Rivalité, compétition, jalousie… Rares sont les milieux de travail qui sont complètement exempts de ce type de dynamiques. Bien que souvent perçus de manière négative, ces phénomènes peuvent toutefois être bénéfiques, à certaines conditions.

C’est du moins l’une des conclusions d’une étude menée par Meena Andiappan, professeure agrégée en ressources humaines et management à l'Université McMaster, et Lucas Dufour, professeur adjoint en gestion des ressources humaines et comportement organisationnel à l’École de gestion Ted Rogers de l'Université métropolitaine de Toronto. En y regardant de plus près, les deux chercheurs ont réalisé que la jalousie – un phénomène qui va de pair avec la rivalité – pouvait être utilisée comme un moteur pour améliorer sa productivité.

«En fait, la jalousie se joue en triade, explique Lucas Dufour. On ressent cela si on a une relation privilégiée avec une personne, généralement le supérieur hiérarchique, et qu’on a l’impression que notre collègue pourrait venir menacer cette relation.» C’est le cas, par exemple, lors de l’arrivée d’un nouvel employé, alors que le gestionnaire lui accorde plus de temps qu’aux autres. De même, certains sont envieux lorsqu’ils voient (ou pensent) que leur collègue est plus compétent qu’eux.

Il faut aussi distinguer compétition et rivalité, où deux personnes se mesurent entre elles, ajoute Meena Andiappan. «On voit cela apparaître entre des collègues présentant certaines similitudes, par exemple elles occupent le même poste ou ont le même type de diplôme. Ils essaient donc d’atteindre le même niveau de performance que leur rival.» Avoir un concurrent au travail permet ainsi de garder le cap sur la productivité, car on ne veut pas que l’autre nous dépasse.

De plus, si on conclut généralement que la rivalité engendre des actions qui ne sont pas éthiques pour gagner la bataille, c’est souvent l’inverse qui se produit, précise la chercheuse. «On remarque plutôt que les travailleurs vont avoir tendance à faire moins de bêtises, parce qu’ils savent que les autres ont un œil sur ce qu’ils font.» Ce mécanisme de surveillance par les pairs créé par la rivalité permet également de réduire les comportements de triche au travail, montre une étude à laquelle a participé Meena Andiappan.

Créer une saine émulation

Attention, toutefois : la rivalité peut aussi saper le moral des troupes. «Si les objectifs fixés par l’organisation sont impossibles à atteindre, que je me sens en compétition avec des personnes qui me semblent vraiment plus compétentes que moi, cela peut augmenter le niveau de stress et diminuer ma performance, et éventuellement mener à l’épuisement professionnel», avertit Lucas Dufour. Cette compétition peut aussi engendrer des comportements malicieux, tels que le sabotage du travail de son rival. Pour éviter cela, l’organisation doit s’assurer d’établir des cibles réalistes et des règles claires, justes et perçues comme équitables, soutient-il. «On n’a donc pas besoin de jouer en coulisses, puisqu’on connaît exactement quel chemin prendre pour obtenir le succès.»

Les organisations ont également tout avantage à valoriser aussi la performance collective, plutôt qu’uniquement individuelle, poursuit le chercheur. «Le message doit être clair, c’est-à-dire que l’important, c’est de collaborer pour un objectif commun. Ce faisant, la rivalité sera moins forte et, si elle existe, elle sera amoindrie par la volonté de travailler ensemble pour son équipe, de se tirer vers le haut.» Un équilibre qui s’observe d’ailleurs dans les équipes sportives, où les joueurs se mesurent aux autres pour être performants, mais où ils unissent aussi leurs forces pour gagner contre l’autre équipe, note Lucas Dufour.

Favoriser la «coopétition», c’est-à-dire quand deux personnes en compétition coopèrent sur certains aspects parce qu’elles y voient toutes deux leur intérêt, peut aussi s’avérer une stratégie intéressante, mentionne-t-il. «On a souvent tendance à récompenser la compétition en oubliant la collaboration ou alors à valoriser uniquement un environnement coopératif, ce qui peut avoir des répercussions négatives sur l’entreprise.» Ainsi, c’est dans cet équilibre que s’obtient la meilleure performance.

Transformer le négatif… en positif

Les personnes qui ressentent de la jalousie ou de l’envie peuvent aussi utiliser ces émotions comme un moteur pour s’améliorer. «Lorsque les employés sont capables de reconceptualiser la jalousie comme une force de motivation, cela ouvre de nouvelles possibilités (et plus positives) pour aborder, surmonter et même capitaliser sur ce sentiment», indiquent les deux chercheurs dans un article publié sur le site The Conversation Canada.

Si on ressent une pointe de jalousie, il faut d’abord reconnaître et accepter cette émotion, concluent-ils. Cette première étape permet de prendre un pas du recul et de vérifier si son sentiment est basé sur des faits réels ou non. «Parfois, on regarde son collègue en se disant : il est meilleur que moi, il a plus d’attention. Cela peut nous rendre envieux, mais ce n’est pas nécessairement fondé, souligne Lucas Dufour. En fait, il faut se demander : qu’est-ce qui suscite la jalousie chez moi?»

Si notre patron reconnaît plus facilement les efforts de notre collègue, on peut soit baisser les bras ou trouver des façons de mettre en valeur la qualité de notre travail. Peut-on être plus proactif, proposer plus d’idées concrètes ou tout simplement apprendre à faire son autopromotion? «Le gestionnaire a aussi un rôle à jouer, ajoute le chercheur. Par exemple, s’il passe plus de temps avec une personne parce qu’elle développe une nouvelle compétence, il faut qu’il l’explique aux autres. C’est souvent circonstanciel.»

De plus, la rivalité peut inciter les employés à réfléchir à leur performance. «Je peux utiliser cette envie pour saboter le travail de l’autre pour le tirer vers le bas, illustre Meena Andiappan. À l’inverse, je peux aussi décider de m’en inspirer. Autrement dit, est-ce que je peux, en quelque sorte, copier cette personne, reproduire certains comportements pour m’améliorer?» Bref, quand elle est bien canalisée, la rivalité peut pousser les individus à se dépasser pour devenir meilleurs.