétés, notre équipe enseignante a réalisé des simulations de conseil d’administration en ligne. Ces exercices ont mené à identifier les principaux défis posés par les interfaces virtuelles :

  • une diminution des moments de socialisation, qui soutiennent l’esprit d’équipe, la convivialité des échanges et l’intégration des nouveaux membres;
  • une difficulté à lire et à interpréter le non-verbal de ses vis-à-vis;
  • une difficulté à sentir les émotions de ses vis-à-vis et, de façon plus large, l’énergie du groupe;
  • l’impossibilité d’échanger des regards pour communiquer une compréhension ou une préoccupation partagée;
  • une difficulté à influencer le processus d’échange lors de partage d’écran;
  • une concentration ainsi qu’une capacité d’assimilation de l’information limitées par la technologie et les sollicitations parallèles (ex. : clavardage);
  • une lenteur dans l’échange des idées et les tours de parole;
  • une perte de rétroaction sonore (les micros étant fermés la plupart du temps) qui ne permet pas de prendre la pleine mesure des effets produits ou de connaître des moments d’humour partagés;
  • une conscience accrue des disparités socioéconomiques (via la caméra);
  • l’impossibilité d’évaluer les affinités et les rapports d’influence entre les administrateurs à partir de la place qu’ils occupent autour de la table ou à l’écran.

Si des problèmes de connexion Internet s’ajoutent à cela, les membres du conseil sont enclins à vivre une expérience d’isolement et à se sentir davantage à la merci des orientations – inévitablement plus concertées – du président, de la direction et des experts invités. 

Les réactions les plus fréquentes

Les défis soulevés par les interfaces virtuelles sont certes nombreux, mais les réactions des membres confrontés à ces nouvelles procédures le sont tout autant. Les simulations que nous avons effectuées ont démontré que les prises de parole individuelles étaient généralement plus longues lors de ces conseils d’administration virtuels, car elles visaient chez les membres à faire la démonstration de leur engagement ou de leur valeur ajoutée. Leur participation était d’ailleurs plus polarisée, marquée tantôt par une plus grande passivité, tantôt par un engagement plus incisif ou inquisiteur.

Les interventions lors de ces CA étaient davantage orientées sur le contenu que sur le processus de la réunion. Nous avons aussi remarqué que des échanges émanaient plus régulièrement des préoccupations individuelles au moment de la préparation des réunions que des préoccupations émergentes au fil de celles-ci. Finalement, nous avons constaté la tenue d’échanges parallèles par clavardage où des alliances pouvaient être nouées à l’insu du président du CA et du reste du conseil.

Mises ensemble, ces réactions suscitent des échanges plus fragmentés, où le rapport de confiance et la cohésion sont affaiblis et où le conseil ne bénéficie plus de l’intelligence collective des membres.

Les besoins psychologiques non comblés

Les réactions au contexte virtuel du conseil d’administration semblent pouvoir s’expliquer par le fait que certains besoins des membres, notamment ceux d’appartenance, de maîtrise et d’autonomie, ne soient pas pleinement comblés. Or, il s’avère que ces besoins sont essentiels à un engagement pleinement satisfaisant dans un groupe1.

Le besoin d’appartenance

Il est difficile de se sentir pleinement à sa place dans un groupe lorsqu’on est privé d’espace-temps pour socialiser et établir un rapport personnel, authentique et convivial. À défaut de se sentir apprécié, accueilli et en sécurité, les membres du conseil sont peu enclins à s’y engager pleinement, que ce soit en exposant leur fougue, en prenant des risques, en partageant leur vision ou en faisant part de leurs intuitions. De même, ils sont moins enclins à écouter leurs vis-à-vis avec empathie, bienveillance et curiosité. Dès lors, les membres du conseil risquent de limiter leur participation à l’exécution de tâches prédéterminées sur une base rationnelle et individuelle, abdiquant ainsi leur responsabilité collective de veiller sur le développement stratégique de la société de manière autodéterminée, concertée et collégiale.

Le besoin de maîtrise

Les interfaces virtuelles ne permettent pas encore aux membres de conseil de prendre la parole, d’interagir, d’assumer leur influence et de développer une vision partagée d’une manière qui leur soit naturelle – ce qui brime leur expérience de maîtrise. En outre, leurs capacités de réflexion et d’intervention s’avèrent souvent limitées par les conditions du télétravail propres à la pandémie, notamment des irruptions plus fréquentes de la vie personnelle dans la vie professionnelle, des sollicitations électroniques en continu, des chamboulements dans l’hygiène de vie (ex. : diminution des activités sportives et sociales) et le défi de composer avec l’anxiété et la morosité collective latente. Du coup, les membres sont moins à même d’explorer de nouvelles possibilités, de prendre appui sur les idées des autres et de faire montre d’intelligence collective.

Le besoin d’autonomie

L’expérience d’isolement inhérente à une participation virtuelle peut amener le conseil à se sentir à la remorque des orientations proposées par le président, les membres de la direction et les experts invités. En effet, si ces derniers se concertent minimalement en amont des réunions, ce n’est pas le cas des administrateurs, qui gagnent à se présenter avec le moins d’a priori et d’attachement possible quant à l’issue de leur rencontre, du moins s’ils veulent participer à l’émergence des décisions les plus justes, cohérentes et sages que possible. En outre, la surcharge cognitive et la distraction continue générées par le télétravail en temps de pandémie minent la capacité de concentration des membres du conseil, et donc leur capacité à rester au clair avec les objectifs et les enjeux prioritaires des rencontres. Enfin, la lenteur du partage et du traitement de l’information sur les interfaces virtuelles fait en sorte que le conseil dispose de moins de temps pour réfléchir à la qualité du processus, pour en tirer des apprentissages et pour prendre en charge l’évolution de ses façons d’opérer, de ses orientations et de ses intentions.

Alors que ces besoins sont comblés de façon inconsciente et informelle dans le cadre de rencontres physiques, leur satisfaction se doit d’être prise en charge de façon délibérée sur des interfaces virtuelles où l’attention est presque exclusivement accordée à la tâche. Il importe donc d’instaurer de meilleures pratiques qui favoriseront l’engagement des administrateurs, surtout lorsque ces derniers ne sont pas réunis physiquement dans un même lieu.


Note

1 Deci, E. L. et Ryan, R. M. (2000). The «what» and «why» of goal pursuits: Human needs and the self-determination of behavior., Psychological Inquiry, 11(4), 227-268.