Membre du Temple de la renommée de l’Association des agences de communication créative (A2C) depuis 2019, Jean-Jacques Stréliski est une grande pointure de l’industrie de la publicité québécoise. Il a notamment fait carrière dans les agences les plus réputées : Cossette, BCP, BBDO et Publicis. Professeur associé à HEC Montréal, il transmet en outre ses connaissances depuis près de 15 ans. À l’aube de la retraite, quel regard porte-t-il sur ce métier? 

1 - Vous avez vécu ce qu’on pourrait appeler l’âge d’or de la publicité au Québec, des années 1970 jusqu’au début des années 2000. Qu’est-ce qui a rendu cette période si spéciale?

La publicité au Québec a pris un virage important dans les années 1960, surtout sous l’impulsion de Jacques Bouchard, qui a fondé l’agence BCP en 1963. Cette agence a réussi à faire comprendre aux grandes marques américaines et canadiennes-anglaises qu’elles gagneraient à utiliser les services d’une firme québécoise, qui créerait des publicités spécifiques au marché francophone. Cette approche a fait ses preuves et a eu un fort impact sur les ventes de ces entreprises chez nous.

Bien d’autres boîtes québécoises se sont engouffrées dans la brèche. Les effets de cette dynamique ont largement dépassé le milieu de la publicité. Bon nombre de réalisateurs et d’acteurs québécois ont gagné leur vie avec la publicité. J’ai moi-même pu tourner avec Gilles Carle, Denys Arcand et Michel Brault, entre autres. Cela a aidé à développer une industrie culturelle et audiovisuelle très forte au Québec. En outre, la télévision était omniprésente dans les foyers à l’époque, et certaines publicités ont d’ailleurs fait évoluer la société québécoise.

L’image de la publicité était, de surcroît, beaucoup plus positive. On comptait plusieurs galas de remise de prix, et les festivals du film publicitaire étaient très courus.

2 - Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui dans notre rapport à la publicité?

Avec l’avènement d’Internet et des réseaux sociaux, et la multiplication des écrans, la publicité est devenue de plus en plus envahissante. Vous savez, la publicité, c’est un peu comme une tache d’huile : s’il y a un nouvel espace qui s’ouvre, elle va s’y glisser. La publicité numérique est par ailleurs nettement plus personnalisée et nichée. Cela décuple sa puissance commerciale et son impact sur les ventes. Cependant, le côté invasif de cette approche provoque le rejet chez bien des consommateurs.

3 - Comment voyez-vous l’avenir de la publicité?

Nous avons besoin de la publicité dans une société où le commerce occupe une place importante. Les commerçants ont besoin d’entrer en contact avec les gens. Mais si nous ne nous concentrons que sur les résultats financiers, sans laisser d’espace à la créativité et à certaines valeurs humanistes, cela devient dangereux. Mes étudiantes et étudiants s’inquiètent beaucoup des changements climatiques et de la dégradation des sphères politiques et géopolitiques. Je les invite à faire évoluer l’industrie de la publicité en y intégrant leurs valeurs, qu’ils se retrouvent du côté des créateurs ou des clients. Notre rôle à tous, c’est d’être lucides et d’agir.

Article publié dans l’édition Hiver 2025 de Gestion