Avec son essai Le boys club, publié à l’automne 2019, la professeure et auteure Martine Delvaux a lancé un pavé dans la marre. Selon ses recherches, ce phénomène ayant pris racine en Angleterre au 19e siècle est encore bien vivant aujourd’hui et comporte de multiples ramifications. Qu’en est-il dans les milieux de travail au Québec?

Si les boys clubs ont tenu lieu de refuge aux hommes au fil des siècles, ils sont avant tout le symbole d’un cercle de pouvoir. « Pour moi, un boys club est un groupe d’hommes, le plus souvent blancs, aux cheveux gris et en veston-cravate. Assis autour d’une table, ces hommes excluent ceux qui ne leur ressemblent pas et prennent des décisions en vase clos1 », dit Martine Delvaux. Son ouvrage tente de décortiquer ces représentations à travers la littérature, le cinéma, les séries et l’actualité.  

Loin du mythe

Les boys clubs n’ont rien d’un mythe. C’est un phénomène qui a été largement documenté dans la littérature scientifique, explique Sophie Brière, titulaire de la Chaire de leadership en enseignement — Femmes et organisations de l’Université Laval.

Les conseils d’administration constituent l’une de ses manifestations les plus évidentes, illustre la chercheuse, qui s’intéresse à ce phénomène depuis 25 ans. Elle précise « [qu’]au Canada, près de 40 % des conseils d’administration ne comptent aucune femme ». Au Québec, cette proportion était de 21 % pour les entreprises inscrites à la Bourse de Toronto, en 2017, et 67 % pour celles cotées à la Bourse de croissance, selon les données tirées d’une recherche cosignée par Sophie Brière.

Recrutement difficile?

Certains hommes qui gravitent autour des CA mentionnent qu’ils ont du mal à trouver « des candidates compétentes et qualifiées » pour remplir les fonctions d’administratrice, rapporte Sophie Brière. Le problème, toutefois, c’est qu’ils ont tendance à se tourner uniquement vers leur réseau essentiellement composé d’hommes pour pourvoir les postes. Voilà un bel exemple qui illustre comment le boys club se nourrit lui-même, et ce, surtout dans les secteurs majoritairement masculins. « Trouver des candidates demande plus d’efforts et c’est plus long, mais c’est possible », affirme la chercheuse.


LIRE AUSSI : « La méritocratie en gouvernance : les mentalités doivent changer »


Éviter le principe de la Schtroumpfette

Pour que les changements soient réels, il faut aussi éviter ce que Martine Delvaux appelle le « principe de la Schtroumpfette », c’est-à-dire intégrer une femme dans un groupe pour avoir bonne conscience. « La femme se retrouve seule, sans alliées, sans écoute, dans un réseau d’hommes qui souvent, se connaissent. C’est donc difficile de faire passer son point de vue », explique la professeure.

Augmenter la présence des femmes

Martine Delvaux prône une plus grande diversité dans les conseils d’administration et de direction. Sophie Brière abonde dans le même sens. Elle croit qu’il faut une masse critique de femmes dans les instances — soit plus de 30 % — pour avoir une influence réelle. « Mais il faut aussi être ouvert à prendre en compte leurs idées! », ajoute-t-elle.


LIRE AUSSI : « Les femmes dans les conseils d'administration, une initiative payante »


Revoir les façons de faire

Ceux qui peinent à recruter des candidates devraient se demander si leurs façons de faire n’ont pas plutôt pour effet d’exclure les femmes. Le fait, par exemple, de tenir des réunions entre 18 h et minuit peut en dissuader plus d’une, fait valoir Martine Delvaux.

De son côté, Sophie Brière croit que les boys clubs sont le résultat d’une série d’actions relevant de la culture organisationnelle, plutôt que de la mauvaise foi individuelle. Par exemple, les rencontres le soir, la fin de semaine, au bar ou au resto sont peu adaptées à la conciliation travail-famille. « Est-ce qu’il est encore nécessaire, en 2019, de passer le week-end dans un club de pêche pour travailler? », se questionne-t-elle.

Une carrière à deux vitesses

Cette culture organisationnelle a un impact réel sur la progression des femmes, ajoute la chercheuse. Par exemple, même si elles sont plus nombreuses que les hommes à exercer la profession d’avocate, moins de 30 % des femmes qui travaillent en pratique privée atteignent le statut d’associée. Le problème? Cette fonction se gagne au nombre d’heures facturées, explique Sophie Brière. Ce calcul défavorise celles qui doivent jongler avec leurs obligations familiales, qui réduisent leurs disponibilités.

Beaucoup de mandats s’obtiennent également en réseautant, souvent le soir, ce qui diminue le potentiel d’heures facturables. « C’est ce que j’appelle une carrière à deux vitesses », dit Sophie Brière. Cela se traduit également par un écart salarial, alors que les avocates empochent en moyenne 50 $ de moins de l’heure que leurs homologues masculins.


LIRE AUSSI : « Questions sur l'équité »


Comment améliorer la situation?

Sophie Brière croit qu’il faut s’attaquer au climat de travail, aux façons de recruter et d’évaluer la performance. Elle accompagne d’ailleurs des organisations dans ces changements. « Il n’y a pas de recette magique pour y arriver, dit-elle. C’est toute une démarche et les résultats peuvent prendre cinq, dix, voire vingt ans à apparaître. Cependant, au bout du compte, tout le monde en bénéficie. »

En attendant que des changements se fassent sentir, des ouvrages comme celui de Martine Delvaux ont l’avantage d’éveiller les consciences sur ces enjeux, qui sont toujours d’actualité.


Note

1 Lors de son passage à l'émission Tout le monde en parle, diffusée le 20 octobre 2019