Parfois, le silence est plus intéressant que la parole pour stimuler la créativité. C’est du moins ce que présuppose le brainwriting, une technique de remue-méninges où les idées se partagent à l’écrit. Un outil d’idéation à la fois simple et efficace, estiment les experts.

Chaque semaine, et parfois plus souvent, l’agence de création, de marketing et de communication LG2 organise des séances de brainwriting. «C’est une technique que nous utilisons tant à l’interne qu’à l’externe, avec nos clients et nos clientes, mais aussi avec des consommateurs ou consommatrices, par exemple. En fait, c’est vraiment une technique qu’on utilise dans différents contextes et qui est très accessible», décrit Sabrina Côté, stratège principale et lead, marque employeur et design d’affaires.

Popularisé dans les années 1960 par Bernd Rohrbach, un expert en marketing allemand, le brainwriting est relativement simple. «C'est une technique assez similaire à celle du brainstorming, où les gens collaborent pour générer des idées. Comme son nom l'indique, la différence, c’est que les participants vont partager leurs idées par écrit et, souvent, de façon anonyme», explique Marine Agogué, professeure agrégée au Département de management de HEC Montréal.

Cette méthode d’animation de réunion se décline sous différents formats et peut même servir de point de départ à une séance de brassage d’idées plus classique. «Pendant un brainstorming, il y a toujours une personne qui va prendre la parole en premier, ce qui risque de contaminer l’avis des autres, poursuit la professeure. Le brainwriting permet donc aux participants de prendre un moment pour réfléchir et de développer leurs propres idées, sans être influencés.»

En pratique

Sabrina Côté met régulièrement en place des séances de brainwriting pour améliorer l’expérience employé chez ses clients, via l’environnement de travail, les outils disponibles, la rémunération globale, etc. «Pour chaque thème, les participants sont invités à noter cinq idées sur papier. Ensuite, chacun passe le tout à son voisin ou sa voisine, qui doit pousser plus loin les suggestions. Autrement dit, on bâtit sur les idées des autres.» Ainsi, si une personne propose d’instaurer un programme de reconnaissance, son collègue pourrait ajouter qu’il aimerait que ce soit par les pairs.

On répète ensuite l’opération une troisième fois. Au bout de la chaîne, on partage à voix haute toutes les idées émises. Cet exercice est souvent suivi d’un autre atelier pour prioriser les différentes suggestions sur la table, précise la gestionnaire. «Chaque personne dispose alors d’un budget symbolique de 10$, qu’il peut répartir entre les différentes suggestions, de façon anonyme.»

Lead stratégie numérique chez LG2, Ariane Lafleur planifie quant à elle de telles séances virtuellement, à l’aide d’une plateforme collaborative qui s’appelle Miro. Un outil pratique, entre autres, pour dénicher en équipe des solutions à des problématiques. «Dernièrement, nous l’avons utilisé pour déterminer le parcours idéal d’achat sur un site Web, dans un monde rêvé, explique-t-elle. Cela permet à tout le monde de partager ses réflexions, et ce, peu importe sa spécialité.»

Ariane Lafleur utilise aussi cette technique pour inviter ses équipes à se mettre dans les souliers des utilisateurs, selon leur profil. La gestionnaire présente alors un exercice où chaque personne doit compléter la phrase suivante : «En tant que… je veux… afin de…» «Cela démocratise la réflexion puisque, peu importe que je sois designer ou développeur, cela m’amène à faire preuve d’empathie. Chaque personne va travailler de son côté sur les différents scénarios et nous allons ensuite partager le fruit de cette réflexion pour ensuite prioriser les idées qui ont émergé», souligne-t-elle. 

Aplatir la hiérarchie

Le brainwriting offre plusieurs avantages, dont celui «d’aplatir la hiérarchie» et d’oser certaines suggestions parfois «champ gauche», fait valoir Sabrina Côté. «On s’est rendu compte, notamment avec les outils de génération d’idées en ligne, que le côté anonyme élimine la gêne et la peur d’être jugé, note Marine Agogué. On a moins peur de partager ses réflexions, on formule différemment ses propositions et on rebondit autrement sur celles des autres.» Autrement dit, cela permet à tout un chacun de laisser aller sa créativité, sans censure.

Le brainwriting permet également de générer rapidement un maximum d’idées et de mieux structurer ses séances d’idéation, remarque la professeure. C’est aussi une méthode intéressante pour les personnes neuroatypiques, celles qui sont plus introverties ou ont besoin d’un petit moment de réflexion pour rebondir, renchérit Sabrina Côté. Cela donne la chance à tous de s’exprimer, alors qu’entre 60 et 75% du temps de parole est généralement accaparé par une poignée de participants, montre une étude publiée par les presses de l’Université Oxford.

L’utilisation d’outils en ligne permet aussi de conserver les traces de sa démarche, observe Ariane Lafleur. «En ayant documenté le tout, c’est possible de replonger dans nos discussions pour se demander si on a suivi notre plan, si on est bien arrimé avec ce qu'on avait décidé ensemble ou si le bateau a dévié.» De plus, les suggestions ne se perdent pas.

Des pistes pour se lancer

Selon Marine Agogué, solliciter des idées par écrit est plus facile pour ceux qui n’ont pas l’habitude d’animer des séances de remue-méninges. Or, pour éviter que les suggestions ne partent dans tous les sens, les directives doivent être très claires, soulève la professeure. Le sujet doit donc être le plus précis et concret possible. Chronomètre en main, l’animateur devrait aussi déterminer combien de temps est alloué pour mettre le fruit de sa réflexion sur papier.

Il faut aussi instaurer le bon état d'esprit, conseille Sabrina Côté. «Si on veut discuter d’une problématique, c’est important d’expliquer dès le départ que l’objectif de la rencontre, c’est de générer des solutions et non de critiquer, souligne-t-elle. Si la séance ne sert qu’à identifier des problèmes, on a raté notre cible.» De plus, des outils comme Miro proposent aussi du contenu en ligne permettant de se familiariser avec la méthode, ajoute Ariane Lafleur.

Pour les gestionnaires tentés par l’expérience, Marine Agogué suggère de commencer par organiser une courte séance de 5 minutes. «Ensuite, on peut débreffer collectivement, se demander comment ça s’est passé, comment on a trouvé l’exercice, ce que ça nous a apporté et voir si cela vaut la peine de continuer à explorer.» Il est aussi possible de faire appel à des consultants qui maîtrisent ces codes sur le bout de leurs doigts, note pour sa part Ariane Lafleur. «Ayant vécu l’expérience en tant que participante et animatrice, je crois qu’il y a une réelle valeur ajoutée à travailler avec quelqu’un qui est formé à ces techniques.»