Article publié dans l'édition Automne 2021 de Gestion

L’introduction d’une culture éthique en milieu de travail peut-elle améliorer le bien-être du personnel? Bonne nouvelle: une étude semble démontrer que c’est bel et bien le cas. Voici quelques pistes de réflexion ainsi que des recommandations pour y parvenir.

La santé au travail englobe la prévention des risques, la protection des individus et la promotion de la santé en milieu de travail. Pour protéger la santé de son personnel, une organisation peut adopter diverses pratiques de gestion afin de limiter le stress généré par les attentes élevées en matière de qualité du travail et de performance au travail.

Pour réduire ce stress, elle peut notamment assurer un équilibre entre ses exigences et les moyens qu’elle met à la disposition de ses employés. Autrement dit, les ressources humaines (soutien, formation) et matérielles (équipement, réglementation) doivent être suffisantes pour permettre aux équipes d’atteindre les objectifs fixés (exigences). De cette façon, les employés disposent des ressources nécessaires et adaptées qui leur permettront de réaliser leurs tâches.

Les caractéristiques des environnements de travail

Tout d’abord, il faut comprendre ce qu’est une culture éthique. Idéalement coconstruite avec les parties prenantes, celle-ci repose sur un ensemble de valeurs partagées. Ce socle permet d’orienter les procédures, les règles et les politiques organisationnelles en ayant recours au dialogue et à la réflexion. Cette culture éthique évolue, car elle est basée sur un processus d’apprentissage continu destiné à donner du sens aux pratiques en organisation en privilégiant l’exercice du jugement professionnel. L'éthique sert ainsi à orienter, à baliser et se traduit par des actions concrètes.

Cette culture peut-elle avoir un effet positif sur la santé et sur le bien-être des travailleurs? Pour répondre à cette question, nous avons effectué une recherche auprès de 24 gestionnaires (9 femmes et 15 hommes) œuvrant en milieu francophone au Canada1. Employés par un établissement d’éducation supérieure, ces gestionnaires provenaient de facultés universitaires ou de services administratifs et occupaient des postes de directeur de département, de directeur adjoint aux opérations ou de directeurs généraux. Les participants étaient issus d’un environnement de travail spécialisé à haut ou à faible risque d’atteintes potentielles au bien-être en milieu de travail.

La santé et le bien-être au travail désignent l’état de bien-être qui permet à une personne d’accomplir ses tâches et de faire face aux situations difficiles. Pour que cet état soit préservé, l’environnement de travail doit présenter des éléments bénéfiques pour la santé. Parmi ceux-là, on trouve le leadership, la reconnaissance, la gestion du changement, la sécurité psychologique, le soutien des collègues, l’autonomie, le sens du travail, la satisfaction et le plaisir au travail ainsi que le développement des compétences.

Pour différencier les environnements dits à haut ou à faible risque, trois facteurs sont déterminants. En premier lieu, il y a non seulement le leadership de la personne en position d’autorité (c’est-à-dire la capacité d’accompagnement du responsable d’équipe dans la réalisation des objectifs communs) mais aussi le degré de détresse du personnel (sentiment d’abandon ou d’impuissance au travail), deux facteurs qui, d’ailleurs, sont intimement liés, selon nos résultats quantitatifs. Enfin, on constate que la présence d’une culture éthique au sein d’une organisation a également un effet sur le milieu de travail.

Dans un environnement à faible risque pour la santé et pour le bien-être au travail, les employés évoluent dans un contexte positif nourri par les capacités de leadership du gestionnaire, ce qui contribue à atténuer la détresse des employés. Cet environnement se distingue par la bienveillance du dirigeant, fondée sur une gestion de proximité entre lui-même et ses employés. Divers facteurs peuvent alors influer sur ce sentiment de bien-être, notamment la présence et le respect de valeurs communes, la coopération, la participation de l’ensemble des parties prenantes dans la prise de décisions, les ajustements éventuels apportés aux charges de travail, la protection de la santé et du bien-être et, enfin, un processus de médiation lors de conflits.

Inversement, dans un environnement de travail à haut risque pour la santé et pour le bien-être, les employés évoluent dans un contexte où le gestionnaire fait preuve de très peu de capacités de leadership, ce qui semble accroître la détresse du personnel. On assiste alors à de la confusion et à de l’incompréhension quant aux repères et aux normes, à une forme de rigidité dans l’attribution des charges de travail ainsi qu’à de l’indifférence par rapport à la dégradation de la santé et du bien-être des employés. Enfin, on note aussi la présence, au sein des équipes, de désaccords non résolus qui, souvent, persistent et ajoutent à la lourdeur du climat (voir le tableau à la page précédente).

Environnement

Deux facteurs à surveiller

Il ressort de notre étude que deux éléments peuvent empêcher l’instauration d’une culture éthique en entreprise, ce qui nuit à la santé au travail. Tout d’abord, un appui faible ou inexistant de la part de la haute direction envers ses gestionnaires complique la tâche de ces derniers lorsqu’ils cherchent à introduire une culture éthique. La rigidité de la haute direction peut donc isoler les gestionnaires intermédiaires, qui se sentent alors mis à l’écart des processus décisionnels. Cela peut non seulement créer des conflits entre les parties prenantes mais aussi imposer des contraintes en ce qui a trait à la réalisation des tâches. Par ailleurs, cela peut susciter un sentiment d’exclusion, d’impuissance, voire d’abandon, chez les gestionnaires. Une haute direction indifférente à ces questions peut aussi constituer une source d’insécurité et contribuer au sentiment d’isolement, de détresse et d’épuisement professionnel, ce qui risque de se répercuter dans toute l’organisation.

Autre élément à surveiller: le manque de ressources organisationnelles. En effet, l’absence de ressources pour mettre la santé au travail à l’avant-plan ne contribue certes pas à prévenir la détresse ni à favoriser la création d’activités physiques et sociales dans ce but. Cette lacune a pour effet de renforcer l’individualisme, voire l’égoïsme, au sein de l’organisation. De plus, l’attribution inadéquate des ressources nécessaires à la réalisation des tâches – des charges de travail réparties inéquitablement, par exemple – peut occasionner des conflits, accentuer le sentiment de surcharge de travail et provoquer de la détresse, voire de la douleur physique, ce qui peut mener au désengagement du personnel (voir le tableau).

Reconnaître

Les stratégies pour favoriser une culture éthique

Il existe heureusement des conditions gagnantes pour faciliter l’instauration d’une culture éthique au sein d’une organisation:

1. L’ouverture et les capacités de communication des gestionnaires

Les encouragements et le partage au sein des équipes favorisent la collégialité, la confiance et le soutien. De plus, la gestion de proximité facilite la communication; quant à la création d’un espace de discussion sécuritaire, elle permet de susciter un climat de confiance favorable aux échanges.

2. L’affirmation des valeurs personnelles et l’exemplarité des gestionnaires

Quand elles sont partagées, les valeurs personnelles des gestionnaires contribuent à l’instauration d’une culture éthique. Cependant, elles doivent s’incarner dans les pratiques, car le fait de donner l’exemple constitue la meilleure façon d’inciter une équipe à adopter des comportements éthiques.

3. La sensibilité éthique des gestionnaires

Cette sensibilité repose sur une gestion humaine, c’est-à-dire misant sur la sécurité psychologique et sur le maintien d’un climat de travail bienveillant et collaboratif. Les gestionnaires qui font preuve d’une sensibilité éthique et d’un souci authentique envers autrui cherchent à créer une ambiance de travail où tous se sentent bien et ont à cœur le bien-être de leurs employés, dont ils renforcent la confiance. Tel un effet de miroir, cette sensibilité sera inévitablement partagée et aidera à accroître la satisfaction du personnel grâce à la réciprocité des sentiments de soutien, de respect, de confiance et de reconnaissance (voir le tableau).

4. La clarification des valeurs et la création de sens

L’adoption de normes et de règlements clairs pour tous fera en sorte que les employés comprendront mieux les tâches qu’ils doivent effectuer, ce qui les incitera à avoir un comportement moral et éthique. Les valeurs de justice, de transparence et d’équité sont cruciales afin d’éviter la surcharge des tâches, qui peut mener à de l’épuisement.

Les résultats de notre étude permettent d’entrevoir les relations entre la santé, le bien-être au travail et la culture éthique. En effet, une culture à haut risque présente un danger accru pour la santé et pour le bien-être au travail. Moins les procédures, les règles et les normes sont claires et transparentes, plus les individus ont tendance à se désengager. Il en va de même lorsque le pouvoir est fortement concentré. À l’inverse, un leadership bienveillant et l’exemplarité des gestionnaires contribuent à stimuler les comportements éthiques et l’esprit d’initiative des employés, autant d’éléments qui permettent d’instaurer une culture éthique soucieuse du bien-être des gens.

Valeurs


Note

1. Bégin, L., Jacob, S., Langlois L., Boisvert, Y., et Lacroix, A., «La prévention des risques éthiques dans les grands projets d’infrastructure: prise de décision des hauts dirigeants, saine gouvernance et culture attentive à l’éthique» (rapport de recherche), Université Laval et Fonds de recherche du Québec – Société et culture, 2021.