L’analytique en ressources humaines : la mesure sans y perdre son âme
2019-11-18
French
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2023-10-02
L’analytique en ressources humaines : la mesure sans y perdre son âme
Ressources humaines , Technologie
Article publié dans l'édition Automne 2019 de Gestion
À l’ère de l’efficience organisationnelle, le recours à l’analytique pour évaluer l’effet des décisions afin de mieux gérer le personnel s’inscrit désormais comme une pratique stratégique incontournable. En quoi consiste-t-elle?
Parce qu’ils jugent cette approche déshumanisante, plusieurs professionnels des ressources humaines (PRH) ont tendance à résister à l’idée de « mesurer » la performance du personnel (productivité, attitude au travail, etc.). Plus ou moins conscient, ce blocage exprime une mauvaise compréhension de l’objectif et des possibilités de l’analytique en ressources humaines : rechercher l’efficacité sous toutes ses formes, pas uniquement selon une perspective financière. En ce sens, gérer les ressources humaines à l’aide de l’analytique ne revient pas à déshumaniser la pratique; il s’agit simplement de mesurer les résultats obtenus afin de mieux orienter les pratiques en matière de gestion des ressources humaines.
Ainsi, devant la pénurie de main-d’œuvre actuelle, la mesure et l’analyse permettent de comprendre la façon dont les employés réagissent à leur milieu de travail. Cette démarche d’évaluation peut éclairer les décideurs sur les raisons qui ont mené au départ d’employés, sur les relations difficiles que certains peuvent entretenir avec leur supérieur ou sur la santé psychologique du personnel, autant d’éléments qui ont une incidence sur la performance de l’organisation. En effet, la rétention du personnel heureux et des employés fidèles, particulièrement les plus compétents (donc les plus sollicités), influence favorablement les résultats financiers.
En somme, l’analytique permet aux PRH de prendre de meilleures décisions grâce à la récolte et à l’utilisation stratégique de données sur ce que vivent les employés dans leur environnement de travail.
Choix et traitement de l’information
Dans une telle démarche, la qualité du traitement de l’information (données à retenir selon le segment d’employés, analyses descriptives, nettoyage des données, etc.) est fondamentale puisqu’elle oriente la prise de décision. Les données provenant de sources diverses, qu’il s’agisse des gestionnaires, des employés ou des systèmes d’information, doivent être judicieusement structurées selon les objectifs fixés. Par ailleurs, il est important que ce traitement de l’information soit mis au service de toutes les parties prenantes d’une organisation, y compris les employés.
Prenons un exemple concret : la stérilisation des instruments dans un cabinet de dentiste. Cette tâche n’admet aucune négligence, car la santé des patients est en jeu. Le non-respect des normes établies en matière d’hygiène peut donc mettre en péril la réputation du cabinet, voire mener à des poursuites judiciaires. La gestion des ressources humaines joue un rôle capital en ce qui a trait au respect des protocoles en vigueur : les employés sont-ils compétents, bien formés, motivés, informés ? Les réponses à ces questions, obtenues grâce à la récolte de données, permettent d’ajuster le tir afin que l’entreprise atteigne ses objectifs.
Toutefois, une organisation qui adopte l’ana- lytique RH, de préférence avec le soutien de la haute direction, doit éviter le piège de la sanction automatique. Il s’agit d’abord d’une démarche d’amélioration continue, laquelle permet de tirer des avantages et d’en accroître l’acceptabilité auprès de l’ensemble du personnel (employés et cadres).
L’analytique RH permet en outre de mieux gérer les attentes des parties prenantes. Ainsi, la mesure de la durée du processus de recrutement – depuis la demande exprimée par le gestionnaire jusqu’à l’entrée en fonctions du nouvel employé – permet d’en cerner les faiblesses. Un formulaire mal rempli ou incomplet peut donc retarder considérablement le travail des PRH. De plus, les étapes successives du processus de recrutement doivent être discutées, réfléchies et expliquées.
Par exemple, avant l’embauche d’un conducteur de véhicules lourds, des tests précis doivent permettre de vérifier si les candidats ont les compétences requises. Cela permet d’éviter l’embauche de chauffeurs susceptibles de provoquer des accidents (ou moins aptes à les éviter), ce qui coûterait plus cher à l’entreprise que le recours à ces tests d’évaluation. Grâce à la mise en place de balises adaptées (conditions d’accès aux renseignements personnels, respect des chartes des droits et libertés, etc.), l’analytique permet de prendre conscience de ces éléments et d’agir en conséquence.
Menace ou opportunité ?
Compte tenu de leur volonté de gérer les ressources humaines de façon stratégique, les PRH doivent à tout prix s’initier rapidement à l’analytique afin de ne pas prendre de retard dans leur pratique. En effet, de plus en plus de professionnels de la technologie et de l’intelligence artificielle cherchent à appliquer leur savoir à la gestion des ressources humaines. Or, sans formation spécifiquement orientée vers l’être humain, le danger d’une gestion dominée par les chiffres est réel.
Par exemple, si une entreprise désire réduire de 5 % l’ensemble de ses coûts, elle peut facilement envisager des compressions financières sans tenir compte des conséquences opérationnelles et humaines. Il lui suffit par exemple de déterminer combien d’employés correspondent à 5 % de sa masse salariale et de les mettre à pied. Toutefois, même si cela lui permet d’équilibrer son budget, elle en ressort affaiblie, minée par l’effritement de son capital de compétences en raison du départ d’employés efficaces. En effet, les connaissances et les talents sont aujourd’hui indispensables à la création de valeur pour toute organisation.
C’est sur ce point précis que l’analytique appliquée à la gestion des ressources humaines montre toute sa pertinence : en ciblant avec soin les objectifs de gestion et en évaluant les pratiques, les ajustements proposés par les PRH généreront des résultats positifs pour une organisation. Mesurer et contrôler les ressources tout en stimulant l’être humain : tout le monde y gagne.
Des pièges à éviter
Lorsqu’on décide d’avoir recours à l’analytique, il est crucial de ne pas s’égarer en se mettant à tout mesurer ! Déterminer un objectif prioritaire et concret, lié à une préoccupation RH ou aux ambitions de l’organisation, permet d’éviter l’éparpillement.
La première étape consiste à réfléchir afin de comprendre l’usage véritable de la mesure qu’on s’apprête à faire. En quoi consiste le problème à documenter (donc à mesurer) ? Selon la cible, des pratiques spécifiques s’imposeront. A contrario, la mauvaise coordination des efforts de mesure et des objectifs d’affaires mènera dans un cul-de-sac. Malgré notre culture de la rapidité et des délais serrés, prendre le temps de la réflexion est essentiel.
Par la suite, comment peut-on s’assurer que les efforts déployés favorisent l’obtention des résultats recherchés ? En réfléchissant à la manière la plus efficace d’harmoniser les pratiques RH. Si une organisation désire accroître certaines compétences à sa disposition mais ne parvient pas à les trouver dans un bassin de candidats donné, elle devra investir dans des programmes de formation destinés à ses employés. Si elle cherche à mobiliser ses troupes, elle peut le faire en les impliquant dans certaines décisions ou en leur donnant la possibilité de s’autogérer dans la poursuite de certains objectifs. Selon l’objectif visé, les PRH pourront alors choisir les pratiques jugées adéquates et en mesurer l’effet grâce à l’analytique.
Autre piège : l’interprétation des chiffres en vase clos. La performance organisationnelle ne se résume pas au strict aspect financier : elle dépend aussi de la santé des employés. La détresse psychologique, un problème de plus en plus documenté, perturbe l’efficacité organisationnelle et entraîne des coûts considérables. En plus de déshumaniser les organisations, la lecture des bilans d’affaires centrée exclusivement sur les résultats financiers ne permet pas d’en évaluer le fonctionnement et le rendement de façon optimale. L’usage courant qui consiste à optimiser la poursuite d’objectifs en limitant le plus possible le nombre d’employés impliqués est périlleux. La performance durable des ressources humaines devrait guider davantage les décisions des dirigeants. L’analytique RH leur permet précisément de prendre en compte cette dimension capitale.
À l’heure où les mégadonnées sont facilement accessibles, les professionnels qui optent pour une gestion stratégique des ressources humaines devront apprivoiser l’analytique non comme une fin en soi mais comme un outil de prédilection. Les informations que les dirigeants en retireront leur permettront d’orienter leurs décisions et de forger leur vision. Sans espérer obtenir des données parfaites ni sombrer dans la compulsion de la mesure, les PRH pourront utiliser ce levier pour mieux exploiter les ressources de l’organisation et pour en décupler le potentiel.
Annexe
L’analytique RH 101« L’analytique RH constitue un ensemble de processus et d’outils rigoureux, lesquels visent à choisir et à élaborer des indicateurs provenant de multiples sources, à analyser et à utiliser leurs résultats dans la prise de décision en gestion des ressources humaines ainsi qu’à démontrer leurs impacts sur la performance RH et sur la performance organisationnelle. » Source : Cossette, M., L’Analytique en ressources humaines, Montréal, JFD Éditions, 2018, p. 28. |
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