Article écrit en collaboration avec Emmanuelle Gril, journaliste

La crise du coronavirus a obligé les organisations à faire preuve d’une grande souplesse pour maintenir leurs activités, voire à réinventer leur façon de faire des affaires. Mais que restera-t-il de cette agilité quand les entreprises retrouveront leurs bonnes vieilles habitudes?

Depuis la mi-mars, il ne se passe pas un jour sans qu’on n’entende parler de la crise sanitaire et de ses effets sur les travailleurs et les entreprises. Si l’accent a été mis sur les fermetures et les mises à pied, on a aussi beaucoup parlé des plans de soutien gouvernementaux pour favoriser la relance économique le temps venu.

Mais qu’en est-il des organisations qui, malgré la pandémie, ont réussi à maintenir leurs opérations et la productivité de leurs équipes grâce au télétravail? Et ce, malgré la difficile conciliation travail-famille, l’anxiété généralisée et le stress des objectifs à atteindre. Avouons-le, la période que nous traversons met particulièrement en lumière la nécessité de déployer l’agilité, la transversalité et le travail collaboratif.

Alléger pour plus d’efficacité

Plus que jamais, on a pu constater à quel point les vases clos, la « procédurite » et la « réunionite » peuvent freiner les organisations. Inversement, celles qui tirent leur épingle du jeu misent sur l’agilité, le travail d’équipe et l’intelligence de situation. Plusieurs dirigeants ont donné l’exemple en assouplissant certaines procédures, structures et séquences d’approbation. Les décisions sur le terrain sont plus facilement approuvées. L’expertise reprend de l’importance par rapport aux structures. Le sens et la compréhension se rééquilibrent par rapport à la planification et aux processus de reddition.

D’autres ajustements – simples en apparence, mais qui peuvent s’avérer néanmoins difficiles à mettre en place de façon pérenne – permettent aussi de gagner en efficience : mentionnons par exemple la sélection et l’implantation pragmatique d’un logiciel de visioconférence qui soit à la fois simple d’utilisation et utile pour faciliter la connectivité entre entreprises appartenant à un même écosystème. L’optimisation de la gestion des réunions de travail afin de mieux concentrer les efforts des équipes et de structurer l’organisation du travail est également un incontournable. Le fait d’inviter à ces réunions les porteurs d’expertise sur l’enjeu concerné plutôt que les représentants de divers intérêts est aussi une voie à privilégier.

Il peut s’avérer pertinent d’encadrer les phases distinctes de problématisation, d’exploration et de résolution sur les enjeux spécifiques et actuels. Les gestionnaires sont également en mesure de favoriser l’émergence de communautés de pratique et de vigie pour contrer le manque de fluidité du partage causé par l’isolement. Enfin, les entreprises ont la possibilité de mettre sur pied de courtes formations en ligne, centrées sur l’utilité et l’appropriation des contenus, comme les nouveaux outils de télétravail et les nouvelles directives managériales. Il va sans dire que cette liste est non exhaustive et pourrait être enrichie de nombreux autres éléments, propres aux spécificités et aux besoins de chaque organisation.

Cet allègement des procédures amène une croissance de l’autonomie et de la collaboration au sein et entre les équipes de travail, ce qui se traduit également par le maintien, voire par l’amélioration, de la productivité. Par conséquent, cela en amène donc plusieurs à se demander à quoi servaient ces procédures et tous ces vases clos…

Stratégie de retour au travail

Il ne faut certes pas négliger le bon côté des structures, notamment en ce qui concerne l’alignement stratégique. Mais chez les entreprises qui sont en train de découvrir leur capacité agile et collaborative en temps de crise, pourrait-on assister à un mouvement de résistance lors du retour à ce qu’on pourrait appeler la nouvelle normalité? Assistera-t-on à de la résistance au non-changement lorsqu’il faudra réintégrer les anciens modes de fonctionnement? Que le retour s’effectue en télétravail ou dans les bureaux, qu’il soit progressif ou pas, il y a fort à parier que les mêmes obstacles à l’agilité referont surface… Or, il serait dommage de perdre les capacités déployées depuis le début de la crise. Rappelez-vous la quantité d’efforts que pouvait requérir ce type de changement il n’y a pas si longtemps. Dans ces conditions, mettre sur pied un plan de retour de crise pour profiter de ces circonstances favorables au changement vous aidera à ne pas retomber dans vos vieilles habitudes.

À cet égard, un plan de diagnostic sera particulièrement utile afin de mettre en lumière les capacités développées dans les différentes unités de votre organisation. Il sera particulièrement important de déterminer celles qui ne sont pas que temporaires, mais potentiellement pérennes au sein des différentes structures et des climats de travail. Une démarche de diagnostics psychométriques ciblés peut s’avérer utile afin de préciser l’état des capacités de chacune des équipes. Ensuite, une stratégie d’intervention aidera à les intégrer et à leur donner l’importance qu’elles méritent lors du retour.

Le CHUM en mode agile

Avec les mesures de distanciation sociale et l’instauration massive du télétravail, les organisations ont dû faire preuve de créativité pour maintenir leurs activités et leur efficacité. Le milieu de la santé a également dû relever des défis supplémentaires compte tenu des nombreux enjeux sanitaires. Pour sa part, le CHUM a réussi à naviguer dans la tempête. « Nous avons connu d’autres crises, notamment celle du virus Ebola, mais aussi le déménagement de trois hôpitaux dans le nouveau CHUM et l’intégration de l’intelligence artificielle. Nous avions déjà entamé la démarche de transformation depuis trois ans pour nous diriger vers un mode de fonctionnement plus agile et organique », explique Kathy Malas, adjointe au PDG, Innovation et intelligence artificielle au CHUM, et chercheuse professionnelle au Carrefour de l’innovation et de l’évaluation en santé du Centre de recherche du CHUM.

Elle souligne que la pandémie a en quelque sorte ravivé des compétences qui avaient déjà été développées lors d‘expériences passées, par exemple la capacité de demeurer en écoute constante des défis et des besoins sur le terrain.

« Depuis le début de la crise, les gens nous disent aussi qu’ils n’ont jamais autant travaillé en interdisciplinarité, ce qui contribue à briser les vases clos. Ainsi, en l’espace d’une demi-journée, nous avons mis sur pied une communauté virtuelle composée de chercheurs, de cliniciens, de gestionnaires et de partenaires de la santé, afin de pouvoir imprimer rapidement des visières en 3D comme équipement de protection individuelle. En deux jours, nous avons concrétisé et lancé le projet. Le cycle d’innovation a été accéléré », indique la chercheuse. Elle ajoute que plusieurs autres exemples permettent d’illustrer cette agilité, notamment le fait d’avoir pu intégrer rapidement le logiciel Teams pour faciliter la collaboration en télétravail. « Cela faisait 18 mois que nous poussions le projet, et aujourd’hui, il aboutit en une semaine à peine! Actuellement, plus de 160 de nos équipes utilisent cet outil », se réjouit Kathy Malas, qui précise que ces cas démontrent clairement qu’il est possible de travailler plus vite tout en continuant à faire preuve d’une grande rigueur.

À terme, la question qui se posera est de savoir comment préserver ces acquis et continuer à travailler en mode agile et collaboratif. « Il faudra capter les apprentissages et les réintégrer dans les pratiques. En ce sens, il y a un devoir de mémoire qui permettra de réfléchir, recréer ce qu’on a vécu, puis consolider et pérenniser. C’est ce que nous avons l’intention de faire au CHUM, car il y aura nécessairement d’autres crises, d’autres pandémies. Il faut vivre avec cette nouvelle réalité et être toujours prêt », conclut-elle.