Géraldine Martin est directrice de l’entrepreneuriat au Service du développement économique de la Ville de Montréal.

En toute franchise, lorsque le rédacteur en chef de la revue Gestion HEC Montréal m’a proposé d’écrire sur le thème des femmes en milieu de travail, ma première réaction a été celle-ci : « J’ai souvent écrit sur ce sujet, sous quel angle nouveau vais-je pouvoir aborder la question cette fois-ci? »

Ma seconde réaction a été de m’interroger : « Suis-je lassée d’écrire là-dessus ? » Ma réponse a été la suivante : « Non, mais... Que faut-il faire pour que les choses avancent plus vite ? » Il reste encore bien des changements à accomplir, notamment la tâche délicate de s’attaquer aux tabous et de dire tout haut ce qu’on pense tout bas.

Par exemple, on observe une « certaine fatigue » en ce qui a trait à cette question, souligne Louise Champoux-Paillé, administratrice de sociétés. Il y a quelques années, on parlait franchement du problème de l’avancement des femmes en affaires, puis les organisations se sont mises à utiliser d’autres expressions : diversité, inclusion, engagement, etc. « On essaie de trouver de nouveaux mots afin de rafraîchir l’intérêt à ce chapitre », affirme-t-elle.

Sans minimiser la gravité des problèmes liés à l’inclusion en général, les organisations semblent s’intéresser moins qu’auparavant à la question de l’avancement des femmes. Selon une étude récente de PwC1, la proportion d’administrateurs de compagnies publiques américaines qui jugent que la représentation équilibrée des genres est très importante est passée de 27 % en 2013 à 46 % en 2018 puis a décliné à 38 % l’année suivante.

Notons que les femmes occupent 18,2 % des sièges aux conseils d’administration des entreprises canadiennes cotées en Bourse, selon une étude du cabinet d’avocats Osler2. Or, ce taux devra augmenter à 40 % pour atteindre ce qu’on appelle la zone de parité. « Abordons le problème de front et concentrons-nous sur des objectifs clairs, suggère Mme Champoux-Paillé. On voit cela comme les douze travaux d’Astérix alors que ce n’est pas si compliqué. Déterminons le nombre de femmes manquantes et allons chercher ces femmes. Sinon, 50 ans d’efforts n’auront servi à rien. »

Il faut aussi s’attaquer à la très faible représentation des femmes à la haute direction des entreprises. Saviez-vous par exemple qu’il n’y a actuellement aucune femme à la tête des entreprises de l’indice boursier canadien S&P/TSX 603 ?

Une étude de la firme McKinsey & Company4 pose bien le problème. Alors qu’on recrute au Canada autant de femmes que d’hommes au bas de l’échelle, la proportion de femmes se réduit considérablement à mesure qu’on gravit les échelons. Par exemple, à l’échelon des vice-présidents, on recense 69 % d’hommes et 31 % de femmes. Au niveau des chefs de la direction, on dénombre 86 % d’hommes et 14 % de femmes.

Une lente montée

Pourquoi les femmes progressent-elles aussi peu en milieu de travail ?

Attardons-nous un instant sur l’aspect le plus tabou du problème : « Les femmes sont atteintes du syndrome de la première de classe à tel point qu’elles passent à côté de toutes sortes d’occasions », explique Nathalie Francisci, associée au sein de la firme de recrutement de cadres Odgers Berndtson. À force de vouloir être parfaites, les femmes en arrivent parfois à oublier leur nature spécifique et à dégager une certaine froideur.

Cet élément est pourtant essentiel pour apprécier la personnalité d’une dirigeante et pour prendre acte de sa capacité à s’intégrer à une équipe et à la mobiliser. Toutes les études démontrent pourtant que les forces des femmes résident justement dans l’écoute et dans l’empathie. Pourtant, lorsque vient le temps d’obtenir un poste lors d’un processus de recrutement, l’angle de la perfection l’emporte sur le volet humain.

La progression des femmes n’est pas évidente non plus du côté de l’entrepreneuriat, où elles représentent 41 % des propriétaires d’entreprises au Québec5. Un sujet qui interpelle Nicolas Duvernois, président de Pur Vodka : « Je crois que nous avons adopté la politique de l’autruche. Bien que l’égalité entre les femmes et les hommes soit absolument non négociable, le fait d’être égaux ne veut pas dire que les deux membres d’un couple d’entre- preneurs vivent la même réalité », explique-t-il en évoquant la question de la maternité en affaires alors que sa femme est enceinte d’un troisième enfant en cinq ans.

« Ma femme a fondé Pur Vodka avec moi, mais elle ne peut pas être au bureau depuis deux ans. Comment voulez-vous que les choses soient les mêmes pour tout le monde? », fait-il valoir.

La question a été abordée de front par la Jeune Chambre de commerce de Montréal (JCCM) et par sa présidente sortante, Selena Lu. En avril 2019, cet organisme a publiquement déploré que le Régime québécois d’assurance parentale ne prenne pas en compte la situation de plusieurs entrepreneures et dirigeantes de petites entreprises.

La JCCM a notamment suggéré que le gouvernement du Québec offre une compensation (en prestations ou en crédits) pour congé de maternité aux femmes entrepreneures afin de leur permettre d’engager une autre personne, que ce soit à temps plein ou à temps partiel. Un dossier à suivre.

Bref, les problèmes ne manquent pas en ce qui concerne l’avancement des femmes dans le milieu des affaires et dans la société en général. Cette chronique en effleure seulement quelques-uns. Décortiquons-les tous. Faisons tomber les tabous et trouvons des solutions concrètes. Enfin, répétons le message jusqu’à ce qu’il soit bien compris. Et, oui, je suis prête à rédiger une autre chronique sur ce sujet. N’importe quand.


Notes

1 « The collegiality conundrum : finding balance in the boardroom – PwC’s 2019 annual corporate directors survey » (rapport en ligne), PwC, 2019, 34 pages.

2 « 2019 diversity disclosure practices report – Women in leadership roles at TSX-listed companies » (document en ligne), Osler’s Corporate Governance Group, 2019, 61 pages.

3 Au 14 janvier 2020, parmi les entreprises de l’indice S&P/TSX 60, seule la société Loblaw était présidée par une femme, Sarah R. Davis. Cela étant, c’est un homme, Galen Weston, qui occupe le poste de président exécutif du conseil d’administration de cette entreprise.

4 « Women Matter – Les femmes et le travail au Canada : d’aujourd’hui à demain » (document en ligne), McKinsey & Company, juin 2019, 92 pages.

5 Ibanescu, M., Azoulay, A., et Marchand, R., « Indice entrepreneurial québécois 2018 », réalisé par le Réseau M de la Fondation de l’entrepreneurship, en partenariat avec l’Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale – HEC Montréal et Léger, et présenté par la Caisse de dépôt et placement du Québec, en collaboration avec la Banque Nationale et iA Groupe financier.