Les entreprises sont de plus en plus conscientes qu’elles peuvent améliorer l’expérience client en ayant une meilleure compréhension des émotions de leur clientèle. Mais ce n’est pas sans risque d’un point de vue éthique.

Plaisir, envie, irritation, déception… Tout professionnel du domaine du marketing sait qu’en se montrant attentif aux réactions émotionnelles du client, il sera en mesure de mieux saisir ses attentes. Pourquoi? Parce que les émotions sont littéralement le reflet de nos besoins.

Reconnaissance des émotions faciales

Loin d’être nouvelle, cette quête s’est cependant raffinée au cours des dernières années avec l’avènement de technologies de plus en plus sophistiquées. Ainsi, des outils en matière de reconnaissance des émotions faciales ont permis d’accomplir des progrès considérables dans ce domaine.

Le Tech3Lab de HEC Montréal, à titre d’exemple, est un laboratoire spécialisé dans l’évaluation de l’expérience utilisateur en contexte de technologies d’affaires. Son codirecteur Sylvain Sénécal, également professeur titulaire au Département de marketing de HEC Montréal, explique que des entreprises œuvrant dans différents secteurs collaborent à des projets de recherche. «Elles nous confient la tâche de tester leurs applications afin de détecter et d’aider à éliminer les irritants éventuels pour les utilisateurs», indique-t-il. Pour y parvenir, les chercheurs ont donc recours à des technologies de reconnaissance faciale, mais aussi à des dispositifs de mesure de l’activité électrodermale (sudation) pendant que les participants effectuent diverses tâches sur l’interface de l’entreprise.

Les résultats permettent donc d’identifier très précisément là où le bât blesse dans l’expérience client, lors de l’utilisation d’une application mobile ou d’une plateforme transactionnelle par exemple.

L’intelligence artificielle arrive aussi à la rescousse. D’ailleurs, des études ont démontré que dans un environnement transactionnel, lorsque l’IA est propulsée par une interface plus empathique, les retombées sont bénéfiques pour l’utilisateur. «Dans ce cas, il perçoit un soutien émotionnel plus grand. Cela ne remplace pas le contact avec un être humain, mais il y a tout de même des effets positifs», remarque Yany Grégoire, professeur titulaire au Département de marketing de HEC Montréal.

Les mauvais côtés

Pour sa part, Bruno Lussier, professeur agrégé au Département de marketing de HEC Montréal et directeur de l’Institut de vente, observe que les entreprises ont depuis longtemps recours aux émotions pour vendre leurs produits et services.

«Avec les algorithmes sur Internet et les réseaux sociaux, elles peuvent agir de façon de plus en plus ciblée. Elles exploitent notamment le sentiment d'urgence, l'effet de rareté et la peur de manquer une opportunité ou FOMO (Fear of Missing Out). La crainte de manquer une promotion d’une durée limitée, de passer à côté d’un rabais par exemple», illustre-t-il.

Il déplore le fait qu’au bout du compte, il peut y avoir un impact sur la santé mentale des utilisateurs, confrontés aux images d’une vie idéalisée et soumis à la pression constante de consommer. «De plus, se comparer aux autres finit par nuire à l'estime de soi et au bien-être», constate-t-il.

Et l’éthique dans tout ça?

Si les recherches menées par le Tech3Lab sont régies par un comité d’éthique qui applique des règles strictes, il n’en reste pas moins que dans l’industrie, les technologies peuvent être employées sans que les usagers soient pleinement conscients des conséquences ni qu’ils sachent comment les informations recueillies sont utilisées, remarque Sylvain Sénécal.

Bruno Lussier abonde dans le même sens et ajoute : «Il y a nécessairement des enjeux éthiques lorsque les données sont collectées à des fins commerciales. Qu’en est-il de leur confidentialité ? Dans certains cas, cela débouche sur une véritable intrusion dans la vie privée des individus», note-t-il.

Certes, si les entreprises les utilisent pour améliorer l’expérience client, cela peut être bénéfique. Mais qu’en est-il si elles s’en servent plutôt pour nous inciter à consommer encore et encore, et s’assurer que leurs arguments de vente fassent mouche à tout coup? Car en jouant sur nos émotions, elles accroissent aussi leur influence sur nos réflexes d’achat. À cet égard et pour élargir la réflexion, le professeur Lussier recommande d’ailleurs la lecture de l’ouvrage Influence et manipulation. La psychologie de la persuasion, du psychologue Robert B. Cialdini. De sages leçons à retenir.