7 conseils pour réussir une fusion d’égal à égal
2024-12-01
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2024-12-06
7 conseils pour réussir une fusion d’égal à égal
Stratégie , Leadership
C’est bien connu, la majorité des fusions et des acquisitions n’atteignent pas les objectifs fixés. Pire encore, bon nombre de transactions détruisent carrément de la valeur pour les actionnaires et les investisseurs. Comment alors accomplir ce véritable tour de force qui demande courage et doigté, surtout lorsqu’il s’agit d’une fusion d’égal à égal? C’est ce qu’a réussi Beneva, née du regroupement de La Capitale et de SSQ Assurance. Aperçu d’une démarche qui a porté ses fruits.
En plus d’exiger discipline et rigueur, la réussite d’une fusion repose également sur un engagement humain hors du commun et sur plusieurs facteurs souvent intangibles.
Depuis l’annonce de l’intention de regrouper La Capitale et SSQ Assurance effectuée en janvier 2020 jusqu’au dévoilement officiel de l’identité Beneva au grand public en décembre de la même année, puis à la finalisation de l’intégration en décembre 2023, plusieurs défis se sont posés, avec pour toile de fond une pandémie mondiale qui forçait la réalisation d’une fusion d’envergure en mode virtuel.
À terme, non seulement le projet a réussi à renforcer les synergies entre les deux entreprises, mais il a aussi permis de créer de la valeur. Dans un contexte de volatilité, Beneva est parvenue à augmenter ses revenus et ses parts de marché dans les secteurs d’activité où elle évolue, en raison d’une croissance de 65% des primes d’assurances entre 2019 et 2023. L’entreprise, qui compte plus de 2,7 millions de membres, est ainsi devenue la plus grande mutuelle d’assurance au Canada.
L’organisation a également réussi à améliorer le rendement offert à ses propriétaires et à conserver un taux de satisfaction de la clientèle supérieur à la moyenne de l’industrie, et ce, sans jamais sacrifier ses employés. Pour arriver à de tels résultats, Beneva a su miser sur les bons éléments.
Voici sept leçons qui se dégagent des apprentissages réalisés.
1 - Créer un climat de confiance
Une fusion d’égal à égal repose sur une collaboration qui doit s’amorcer dans un climat de confiance. La mise en œuvre d’une stratégie de regroupement orientée sur la recherche de la meilleure parité possible est alors tout indiquée.
Dès le départ, l’équipe qui a lancé le projet de création de Beneva a donné le ton à la démarche : cette fusion allait reposer pour beaucoup sur le facteur humain et sur des leaders authentiques engagés dans un projet collectif.
En 2019, après plusieurs tentatives de rapprochement, les deux organisations étaient enfin mûres pour amorcer le projet de fusion. Jean St-Gelais, alors PDG de La Capitale, et Jean-François Chalifoux, PDG de SSQ Assurance, épaulés par les chefs des finances des deux entreprises, allaient constituer le noyau dur d’une équipe qui porterait le projet dans la plus grande confidentialité, dans un climat de confiance créé et encouragé par les acteurs clés, et forts du soutien des conseils d’administration des deux organisations.
Dans un secteur aussi fortement règlementé que celui des services financiers et en raison du statut de mutuelle des deux organisations, un nombre très important de parties prenantes devaient non seulement être consultées, mais aussi convaincues de la validité du projet. Il était absolument essentiel de gagner leur confiance pour s’assurer de leur appui.
Des firmes externes se sont donc jointes au comité de pilotage afin d’articuler de façon très fine la stratégie de mise en œuvre et de communication qui allait culminer avec l’annonce publique de l’intention de regrouper les activités des deux entreprises.
Cette étape clé d’un regroupement doit être sans faille, tant au niveau de la stratégie que de l’exécution, sous peine de faire déraper le projet, aussi valable économiquement ou stratégiquement soit-il. Tout doit être parfaitement synchronisé.
2 - Établir un diagnostic culturel précis
Les entreprises qui souhaitent réaliser avec succès une fusion doivent tout d’abord bien comprendre et préciser leur ADN culturel respectif, en allant au-delà des points communs évidents. Le diagnostic doit faire ressortir les aspects apparents de chacune et ceux qui sont moins visibles, afin de cerner efficacement les ancrages culturels sur lesquels reposera la nouvelle organisation. Cette étape est d’autant plus cruciale qu’elle permet de créer un effet de levier qui favorise l’engagement et la mobilisation de l’ensemble des gestionnaires et des employés. Lorsque les grands traits culturels sont connus et partagés et que les zones de convergence et de divergence sont clairement définies, les rapprochements sont alors plus faciles.
Chez Beneva, cette démarche s’est échelonnée sur plusieurs mois. Des entretiens individuels avec la haute direction et avec les gestionnaires ont été organisés, et de nombreux groupes de discussion virtuels avec les employés ont été créés. Finalement, un sondage à l’échelle de toute l’organisation a été mené.
En parallèle à cette démarche, un réseau de plus de 120 ambassadeurs a été mis sur pied. Fort d’un souci de représentativité et d’équité entre les deux organisations, ce réseau était composé d’employés et de gestionnaires. Les ambassadeurs ont agi comme intermédiaires en encourageant leurs collègues à exprimer leurs préoccupations. Leur présence a également permis de prendre régulièrement le pouls des équipes et d’ajuster le tir en conséquence tout au long du projet.
3 - Créer une vision, une ambition et des valeurs communes
Lors d’une fusion, développer une vision commune et la partager avec conviction est essentiel pour créer la nouvelle organisation. Chez Beneva, la vision était claire : on souhaitait créer la plus importante mutuelle d’assurance au Canada. Cette vision inspirante permettait de guider la prise de décision, notamment pour définir les valeurs qui allaient souder les deux entités sur le plan culturel.
Chez Beneva, cette étape a tout particulièrement permis de mesurer l’importance que les deux organisations accordaient à leurs fondements mutualistes et à la participation de leurs employés au projet, tout en respectant la stratégie et les objectifs d’affaires établis. Ainsi, les employés ont par exemple été invités à collaborer afin de définir le nom, la nouvelle image de marque et les valeurs de la nouvelle organisation, ce qui a favorisé l’adhésion des individus à cette nouvelle identité.
4 - Poursuivre les activités tout en réussissant l’intégration
Choisir un modèle opérationnel et une nouvelle structure organisationnelle pour une entité issue d’une fusion constitue une étape clé et un facteur de succès important dans un tel projet. C’est une opération délicate qui, malheureusement, est bien souvent guidée par des considérations politiques et historiques, ou simplement calquée sur le modèle existant, sans se préoccuper du défi que pose une intégration de cette envergure.
Dans une fusion d’égal à égal, à la différence d’une acquisition, il ne s’agit pas seulement d’intégrer le mieux possible les activités de l’entreprise acquise à celles de la société acquéreuse : il faut constituer à partir de deux organisations une nouvelle entité qui sera encore mieux positionnée sur les plans stratégique et opérationnel.
Sur papier, La Capitale et SSQ Assurance étaient deux entreprises complémentaires. Afin de créer une organisation capable de réaliser la vision et l’ambition qui sous-tendent le projet de regroupement, il y avait cependant des choix fondamentaux à effectuer, notamment au chapitre des modèles organisationnels et opérationnels, de la structure de gestion et de l’équipe de direction qui allait porter le projet.
Rapidement et discrètement, une équipe de pilotage s’est mise au travail (alors que les participants étaient encore au service de leur organisation respective) pour définir les modèles opérationnels cibles et sélectionner les systèmes qui seraient retenus. On a choisi un modèle mettant de l’avant les trois volets de l’assurance – assurance de dommages, collective et individuelle – qui permettait aussi de faciliter l’intégration et de poursuivre efficacement les activités. L’idée était, dans un premier temps, de simplifier le regroupement des activités, tout en facilitant la prestation des services offerts aux différents marchés.
L’objectif premier était de se doter d’une organisation qui puisse être opérationnelle rapidement, et de favoriser une collaboration et une mixité culturelle qui allaient lui permettre de progresser une fois les opérations complètement intégrées. C’était le Beneva 1.0, qui allait pouvoir évoluer par la suite.
5 - Constituer une équipe de direction qui portera le projet
Une fois la structure cible arrêtée, la délicate sélection des membres de l’équipe de direction doit également se faire en secret. Le défi de cette étape clé est double :
- Doter l’organisation d’une équipe de direction capable de porter la vision et l’ambition, et constituée de membres qui ont l’ouverture et l’attitude nécessaires pour travailler selon un mode de forte collaboration;
- Composer avec deux équipes de direction dont plusieurs membres sont susceptibles d’espérer faire partie de la nouvelle équipe.
Pour éviter de donner l’impression d’une prise de contrôle d’une entité sur l’autre, il est crucial d’assurer une mixité des représentants des deux organisations dans la composition de l’équipe de direction et, éventuellement, dans l’ensemble des postes de gestionnaire dans l’organisation. Il est aussi primordial de se doter d’une équipe qui pourra s’engager sur une longue période, non seulement lors du processus menant à l’intégration mais aussi au cours des étapes suivantes, pour positionner efficacement la nouvelle entité dans son industrie.
Dans le cas qui nous occupe, le nouveau président et chef de la direction de Beneva souhaitait former son équipe avec des leaders reconnus, dotés d’une forte expertise. De plus, ceux-ci devraient se montrer solidaires et résilients, et afficher un désir de collaborer et de s’engager à fond. Il n’y avait ni espace ni énergie à consacrer à des luttes politiques ou à une concurrence entre les membres. La nouvelle équipe allait donc être composée de dirigeants provenant de SSQ Assurance, de La Capitale et de personnes de l’extérieur.
6 - Communiquer pour rassurer, engager et mobiliser les employés
Tout au long d’un processus de fusion, il est essentiel d’avoir une vue d’ensemble de toute la séquence de communication. On doit s’assurer de rallier toutes les parties prenantes, mais aussi préparer et outiller tous les gestionnaires.
Lors de la création de Beneva, de la première annonce publique jusqu’au regroupement concret des équipes, une cascade de communications touchant un public cible de plus en plus large a été mise en œuvre.
Dans toutes les communications écrites et orales, il était important de rassurer les équipes quant au sérieux de la démarche de fusion d’égal à égal et de revenir régulièrement sur la vision et l’ambition liées au projet. Grâce à différentes communications menées par l’entreprise, 84% des employés estimaient en 2023 qu’ils avaient été bien informés à propos du plan stratégique de l’organisation. La tenue d’évènements d’envergure pour les employés a aussi servi à leur mobilisation. Ils ont ainsi pu contribuer à la définition de la stratégie et de l’ambition collective. Dans l’esprit des dirigeants, ces rencontres représentaient des investissements essentiels et non des dépenses supplémentaires.
7 - Donner vie à la nouvelle organisation
Les fusions et acquisitions comportent leur lot de défis quand vient le temps de regrouper les fonctions, de rationaliser certains actifs, d’interagir avec les partenaires, de servir les clients d’une façon intégrée avec des outils et des pratiques identiques, et d’harmoniser les pratiques financières et les conditions de travail. Pour y arriver, il importe notamment de mettre en place des projets qui visent à regrouper les équipes et à revoir les rôles, les responsabilités, les fonctions et les méthodes de travail. Tout ceci doit être orchestré en tenant compte du développement des affaires et en respectant les changements inhérents au domaine en matière de règlementation.
Chez Beneva, les conseillers les plus expérimentés de l’équipe de gestion du changement ont contribué à soutenir les différents vice-présidents exécutifs pour s’assurer que les équipes ne subissent pas trop de bouleversements. En travaillant à consolider les plans de mise en œuvre des différents changements, ils ont facilité l’arbitrage et la coordination des priorités, les comités de gestion étant informés et sensibles aux réalités du terrain. Ils ont aussi favorisé une bonne compréhension des capacités à changer des gestionnaires et des employés. Cet angle d’analyse permettait de mieux cibler le degré de mobilisation autour des changements, de comprendre la nécessité de renforcer les messages ou de célébrer l’engagement de tous les employés dans l’atteinte des divers objectifs.
Jouer le rôle de leader transformationnel
Dans une fusion de grande envergure, les risques de résistance, de désengagement des employés ou d’épuisement sont réels. Beaucoup de projets traînent en longueur ou ne réussissent pas parce que les entreprises négligent d’y consacrer l’attention ou les ressources nécessaires.
Un projet de transformation majeure comme une fusion est aussi une occasion unique, pour les gestionnaires, de développer leur capacité à assumer une nouvelle forme de leadership. Bien qu’ils aient pour la plupart déjà acquis une bonne partie des compétences clés nécessaires pour mener à bien un tel projet, les gestionnaires doivent tout de même faire preuve d’un jugement d’une plus grande acuité. Les circonstances entourant la gestion d’un projet les forcent à délaisser le mode pilote automatique dans la réalisation de leurs activités quotidiennes. Ils sont appelés à jouer un rôle de proximité auprès des membres de leur équipe nouvellement constituée.
Beneva a d’ailleurs offert du soutien à ses gestionnaires pour favoriser le développement de leur position de leader du changement et pour les appuyer dans la mise en œuvre des projets d’intégration.
Un ambitieux projet d’affaires
Un projet de fusion naît toujours d’une vision d’affaires partagée par des dirigeants et des actionnaires qui veulent saisir une occasion de faire mieux et plus en se regroupant. Une fois validé d’un point de vue stratégique et économique, le projet pose essentiellement un défi sur le plan de l’exécution qui est porté par un groupe de leaders dont le cercle s’élargit peu à peu au fil de l’avancement des travaux et des annonces.
Le projet de création de Beneva a d’abord été porté par les présidents de SSQ Assurance et de La Capitale, et par les conseils d’administration des deux organisations. Cette petite équipe a ensuite été appuyée par les vice-présidents aux finances et aux affaires juridiques des deux entreprises, dans le plus grand secret. Progressivement, le projet a mobilisé des dizaines de gestionnaires. Une fois nommés, les dirigeants des différents services ont défini pour leur propre secteur une structure qui a évolué tout au long du processus d’intégration.
Chaque gestionnaire a été sélectionné en fonction de ses compétences non seulement au regard des activités qu’il aurait à gérer, mais aussi et beaucoup en fonction des qualités de leader qu’il faut généralement posséder pour mobiliser une équipe constituée d’employés provenant de deux entreprises différentes.
Malgré les défis, les échéanciers, les arbitrages difficiles et les tensions inhérents à un regroupement de cette envergure, Beneva n’a pas observé de dysfonctionnement majeur dans la collaboration essentielle à la réussite d’un projet de changement. Les valeurs humaines portées par tous les leaders du projet, du président à l’équipe de direction, en passant par les gestionnaires et leurs équipes, faisaient appel au respect et à l’engagement, ce qui a constitué une source de motivation importante.
Un bon projet de fusion sur papier ne peut se concrétiser que si certaines conditions sont réunies : un fort leadership collectif, une confiance mutuelle et un climat de respect au sein de l’équipe de direction, une exécution précise et bien cadencée, des efforts de communication et de gestion du changement significatifs, une sensibilité aux facteurs culturels, des ressources affectées spécifiquement au pilotage de l’intégration et une organisation constituée de gestionnaires choisis pour leurs qualités de leader. L’expérience de la création de Beneva coche assurément toutes les cases!
Article publié dans l’édition Hiver 2025 de Gestion
Stratégie , Leadership