Le gouvernement canadien s’est engagé à investir au moins 180 milliards de dollars dans les grands projets entre 2016 et 2028[1], que ce soit dans les transports publics, dans les infrastructures aéroportuaires ou dans les réseaux de télécommunications et les systèmes énergétiques. Plus de 77 000 projets ont déjà été réalisés ou sont en cours dans le cadre de ce programme d’investissement. Or, comment assurer l’acceptabilité sociale de tous ces projets pour qu’ils soient couronnés de succès?

En 2019 et 2020, l’acceptabilité sociale a été identifiée par EY comme étant le plus grand risque auquel étaient exposées les entreprises minières. Pour les années 2021 et 2022, ce risque a été classé au deuxième et au troisième rang parmi les dix risques les plus importants[2].

Pas surprenant alors que de nombreux projets de développement, aussi bien d’infrastructures publiques, de complexes immobiliers que d’exploitation des ressources naturelles, aient été annulés ou reportés indéfiniment durant les dernières décennies, aux quatre coins du monde, en raison d’un déficit d’acceptabilité sociale[3]. En dépit de ces expériences, desquelles il serait pourtant aisé de tirer des leçons, les projets controversés qui peinent à être acceptés socialement marquent encore l’actualité, tels le tramway de Québec, le REM de l’Est à Montréal, le tunnel autoroutier (troisième lien) entre Québec et Lévis.

Force est de constater qu’il existe une multitude d’exemples démontrant qu’il est tout à fait possible de réaliser des projets qui respectent les principes du développement durable, en étant socialement acceptables, environnementalement viables et économiquement rentables[4]. Les exemples largement documentés dans les écrits académiques ainsi que notre propre expérience nous amènent à cibler cinq pratiques et croyances répandues qui ne favorisent pas l’acceptabilité sociale, et qui peuvent même encourager l’inacceptabilité sociale.

Le manque de communication

Nombre de promoteurs veulent imposer aux parties prenantes des projets que leurs spécialistes ont planifiés et conçus. Lorsque vient le temps des consultations, les promoteurs éprouvent du mal à prendre en compte les doléances de la société civile pour modifier, voire améliorer un projet. Si bien que certains se limitent souvent à communiquer des données de manière unidirectionnelle plutôt que d’impliquer les parties concernées dès la conception de celui-ci.

Une mauvaise compréhension du contexte

Beaucoup trop de promoteurs ne prennent pas le temps de comprendre les réalités contextuelles des communautés touchées par leurs projets. Par exemple, les réalités autochtones sont traitées comme étant semblables aux réalités allochtones. Ce faisant, les idiosyncrasies locales sont ignorées et de prétendues «bonnes pratiques universelles» sont reprises sans nuance, limitant la contribution des parties concernées.

Une conception erronée de l’acceptabilité sociale

L’acceptabilité sociale est fréquemment vue par les promoteurs comme étant uniquement un accord transactionnel. Dans cette vision, l’acceptabilité sociale devient une «liste de vérification» des obligations à remplir, alors qu’elle devrait être principalement perçue comme étant un processus relationnel, ce qui demande d’être attentif aux parties prenantes afin de prendre en compte les enjeux soulevés par ces dernières. Dans ce contexte, l’écoute, le compromis et l’empathie deviennent des valeurs importantes favorisant non seulement l’acceptabilité sociale à court terme, mais aussi son maintien tout au long du cycle de vie du projet.

L’omission de la notion de temps

Du précédent point découle la pratique courante qui consiste à supposer que si les promoteurs «mettent le prix», l’acceptabilité sociale sera acquise. Bien que cette approche visant à «acheter» l’assentiment de la société puisse fonctionner dans certaines situations, les expériences contemporaines montrent que ce n’est pas une formule durable. Un projet dont la durée s’étale sur plusieurs décennies ne peut pas maintenir son acceptabilité dans le temps s’il n’apporte pas de valeur ajoutée. Il faut que les avantages du projet excèdent ses inconvénients tout au long de son cycle de vie.

Le désengagement des promoteurs

Les promoteurs qui peinent à cultiver l’acceptabilité de leurs projets par la population partagent une caractéristique commune : ils ont tendance à mettre l’accent sur les résultats dans les phases initiales du projet, souvent dans la phase de mise en œuvre. Une fois le projet réalisé, ils ont tendance à se désengager progressivement dans le meilleur des cas, ou encore à remettre en question leurs promesses et leurs obligations dans le pire des cas. Ces comportements mettent ainsi en péril la durabilité de l’acceptabilité sociale.

Pour que les projets soient bien accueillis par la population, nous proposons justement de dépasser ces pratiques représentatives du paradigme dominant et désuet, et d’aller vers des pratiques cohérentes basées sur la règle des 5C : coconstruire, comprendre, cultiver, contribuer et corriger. Cette règle regroupe cinq bonnes pratiques favorisant une acceptabilité sociale durable. Celles-ci ne la garantissent pas, car les phénomènes sociaux sont complexes, mais elles en augmentent avantageusement les probabilités de succès (voir le tableau ci-dessous).

1. Coconstruire

L’époque où un promoteur imposait son projet conçu à l’interne est révolue. La participation active des parties prenantes dès la conception du projet aura bien sûr pour effet d’augmenter le temps consacré à ce volet. En contrepartie, s’il a le soutien des parties touchées, le promoteur gagnera du temps et réduira ses risques financiers et réputationnels lorsqu’il présentera son dossier aux organismes réglementaires afin d’obtenir les autorisations nécessaires.

Cette approche favorise aussi l’appropriation du projet par les personnes impliquées puisqu’elles auront participé directement à sa conception. Ce faisant, les parties mettent la table pour une relation durable basée sur la confiance et le partenariat.

2. Comprendre

Il est important pour le promoteur soucieux d’assurer l’acceptabilité sociale de son projet de tenir compte des réalités des communautés locales. Il est notamment primordial de comprendre les intérêts et les besoins des parties prenantes en discutant des voies à emprunter et des moyens à mettre en œuvre afin que le projet puisse être un vecteur de développement en harmonie avec la réalité du milieu. Pour cela, le promoteur doit reconnaître et valoriser les idiosyncrasies locales et adapter ses pratiques. Par exemple, dans les contextes autochtones, les pratiques de gestion visant l’acceptabilité sociale ne sont pas identiques à celles qui ont cours dans les contextes allochtones. Elles doivent entre autres être adaptées aux réalités et aux droits des peuples autochtones : l’appartenance au territoire, le poids de l’histoire, la culture et les traditions ancestrales ainsi que la primauté de la protection environnementale sont autant de particularités qui méritent d’être comprises, respectées et valorisées.

3. Cultiver

L’idée voulant que l’acceptabilité sociale se résume à une transaction doit être remplacée par une vision relationnelle basée sur la bonne foi, le respect mutuel, une participation réelle et des arrangements économiques et sociaux mutuellement avantageux. Par ailleurs, les parties intéressées doivent mettre leurs intérêts individuels en commun et s’associer avec le promoteur dans le cadre d’un forum mixte, dans le but d’entretenir le dialogue sur les enjeux qui surviendront tout au long du cycle de vie du projet et de régler les problèmes qui pourraient survenir[5].

4. Contribuer

Il est fondamental que les promoteurs considèrent les parties prenantes comme des partenaires du projet. Le partage des bénéfices, sous forme de création d’emplois, de retombées financières ou autres, est une voie incontournable pour acquérir l’acceptabilité sociale, mais insuffisante pour son maintien à long terme. Il faut éviter une évolution en dents de scie (boom and bust) et miser sur un véritable partenariat orienté vers une participation de longue durée qui peut répondre aux attentes, aux besoins et aux intérêts des parties concernées. Ces dernières ne souhaitent pas être marginalisées, et s’attendent à ce que les projets soient des vecteurs d’habilitation et de renforcement des capacités[6].

5. Corriger

L’acceptabilité sociale ne doit pas se limiter qu’à la phase de mise en œuvre du projet. Au contraire, cette acceptabilité doit être maintenue tout au long de son cycle de vie. D’une part, il est essentiel que le promoteur respecte ses engagements et obligations envers les parties prenantes tout au long de la durée du projet. D’autre part, le promoteur doit toujours rester attentif aux enjeux soulevés par ces partenaires au fur et à mesure qu’ils surviennent. Cela nécessite que le promoteur fournisse des voies et des moyens pour régler les problèmes.

Le désengagement qu’on peut souvent observer chez un promoteur après la phase de mise en œuvre détruit la relation entre celui-ci et les parties prenantes, et ce, à un moment crucial.C’est une fois cette étape terminée que les parties impliquées prennent la pleine mesure des répercussions du projet dans leur milieu. Ce n’est qu’à ce moment qu’elles peuvent adéquatement préciser la nature et l’envergure des mesures d’atténuation et de mise en valeur qui doivent être réalisées afin de permettre aux communautés de vivre avec le résultat et de l’accepter.

Il est nécessaire que le paradigme de la gestion de l’acceptabilité sociale des projets change. Pour cela, le respect des cinq bonnes pratiques énoncées dans la règle des 5C – coconstruire, comprendre, cultiver, contribuer et corriger – est une bonne manière de parvenir à l’acceptabilité sociale.

À cela peuvent aussi s’ajouter deux apprentissages transversaux. D’une part, les représentants du promoteur et des parties prenantes jouent un rôle de première importance dans la dynamique relationnelle qu’ils auront créée. Il est donc impératif que les partenaires aient des compétences transversales favorables à des relations harmonieuses, dont l’écoute, l’empathie, le respect, la bonne foi et le sens du dialogue et des compromis. D’autre part, l’acceptabilité sociale est également un processus d’apprentissage par essai-erreur pour les organisations. Autrement dit, les organisations doivent prévoir leur stratégie tôt et se donner le temps et les moyens d’apprendre en s’inspirant de la philosophie d’amélioration continue. Pour cela, la culture organisationnelle – comprise comme l’ensemble des valeurs partagées par les membres d’une organisation – joue un rôle clé.

 

 

Article publié dans l’édition Automne 2022 de Gestion


Références

[1] Gouvernement du Canada, «Investing in Canada – Canada’s longterm infrastructure plan» (document en ligne), 2018, 77 pages.

[2] EY, «Top 10 business risks ans opportunities for mining and metals in 2022» (document en ligne), 2021, 44 pages.

[3] Baba, S., Hemissi, O., Berrahou, Z., et Traiki, C., «The spatiotemporal dimension of the social license to operate: The case of a landfill facility in Algeria», Management International, vol. 25, n° 4, novembre 2021, p. 247-266.

[4] Baba, S., Raufflet, E., Murdoch, J. P., et Courcelles, R., «Reconstruire des relations : Hydro-Québec et la Nation crie (1994- 2015)», Éthique publique, vol. 18, n° 1, janvier 2016.

[5] Baba, S., Courcelles, R., et Dunn, M., «Développement de partenariats avec les Premières Nations dans un grand projet hydroélectrique : le cas du projet Eastmain-1-A– Sarcelle–Rupert à la Baie-James», dans Brunet, M., et Romero- Torres, A., La gestion de projets au Québec – Des cas pour illustrer une expertise en croissance, Montréal, JFD Éditions, 2021, p. 83-99.

[6] Baba, S., Mohammad, S., et Young, C., «Managing project sustainability in the extractive industries: Towards a reciprocity framework for community engagement», International Journal of Project Management, vol. 39, n° 8, novembre 2021, p. 887-901.