Deux conceptions différentes de ce qu’est le leadership coexistent dorénavant, et ce, à des degrés divers au sein des mêmes organisations : l’une centrée sur la personne et l’autre plus collective. Ces deux paradigmes provoquent des comportements différents, mais aussi des performances différentes ! Quels sont ces paradigmes ?

Deux paradigmes de leadership : l’un individuel, l’autre collectif

Pour les uns, le leadership est incarné principalement dans la personne même du leader; c’est celui ou celle qui, par son statut hiérarchique, ses qualités ou sa vision, a un ascendant particulier sur d’autres. Cette conception est très individualisante, centrée sur le leader. Elle a marqué nos organisations depuis la révolution industrielle jusqu’à la fin du XXe siècle.  

Mais les développements économiques, technologiques, sociaux et politiques de ces 15 dernières années laissent place à l’émergence de plus en plus forte d’un autre paradigme. Celui-ci rend compte de la dimension collective du leadership et du fonctionnement en réseau des organisations. Pour un nombre croissant d’entreprises, de gestionnaires, et de chercheurs, le leadership est conçu et vécu comme un processus d’influence collectif, partagé, des uns avec les autres afin d’accomplir une mission commune. On y maximise le leadership de toute l’équipe. Le leader est au centre d’un cercle plutôt qu’en haut d’une échelle ou d’une pyramide, facilitant l’émergence de l’intelligence collective à la recherche de solutions pour faire face à la complexité et à la volatilité.

Le leader formel ou désigné y est un membre à part entière avec qui on réfléchit et avec qui on prend ensemble des décisions : que ce soit la vision de l’équipe, ses orientations, les plans d’action, les améliorations requises, mais pas nécessairement dans toutes les situations. C’est davantage que du travail d’équipe traditionnel où chacun contribue selon son rôle particulier. C’est la consolidation des leaderships individuels autour d’un enjeu et d’un but commun.

Un leadership de plus en plus généralisé

En Grande-Bretagne, en Australie, aux États-Unis, les travaux de recherche et les pratiques organisationnelles montrent la pertinence d’intégrer cette approche plus collective, distribuée et partagée du leadership, car, comme le disait si bien Peter Drucker, spécialiste et gourou de la gestion des entreprises : « The greatest danger in times of turbulence is not the turbulence. It is to act with yesterday’s logic1. » Spencer Stuart, firme de renommée internationale dans le recrutement de cadres supérieurs et de haute direction, partage le point de vue exprimé par ses clients, selon lequel :

Des hiérarchies strictes et une communication descendante ont cédé la place à des organisations davantage horizontales, plus dispersées et plus flexibles. Les lignes hiérarchiques et les structures organisationnelles ont moins d'influence que par le passé sur la manière dont le travail est effectué. […] Dans l'environnement actuel, les PDG voient une valeur énorme dans les modèles de leadership partagés de gestion.

Dans un rapport sur les tendances de développement du leadership, le Center for Creative Leadership conclut que l’une des tendances fortes est de laisser davantage place au développement du leadership collectif plutôt qu’au développement du leadership individuel :

Le développement du leadership est devenu trop élitiste et axé sur chaque individu. Il existe une transition entre l'ancien paradigme selon lequel le leadership résidait dans une personne ou un rôle, et un nouveau dans lequel le leadership est un processus collectif réparti dans des réseaux de personnes. La question passera de «Qui sont les dirigeants ?» à «De quelles conditions avons-nous besoin pour que le leadership s'épanouisse au sein du réseau ?» Comment dès lors démocratiser le leadership ?

Différentes conceptions conduisant à différents comportements

Les équipes, leaders et membres qui travaillent avec ce nouveau paradigme ont des attitudes, des attentes et des comportements différents. La collaboration et la recherche conjointe de solutions avec leurs collègues et partenaires internes ou externes sont davantage valorisées, peu importe le statut hiérarchique. Les défis tout comme les risques et les occasions sont discutés plus ouvertement. L’accent est vraiment mis sur la cible commune convenue ensemble plutôt que sur les rapports de force ou les jeux de pouvoir.

Est-ce que le responsable d’équipe ou d’entreprise doit se sentir menacé par ce nouveau paradigme ?Mes observations sur le terrain m’amènent à conclure que non… s’il se fait confiance et qu’il croit à la force de son groupe. D’ailleurs, les leaders aux prises avec la complexité, souvent immergés par les pressions qui leur sont faites de toutes parts, s’attendent dorénavant à plus de leadership non seulement de toute leur équipe, mais de chacun, et ce, à tous les paliers.

Les deux différentes représentations du leadership se côtoient dorénavant dans les équipes et les organisations. Que ce soient les leaders eux-mêmes ou les membres des équipes, plusieurs s’attendent à davantage de leadership de la part de tous leurs collègues, alors que d’autres seront plus passifs, enfermés dans une logique passée, en attente de la vision ou de directives, sécurisés par une description de rôles hiérarchisés et des processus structurants. Cet écart doit être résolu dans l’intérêt même de l’équipe et de l’organisation. C’est pourquoi le nouveau paradigme émergeant ici et là dans l’organisation et dans certaines équipes doit être rendu plus explicite. Si le leader formel veut non seulement mobiliser, mais s’appuyer sur le leadership de toute son équipe et de chacun de ses membres, il se doit de rendre davantage explicite ce qu’il attend en termes de leadership, tant individuel que collectif. Les questions suivantes méritent également leur attention :

  • Peut-on utiliser à la fois le leadership traditionnel et le leadership partagé ?
  • Comment développer une équipe en leadership partagé ?
  • Les plus jeunes générations sont-elles plus portées à favoriser cette approche ?
  • Quels sont les différents modèles de leadership partagé ? Dans quelles situations les utiliser ?

Note

1 « Le plus grand danger en période de turbulence n'est pas la turbulence. C'est d'agir avec la logique d'hier » traduction libre.