Nous sommes à l’orée des Fêtes. Déjà, dans les centres commerciaux, dans les boutiques et à la radio, la musique de Noël nous joue dans le cerveau. Nous entendons non seulement l’inévitable All I Want for Christmas Is You, de Mariah Carey, mais aussi, bien sûr, des classiques : Dean Martin, Elvis, les Jackson Five, John Lennon, Beau Dommage... Noël rime avec nostalgie, et sa musique enfonce le clou très profondément.

C’est une nostalgie récurrente et saisonnière, accueillie avec des sourires attendris et une petite shot de lait de poule. Mais force est d’admettre que la nostalgie est une valeur en hausse constante depuis des années, un outil de marketing puissant et, surtout, une fabrique à réconfort incontournable dans nos vies, nos histoires personnelles et nos récits collectifs.

Avez-vous vu le film Nos belles-sœurs, de René Richard Cyr, cet été? Cette relecture de l’œuvre de 1968 de Michel Tremblay, pimpante et vitaminée, jouait entre autres sur la fibre nostalgique, tout en passant un message d’empowerment, un peu comme l’avait fait Barbie l’été précédent.
Or Nos belles-sœurs n’était pas la seule proposition nostalgique au menu. Au même moment, on pouvait voir Moi et l’autre sur scène; La géante, une comédie musicale sur La Poune; le film 1995; Starmania; Lily St-Cyr; et un hommage à RBO par le Cirque du Soleil. Les succès des décennies précédentes semblaient être le carburant naturel de la culture québécoise.

Nous ne sommes pas les seuls à nous nourrir des succès des années révolues; c’est le cas un peu partout en Occident. Pensons au succès instantané de la série Stranger Things sur Netflix, qui plonge avec délectation les spectateurs au cœur des années 1980, esthétique, coupes de cheveux et musique y comprises. Le Polaroid et le Nintendo renaissent de leurs cendres. En outre, ICI Tou.tv a construit une partie congrue de sa programmation sur la rediffusion de séries cultes des années passées, du Temps d’une paix aux Dames de cœur en passant par Cormoran.

Plusieurs recherches montrent que la nostalgie renforce le sentiment d’appartenance. D’abord, une appartenance démographique.

Que nous ayons 25 ou 55 ans, les époques qui nous ont vu grandir et les souvenirs auxquels nous nous referons avec émotion sont différents. Les nostalgies sont spécifiques aux générations. Leur rythme s’accélère chez les plus jeunes – en mode, il s’agit d’un retour à UNE ANNÉE particulière, plutôt qu’à une époque. Mais les jeunes sont tout autant nostalgiques que les personnes des générations qui les précèdent.

Aussi, puis que les souvenirs nostalgiques mettent souvent en scène des moments ou des personnages importants de nos vies, ils ont pour conséquence de nous faire sentir profondément liés à notre réseau social. Par exemple, en tout temps, les conventums de collèges ou d’écoles ont la cote, et galvanisent ce sentiment d’appartenance à un lieu et à un moment unique, chérissable.

La nostalgie est un ancrage sociologique. Elle célèbre, par l’évocation idéalisée, des expériences communes aux membres d’une famille, d’un groupe, d’une époque. Mais c’est aussi un état intime qui peut s’apparenter à de la mélancolie, de la langueur. Toutes les nostalgies ne se vivent pas sur le mode festif, ironique et décalé, loin de là!

Il n’est donc pas rare de voir se côtoyer, aujourd’hui, des individus de toutes les générations qui ont leurs références, qui s’habillent selon leur nostalgie personnelle, créant une courtepointe dynamique de styles et d’époques, si bien qu’il est difficile de déterminer avec assurance ce qu’est LE style de l’année.

La nostalgie nourrit la mode, la culture, mais elle est partout dans la société. Elle se déploie également dans la sphère politique. Il y a, dans beaucoup de sociétés occidentales – y compris celles qui affichent un gouvernement de centre gauche, et a fortiori celles qui ont élu des gouvernements de droite –, une nostalgie pour le récit national d’avant. Avant quoi?

Avant les grands bouleversements sociaux, économiques, démographiques et religieux qui balaient le monde depuis la fin du siècle dernier, pourrait-on dire. Les temps d’avant sont magnifiés, pris comme étalon inaccessible, réconfortant. Le populisme de droite tire parti de ce ressentiment et en joue pour canaliser les craintes, parfois fondées, par ailleurs. La nostalgie politique instrumentalisée est souvent une mauvaise réponse à un problème réel...

Trop de nostalgie laisse pantois. Quand on s’ennuie de l’ordre social d’avant (avant l’aplanissement de beaucoup d’inégalités choquantes; avant le féminisme et les droits civiques; avant une société globalement plus juste), ça commence à remettre en question le principe même de nostalgie. Au-delà de sa cuteté et de ses couleurs sépia rassurantes, ce refuge émotif devient-il un piège?

Le célèbre écrivain et scénariste britannique Alan Moore le croit. Il décrit la nostalgie comme un culte de la passivité qui dessine un avant en forme d’impasse. À la nostalgie, il oppose les contre-cultures, centres vitaux de la culture, fourmillantes d’idées qui brassent la société. Aujourd’hui, ses sources sont taries, et remplacées par la culture de la nostalgie. Nous sommes les spectateurs passifs et enthousiastes d’une culture fanée, plutôt que d’en fabriquer une nouvelle.

Cela vaut pour la culture, la mode, mais aussi, évidemment, pour la société, le monde du travail, la politique. La nostalgie est un indicateur de l’époque. Oui aux Belles-sœurs, à la nostalgie avec modération et le sourire en coin, mais non à l’empire de la nostalgie mur à mur. Une impasse n’a jamais été un chemin inspirant pour le futur.

Article publié dans l’édition Hiver 2025 de Gestion