Même si les organisations et les gestionnaires ont un important rôle à jouer, il reste que chaque personne est également responsable de son propre bien-être au travail. Quelques pistes sur des stratégies à mettre à œuvre de façon individuelle.

Le bien-être au travail est une responsabilité qui devrait être partagée entre les personnes, le patronat et les syndicats, estime Estelle Morin, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal et membre du Consortium de recherche sur l’intelligence émotionnelle appliquée aux organisations. D’ailleurs, puisqu’on ne peut offrir aux autres ce que l’on est incapable de donner à soi-même, elle rappelle l’importance pour les cadres et dirigeants de veiller à leur propre bien-être afin d’être capable de veiller à celui de leurs équipes.

«Nous devrions tous prendre soin de nous-mêmes; or, nombreux sont ceux qui s’oublient. Personne ne le fera à notre place, alors il faut se choisir et se mettre en priorité», complète Julie Carignan, CRHA, associée et consultante chez Humance.

D’abord, bien se connaître

De l’avis de Jacques Forest, CRHA, psychologue organisationnel et professeur au Département d’organisation et ressources humaines de l’Université du Québec à Montréal, bien qu’on puisse se baser sur certains principes généraux, il n’existe pas pour autant de recette universelle applicable à tous. «La théorie de l’autodétermination fournit des lignes directrices – la satisfaction des besoins de compétences, d’autonomie et d’affiliation sociale –, mais ensuite, on peut emprunter plusieurs chemins», explique-t-il. Par exemple, on peut viser à travailler sur ses forces plutôt que de mettre l’emphase sur ses faiblesses, et tenter d’aligner son travail avec ses points forts. À cet égard, M. Forest mentionne un test disponible en ligne, offert en plus de 40 langues, qui permet de mesurer 24 forces dont les cinq premières constituent la signature d’un individu.

Apprendre à se connaître, prendre du recul sur soi-même et faire le point sur ses valeurs, ses intérêts, les points forts de sa personnalité, font d’ailleurs partie des recommandations de Julie Carignan pour travailler à son propre bien-être, dans la mesure où cela peut nous aider à choisir un milieu de travail en adéquation avec qui nous sommes vraiment.

«Développer la capacité de s’affirmer sainement est un autre pilier du bien-être au travail. Il faut avoir le courage de nommer ses difficultés au lieu de demeurer silencieux sur ses frustrations et sur ce qui ne fonctionne pas. Il faut verbaliser ses limites, mais aussi ses souhaits», poursuit-elle.

Pour se ressourcer, elle préconise d’entretenir un bon réseau de soutien autour de soi, au niveau personnel et professionnel, qui comprend des proches, des amis et des collègues de travail.

Mieux vivre le télétravail

De l’avis d’Ariane Ollier-Malaterre, professeure au Département d’organisation et ressources humaines à l’Université du Québec à Montréal, il existe trois éléments clés pour mieux vivre le télétravail. Tout d’abord, s’assurer de conserver du temps de non-travail. «En exerçant ses activités professionnelles de son domicile, les frontières avec la vie privée se brouillent inévitablement. La maison n’est plus un espace différent et on a perdu les rituels de transition entre ces deux univers. Il est plus difficile de se reposer et de décrocher; c’est pourquoi il est essentiel de se ménager des moments où l’on se sent en droit de ne pas travailler», explique-t-elle.

Elle rappelle que les conséquences de ne pas de se ressourcer sont nombreuses, de la perte de productivité à l’épuisement professionnel. Pour parvenir à faire la coupure, on peut appliquer différentes stratégies : retirer les notifications sur son téléphone en dehors des heures de bureau, cacher autant que possible les éléments reliés au travail (ordinateur, dossiers, etc.), dîner dans le calme et non pas assis à son bureau, faire une marche avant de commencer sa journée ou après, etc.

Deuxième élément fondamental : préserver son intimité et sa vie privée. Car avec l’explosion des visioconférences, la caméra devient un élément intrusif, qui permet à des yeux étrangers d’explorer notre intérieur. «Il faut être prudent dans ce que l’on donne à voir de son domicile : photos, livres, affiches, objets, etc. Cela peut donner des indices sur nos opinions, notre situation familiale, nos pratiques religieuses, etc. On doit en être conscient», prévient Ariane Ollier-Malaterre. Elle ajoute qu’il peut être légitime de fermer sa caméra lors d’une longue réunion pour éviter la fatigue Zoom, par exemple, mais aussi que l’on n’a pas à accepter des visioconférences à l’improviste si l’on n’est pas prêt à le faire.

Enfin, troisième et dernier conseil : négocier une charge de travail réaliste. «Nous traversons des moments très anxiogènes, sans compter les écoles fermées, les périodes de quarantaine, etc. Les gens ont accumulé de la fatigue et il est bien normal de ne pas réussir à travailler à 100 % de ses capacités», illustre la professeure. Dans ces conditions, il peut être bénéfique de discuter tant avec son gestionnaire qu’avec ses collègues pour établir un plan de match et distinguer les tâches urgentes de celles qui peuvent attendre.

Elle souligne que si les employeurs semblaient relativement tolérants au début de la pandémie, dès la rentrée d’automne, le discours a imperceptiblement changé. Désormais, les attentes sont revenues à leur niveau de prépandémie, avec en plus du retard à rattraper. Plusieurs employés tentent également de compenser le fait de ne pas être présent physiquement au bureau en se montrant surdisponibles, par exemple en répondant immédiatement aux courriels de leur supérieur reçus en dehors des heures de bureau. «On doit se rappeler qu’il s’agit d’un marathon et non d’un sprint. Il est indispensable de se ménager, car les statistiques démontrent que les risques d’épuisement ont augmenté de façon effarante», conclut Ariane Ollier-Malaterre.