On dit parfois que la gestion est une vocation. Mais est-ce réellement la vôtre? Comment savoir si le métier qui vous a tant fait rêver est (encore) fait pour vous?

L’offre est sur la table : on propose à Maxime de devenir gestionnaire de l’équipe des achats dont il fait partie depuis trois ans. Dès la démission de son patron, il avait d’ailleurs signifié son intérêt pour le poste. Enthousiaste devant l’occasion qui se présente, il accepte sur-le-champ de se lancer dans cette nouvelle aventure. Sa grande confiance ainsi que ses fortes compétences relationnelles faciliteront sa transition, se dit-il.

Ailleurs dans l’organisation, une seconde offre est aussi sur la table, pour Houda : on lui propose de devenir gestionnaire de l’équipe de la comptabilité dans laquelle elle évolue depuis quatre ans. Ayant dès le départ rejeté du revers de la main les invitations informelles à postuler, elle est aujourd’hui en plein questionnement. Malgré ses compétences, a-t-elle vraiment ce qu’il faut pour être gestionnaire? Possède-t-elle toutes les habiletés nécessaires à l’exercice du leadership, elle qui est introvertie et peu portée sur les grands discours?

Alors, entre Maxime et Houda, à qui attribuez-vous le plus de chances de succès dans le rôle de gestionnaire?

La réponse est loin d’être évidente! Et si les raisons qui amènent Houda à hésiter étaient en fait les mêmes raisons qui feraient d’elle une excellente gestionnaire? Son humilité devant le défi que représente la gestion d’une équipe pourrait être un avantage... Alors que Houda semble penser qu’un leader est inévitablement un dirigeant visionnaire et un être charismatique, elle pourrait être surprise de réaliser que le leadership au quotidien est beaucoup plus pragmatique. À l’opposé, est-ce possible que les atouts qui poussent Maxime à vouloir devenir gestionnaire se transforment en véritables dangers?

Une récente étude du National Bureau of Economic Research arrive à une conclusion fascinante et peut nous aider à réfléchir à cette question. La recherche menée par l’organisme a démontré que les personnes qui lèvent la main pour prendre une responsabilité de leadership performent moins bien que celles qui ont été sélectionnées au hasard1. Cela s’explique en partie par le fait que les gestionnaires autoproclamés ont une confiance en eux trop élevée, notamment à l’égard de leurs qualités relationnelles, alors que ce n’est pas le cas pour les gens qui ont été choisis au hasard.

Nous ne recommandons évidemment pas aux organisations de choisir leurs gestionnaires par un tirage aléatoire à l’interne, mais avouez qu’il est tout de même plaisant d’imaginer ce à quoi ressemblerait votre organisation si vous adoptiez une telle pratique! Cela étant dit, la question mérite d’être posée : que font concrètement les organisations pour éviter que les personnes qui devraient aspirer légitimement à un poste de leadership ne s’excluent pas d’emblée du processus de recrutement, faute de croire en leur propre potentiel?

Moins d’invitations, plus de convocations?

Une solution potentiellement porteuse serait de convoquer de manière officielle des personnes qui n’oseraient pas postuler plutôt que de simplement les encourager à le faire. Une étude intéressante a d’ailleurs démontré l’efficacité de cette pratique. Les femmes ont notamment participé davantage au processus de sélection lorsqu’elles devaient manifester leur désistement (opt-out), plutôt que de signaler leur intérêt (opt-in)2. Alors qu’on sait que les femmes sont souvent sous-représentées dans les postes de gestion, l’idée vaut la peine d’être considérée... et pas seulement pour rééquilibrer les organigrammes. En effet, peut-être que cette façon innovante de procéder profiterait également aux candidats et candidates ayant une personnalité plus introvertie. Quand on sait l’impact positif sous-estimé que ces personnes peuvent avoir comme leaders, il est légitime d’évaluer cette possibilité3.

Avant de déterminer si un poste de gestionnaire arrive à point dans votre parcours professionnel, il pourrait être opportun de réfléchir à votre rapport au leadership.

1 - Avez-vous des attentes réalistes quant au rôle de leader que vous aurez à assumer ou avez-vous plutôt une vision romantique du poste?

Le métier de gestionnaire n’est pas de tout repos. Une récente recherche de Gallup sur l’état du monde du travail, dont les constats ont été diffusés en 2024, montre d’ailleurs que si les leaders sont en général plus engagés que leurs employés, ils sont cependant plus stressés, plus frustrés, et veulent quitter davantage l’entreprise4. Si la fonction vient avec des défis stimulants, elle demeure assurément exigeante.

2 - Quelle trajectoire de carrière vous intéresse vraiment : celle du spécialiste ou celle du gestionnaire?

Êtes-vous davantage intéressé à développer votre expertise ou à gérer une équipe? Votre contribution idéale au collectif serait-elle d’être une référence dans votre domaine en matière de contenu (super-expert) ou de contribuer activement au développement du potentiel des individus que vous côtoyez (gestionnaire)?

3 - Quelle est votre motivation profonde à assumer le rôle de leader?

En toute sincérité, qu’est-ce qui vous motive à passer du rôle de professionnel à celui de gestionnaire? Est-ce l’ego, le salaire ou le prestige ? Ou le désir sincère de changer les choses? Vous pourriez certainement embellir la vérité à cet égard en entrevue, mais c’est bien vous qui devrez entretenir votre motivation au quotidien par la suite. Pour cela, il vaut donc mieux vous assurer que vos facteurs de motivation sont en harmonie avec la nature du rôle de gestionnaire.

Pistes d’actions pour favoriser des décisions éclairées

Pour les organisations

- Éviter de limiter la conception du leadership à des modèles inspirants et charismatiques.

- Développer des mécanismes pour éviter l’auto-exclusion de candidats et candidates de grande qualité pour combler des postes de gestionnaires.

- Valoriser le retour dans un poste de spécialiste pour les gestionnaires qui ne souhaitent plus assumer le rôle de leader.

Pour les futurs gestionnaires

- Percevoir vos inquiétudes légitimes à l’égard de l’exercice du rôle de leader comme un symptôme potentiel de votre succès.

- Remettre en question vos croyances concernant les qualités requises pour exercer du leadership.

- Adopter une approche d’introspection avant d’accepter le rôle, ou de le quitter.

Le courage d’accepter un rôle de gestion

Si, à la lumière de ce que nous avons mentionné précédemment, Houda décidait d’accepter l’offre qui lui a été présentée, pourrait-on célébrer collectivement sa nomination au poste de gestionnaire? Oui, si l’on se fie aux études précitées! Mais une fois les célébrations terminées, nous gagnerions probablement tous à encourager Houda à continuer d’alimenter ses réflexions et ses questionnements au sujet de l’adéquation entre son profil de gestionnaire, ses aptitudes, ses compétences et les réels besoins de son organisation.

En effet, dans un monde où il est de bon ton de souligner la vitesse folle à laquelle les changements surviennent dans les environnements interne et externe des organisations, comment un gestionnaire peut-il prétendre être continuellement le leader le plus apte à créer le terreau fertile qui fera grandir et prospérer son organisation? Poser la question, c’est un peu y répondre.

Renoncer à son poste de gestionnaire  

Tous en conviennent en théorie : un véritable leader doit savoir sortir par la grande porte, au bon moment et de la manière la plus élégante qui soit. Mais en pratique, atteindre cet objectif n’est pas si facile. D’ailleurs, lorsque vous ferez face à la difficulté de passer le flambeau, rappelez-vous que vous n’êtes pas nécessairement aveuglé par un ego démesuré, et que vous n’êtes pas non plus une personne incapable de faire confiance à votre relève.

Lorsque vient le temps de renoncer au poste pour lequel vous avez investi tant d’efforts et consenti d’innombrables sacrifices, la raison et les émotions se livrent une chaude lutte. Pour laisser place à votre rationalité dans votre processus décisionnel, prenez conscience que vous êtes possiblement sous l’effet du biais cognitif des coûts irrécupérables5, selon lequel une personne est plus encline à poursuivre une quête ou un projet, ou à continuer d’adopter un comportement, puisqu’elle y a investi une quantité considérable de ressources, que celles-ci soient en argent, en temps ou en efforts.

C’est peut-être ce même biais qui pourrait expliquer l’étonnante obstination du président Joe Biden à ne pas renoncer aussi rapidement qu’il aurait dû à la présidence des États-Unis... jusqu’à ce qu’il reconnaisse que le succès de sa propre mission requérait le passage du témoin à un autre leader. Ce faisant, et sans égard à la suite de l’histoire, on a alors assisté à l’un des plus grands gestes de leadership de l’année 2024!

Article publié dans l’édition Hiver 2025 de Gestion


Notes

1 - Weidmann, B., et coll., «How do you find a good manager?» (document de travail), National Bureau of Economic Research, 2024, 40 pages.

2 - Erkal, N., Gangadharan, L., et Xiao, E., «Leadership selection: Can changing the default break the glass ceiling?», The Leadership Quarterly, vol. 33, n° 2, 2022, p. 1-14.

3 - Barnes, H., et Stewart, S., «Misconceptions about introverted leaders: How quiet personality types influence the workplace», International Journal of Management Development, vol. 2, n° 3, 2022, p. 217-235.

4 - «State of the global workplace», Gallup, 2024.

5 - Arkes, H., et Blumer, C., «The psychology of sunk cost», Organizational Behavior and Human Decision Processes, vol. 35, n° 1, 1985, p. 124-140.